Coquille vide.
Parfois on peut se demander
Nahia
Si tu ne te résumes pas à une coquille vide.

Le visage qui n’exprime que de légères émotions, tout en finesse comme pour préserver le secret de tes états d’âme – comme pour rassurer les autres que, parfois tu n’es pas tout à fait un automate. Une ou deux fleurs qui germent, de temps à autres et échappent à ton contrôle comme pour prouver ton humanité.

Des pétales auxquels tu ne saurais même pas
leur attribuer un nom.
Comme si tu refusais de savoir.

Tu mènes la danse en anéantissant les sentiments avant qu’ils n’explosent, avant qu’ils n’échappent à ta maîtrise exemplaire ; mais le sens-tu, Nahia, le cœur qui se serre et les muscles qui se tendent toujours un peu trop à chaque petit élément perturbateur ? Combien de temps tiendras-tu ? Tu sais très bien que tu n'y es pas arrivée dans le passé.
Parfois même, on te demande de comprendre les émotions des autres. Néanmoins c’est si difficile quand tu refuses de comprendre les tiens… Car la réalité c’est que parfois tu souhaiterais devenir une coquille vide, comme ta maman te l’avait dit, intériorise Nahia, il le faut. Et tout ira bien.

Mais peut-être faut-il changer de stratégie. Car si ton amour pour les gens est si sincère, Nahia, il faudra apprendre à communiquer. Ne sens-tu pas pourtant, que ton alice cherche sans cesse à le faire à ta place ?

Tu montes les escaliers pour aller à la rencontre d’Iris – figure maternelle qui, contrairement à ta génitrice, s’intéresse à ton alice ; comme si elle pouvait t’aider plus en profondeur. Car elle, elle s'intéresse aux noms des fleurs qui poussent ; car elle, elle veut savoir. Tu aperçois la porte de sa salle et tu toques doucement avant d’y pénétrer.

— Bonjour, Madame Macneil.

Tu refermes doucement la porte pour ensuite te diriger vers elle, attrapant une chaise pour t’y installer.

— Je suis prête pour l’analyse.

Confiance aveugle.

Tu aperçois les petits détails d’un bureau un petit peu plus propre que d’ordinaire ; c’est vrai que l’on y respire mieux. Tu as le souffle presque léger même s’il persiste ce semblant d’inquiétude qui plane au-dessus de ta petite tête – comme une hantise obscure.
Qu’est-ce qui t’effraie Nahia ?
Pourquoi ton cœur semble-t-il se débattre dans son enclos ?
Oh qu’elle paraît fataliste, la terrible réponse, lorsqu’elle se formule d’un « je n’en sais rien. » Elle serait plus exacte si on la nuançait d’un « Je n’ai jamais voulu le savoir », comme si cela te permettrait d’en faire parfaitement abstraction. Comme si noyer les petits tracas les fera couler dans les profondeurs sans jamais ne refaire surface.

Cela continue juste de te suivre, et de croître en ton sein.
Mais tu porteras le poids de tout, tout ce qui entretient la cruelle anxiété, toute seule, n’est-ce pas ?
Cela te poursuit mais tu es persuadée que jamais tu ne trébucheras.

— Je vais bien, je pense, et vous ?

Elle a l’air de se porter si bien, Iris, alors son humeur sereine contaminera naturellement la tienne – c’est ainsi que cela a toujours fonctionné. Tu fais taire le moindre soupçon d’inquiétude mais n’exclamera jamais la joie qui sonnerait si hypocrite. Elle s’inquiète si sincèrement, Iris, toutefois si tu acceptes les séances qu’elle te propose c’est bien pour t’alléger d’un fardeau.

— Oui, je l’ai apporté, j’ai essayé de tracer les traits d’une ou deux fleurs qui ont germé cette semaine.

Tes doigts maintiennent le précieux ouvrage tandis qu’elle poursuit – et tu t’arrêtes.
Il est vrai qu’elle avait mentionné cette proposition au cours de l’une de vos journées d’études ; alors le moment est arrivé ; le rythme cardiaque s’accélère faiblement comme si tu devais affronter une nouvelle épreuve. Tu as peur. Tu es un petit peu hésitante, Nahia, ton inconscient souhaite fuir, fuir la confrontation contre toi-même – réflexe incorporé dans ton fonctionnement.

Cependant, elle semble savoir ce qu’elle fait, n’est-ce pas Nahia ?

— Je suis d’accord. Légère pause. Je vous fais confiance si vous pensez nécessaire d’essayer cette méthode.

Elle est l’adulte, alors il est impossible qu’elle se trompe.

Elle a ces mots Iris, ces mots qui s’infiltrent tout en douceur dans ton esprit influençable pour rassurer les épouvantables inquiétudes, les petits doutes qui donneraient naissance aux terribles regrets. Oh qu’il est apaisant, le calme maîtrisé de Madame Macneil, dissipant les hésitations face à sa présence éblouissante ; elle a cette stabilité qui te susurre au creux de l’oreille :

Il n’y a rien à craindre.

Elle est l’adulte endossant les expériences que peut offrir la vie. Ici, elle incarne la bienveillance qui calme les maux muets. Tu te laisses transporter par son sourire – car tu n’as jamais su déceler les tourments que ces lèvres courbées dissimulaient. Tu te laisses bercer par sa tranquillité.

— Oui, vous pouvez.

Elle peut et elle pourra toujours – naïve confiance que tu accordes aux membres du personnel ; elle peut et pourra toujours accéder au carnet que tu lui tends lentement, comme si tu lui confiais la clé de ton âme. Les instructions sont claires et tu détailles les pétales qu’elle place devant ton champ de vision.

Tes pupilles croisent les belles couleurs du perce-neige. Qu’est-ce que cela te rappelle, Nahia ? Tu revois cette silhouette délicate qui fleurissait à tes pieds lorsque Lincoln t’avait exposé des solutions pour palier à tes difficultés. Car, Nahia, tu es toujours parvenue à imprimer les scènes exactes dans ton esprit lorsque tu les jugeais inconsciemment impactantes.

La sensation que tout irait mieux.
La sensation que ta cause n’était pas perdue.
La sensation que ta faiblesse deviendrait une force.
C’était le perce-neige.

Tes yeux se posent ensuite sur les iris colorées d’un bleu flamboyant ; des scènes plus vagues refont surface dans ta mémoire, mais qui s’embellissent toujours d’optimisme ; car tu aimes les beaux sentiments, n’est-ce pas Nahia ? Tu aimes retenir le peu positif qui se présente à toi comme pour te convaincre que tout va bien. C’est ainsi que tu fonctionnes, c’est ainsi que tu continues d’avancer, en te répétant que « tout va bien » comme pour t’en convaincre. Même si tu es incapable de poser les mots exacts, tu arques un léger sourire avant de reconnaître les traits de la rose de Noël – les hellébores noires.

Tu expires doucement dans un souffle saccadé. Pourquoi t’es-tu stoppée Nahia ? Tu t’apprêtais pourtant à formuler les réponses qu’attendait tant Iris ; tu t’apprêtais à apporter les bonnes nouvelles. Tu balbuties.

— Ces deux-là… représentent une émotion positive mais celle-ci… Tu désignes la fleur teintée d’ébène du doigt, hésitante. Tu prends une inspiration avant de continuer. Celle-ci est la plus marquante.

Et la plus terrifiante.
Celle qui ronge doucement la poitrine à chaque seconde de ton existence ; celle qui se nourrit de chacun de tes autres sentiments pour vibrer frénétiquement – comme une malédiction.

— En temps normal, seule une petite quantité de fleurs surgissent du sol, cependant celle-ci… avait recouvert une salle entière.

Les images incessantes s’emparent de ton flot de pensées comme pour te faire revivre la situation ; images que tu balaies alors que ton cœur se resserre – ne laisse rien paraître, Nahia, c’est fini maintenant.

— J’étais prise pour bouc-émissaire ce jour-là. En réalité… c’est lors de cet événement que l’académie m’a repérée.

Ce jour-là uniquement ? Que tu aimes jouer sur les mots. Et le débordement n’avait guère pris sa source de ce seul phénomène. Toutefois tu préféreras le taire pour éviter que ta fragilité ne soit jugée pour l’instant – cela paraît si futile. Tu t'inquiètes trop pour des choses si futiles.

De toute manière, Iris répondra présente à ta détresse avec sa bienveillance maternelle.
Alors, pose des mots.

— Elle m’évoque l’angoisse. Une très forte angoisse.

La sensation de l'accumulation morbide.
La sensation que tout te ronge continuellement.
La sensation que tu ne pouvais plus rien supporter.
C'était l'hellébore noire.