Le soleil avait déjà commencé à décliner lorsque tu pénétras dans la forêt. Le ciel s'assombrissait à mesure que tu t'enfonçais parmi les arbres. Les bruits de l'académie s'estompaient au profit de ceux de la nature. Ta main vint effleurer les reliefs rugueux de l'écorce d'un chêne centenaire. Tu inspiras une bouffée d'air libératrice. Malgré les basses températures d'une fin de journée hivernale, tu pouvais sentir l'apaisement te gagner. Cet endroit était pareil à un temple pour toi ; en ce lieu seulement, tu cessais d'être sur tes gardes. Ici, la vie en société et tout ce qu'elle impliquait en charge émotionnelle, disparaissaient. Pour une personne telle que toi, toute entière faite d'intensité, c'était un appel à l'accalmie.

Tu repris ta marche, t'éloignant volontairement du sentier pour suivre un itinéraire qui devait tout au hasard. Tes mains t'élançaient douloureusement aux jointures car tu avais passé trop de temps à serrer les poings. L'entraînement au corps à corps n'avait pas été suffisant ; tu t'étais ensuite acharnée sur un sac de sable et sur les mannequins mis à disposition pour les simulations de combat. Tu avais ressenti le besoin irrépressible d'exprimer tous les sentiments qui s'agitaient en toi comme mille tempêtes. Tu avais donc extériorisé tout cela en frappant, peu désireuse de déclencher une nouvelle crise à force d'accumulation. Cependant, à l'heure actuelle, tes muscles raidis par l'effort peinaient à se détendre et tout ton corps te semblait rigide.

Tu étais venue ici pour ne plus penser aux derniers événements, notamment à cette nouvelle médaille dorée qui rehaussait ton uniforme. Rejoindre la section NOVA ne te posait aucun problème de conscience, n'en déplaise à certains de tes camarades. En revanche, les réactions de tes proches - peu nombreux au demeurant - comme Asmodée, te minaient un peu le moral. Ton but n'avait jamais été de blesser ou de trahir qui que ce soit. Au contraire, tu restais fidèle à toi-même et à ta volonté de jouer le jeu d'un système dont tu voulais tirer profit. Puis toi, l'exilée, la terreur de la classe dangereuse, l'ultime calamité, l'insolente libertaire, l'instable de service, te voir ainsi gonfler les rangs des gens respectables, ça avait quelque chose d'unique. Comme un fou rire nerveux, comme cette sensation si singulière d'être parvenue à jouer le premier rôle dans une pièce qu'on exècre.
Ils comptaient sûrement profiter de ton aura intimidante et de cette nécessité absolue que tu avais d'en découdre. En toute objectivité, ton image était déjà proche de celle d'un tyran d'une certaine façon. Du coup, niveau réputation tu n'avais rien à y perdre. Tu étais fermement décidée à exploiter tous les éléments qu'on allait te donner et ceux que tu serais amenée à découvrir. En somme, tu étais prête à perdre bien des plumes si cela pouvait t'assurer des ailes encore plus grandes et un ciel encore plus vaste.

Tant pis pour ton cœur, habitué à la solitude et aux nuits noires.

Un frisson te ramena au moment présent et tu regrettas presque d'être partie en tenue de sport. Ton sweat était bien trop léger pour te tenir convenablement chaud. Mais hors de question de faire demi tour. Cet instant de paix approximatif, tu l'avais mérité. Néanmoins, une brusque envolée d'oiseaux brisa le calme environnant. Ils furent suivis de bruit sourd qui ne manquèrent pas de te rappeler le son étouffé d'un coup porté sur une surface dure. Cette première pensée te fit dire que tu passais décidément trop de temps dans ta filière.

Muée par une certaine curiosité et par le désir indéniable de ne surtout pas t'occuper de tes propres affaires, tu te dirigeas vers l'origine de cette agitation. Ton haussement de sourcil fut significatif.

Westwood, torse nu, en train de s'acharner contre un arbre innocent. Ses poings martelaient le tronc massif avec énergie. Tu le connaissais de vue et au travers de quelques bruits de couloirs qui étaient parvenus jusqu'à tes oreilles. Son fort tempérament ne passait pas non plus inaperçu, à dire vrai. Pour autant, tu évitais de faire le moindre commentaire n'ayant pas de conseil à donner en matière de gestion de la colère. Vraiment pas.

Tu aurais pu partir en haussant les épaules et sans t'en soucier plus que ça.
Bien sûr, c'était sans compter ton goût pour le sarcasme et ton absence totale de retenue.

« Quand ce pauvre arbre aura rendu l'âme, tu penses enlever le bas pour fêter ça ? »

Il a des yeux d'une profondeur insondable. C'est à la fois un abîme et un torrent violent. Il dégage une aura particulière, de celle dont on ne peut douter de la force et de l'obstination. Son féroce tempérament l’imprègne tout entier et son répondant n'est pas pour te déplaire. Cassidy Westwood sait décidément faire impression.

« J'ai une meilleure offre à te faire. »

Le regard joueur et le sourire mutin, tu t'avances vers lui. Tu retires prestement ton sweat que tu jettes au loin sans regarder où il atterrit, te retrouvant ainsi en brassière de sport. Celle-ci couvre ta poitrine et ton nombril. Tu relèves tes cheveux dans une queue de cheval approximative, peu soucieuse de ton allure en pareille circonstance.

« Que dirais-tu d'un adversaire capable de te rendre tes coups ? »

Tu avais beau être une femme, toi aussi tu pouvais cogner dur. Qu'il s'agisse de frapper ou d'encaisser, c'était dans tes cordes. Au-delà du fait qu'il s'agissait de l'un des enseignements propres à la spécialité militaire, dès ton plus jeune âge aussi, tu avais appris à te servir de tes poings et accessoirement de tes jambes et de ta tête. Littéralement. Un coup de boule bien placé à la Pandora pouvait réveiller un mort.

« Surtout, ne fais pas ton gentleman. Je n'épargne jamais personne pour ma part. »

Tu lui fis signe d'approcher, à la fois joueuse et déterminée. Il n'était pas le seul à désirer extérioriser sa colère. Visiblement de la même trempe que toi, c'était lui aussi un 'enfant terrible'. Certaines rencontres provoquées par le hasard s'avèrent parfois être de véritables bénédictions.