Le maillet, le poinçon, le burin, les limes, ses pierres... Est-ce que tout y était ? Elle espérait ne rien avoir oublié dans la salle d'art.

Aujourd'hui, Aline avait décidé de tailler quelques minerai trouvés dans la forêt bleues. C'était une habitude qu'elle avait depuis son plus jeune âge : rendre jolis ses futurs cadeaux pour pouvoir mieux les donner plus tard. Un petit galet rond et lisse faisait toujours plus plaisir qu'un gros bloc coupant et difforme. C'était aussi beaucoup moins encombrants et plus pratique à mettre dans sa poche.

En début d'après-midi, l'adolescente était partie récupérer tout le matériel nécessaire dans une classe et se dirigeait à présent vers une table de pique-nique dans le grand parc. Travailler dehors présentait moins d'inconvénients et ne salissait pas. De plus, l'air frais de l'hiver pourra la revigorer un petit peu.

Dans sa caisse, quatre roches : une rose, une jaune orangé et deux vertes. D'ici à la fin de l'après-midi, elle devrait pouvoir s'en tirer avec un collier, et quelques petites gemmes. Le travail allait être ardu et demanderait beaucoup d'attention, mais ça n'effrayait pas la blondinette. Tout ce qu'elle voyait, c'étaient les sourires des autres quand elle leur tendrait son présent.

En prime, dans son petit sac en bandoulière elle avait mis du sparadrap et du désinfectant au cas où un accident surviendrait (ce qui était statistiquement possible à 96,44%). Des égratignures sont si vite arrivées... D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle n'a jamais pu terminer une session de sculpture sans s'érafler un minimum. Ce n'était jamais bien grave, mais la catastrophe la guettait à chaque instant. De toute manière elle est encore jeune. La maîtrise viendrait avec l'expérience et l'expérience vient avec le temps. Dans quelques années on s'arracherait ses joyaux !

La table qu'elle choisissait toujours était à quelques mètres de la fontaine. De là, on pouvait observer les autres flâner ou commencer une nouvelle romance. D'ailleurs un jour, elle avait même donné une pierre de lune à un couple fraîchement formé (on l'utilise pour trouver l'équilibre amoureux et elle accorde la protection deux amants). La demoiselle semblait ravie mais le garçon un peu moins. Peut-être qu'il n'avait pas aimé cette intrusion... Il était resté silencieux, mais Aline avait compris qu'il fallait qu'elle s'en aille vite. Elle les croise encore de temps à autre, et accepte volontiers d'énergiser de nouveau leur minéral.

En passant à côté de la petite construction, Aline était encore occupée à répertorier ses affaires. Elle voulait être sûre de ne rien avoir omis. Alors qu'elle était concentrée, le regard vissé dans son cageot, elle sentit son pied déraper sur une surface glissante. DU VERGLAS ! Elle faillit perdre l'équilibre mais se stabilisa de justesse. Elle patina maladroitement sans pouvoir s'arrêter et se retrouva avec horreur sur le chemin d'une jeune fille rousse tombée d'on ne sait d'où. La patineuse improvisée tenta de freiner par tous les moyens mais ses mains étaient prises et il n'y avait aucun appui nul part.

« Attention, attention, AAAATTT... » collision dans trois, deux, un.

Est-ce qu'elle venait de bien voir ? Alors qu'elle s'attendait à ce que tout parte en vrille, la situation s'arrangea comme par magie. Via on ne sait quel tour de passe-passe, son cageot se retrouva dans les mains de la rousse apparue il y a quelques instants. Ainsi, aucun dégât ne fut à déplorer. Si seulement ses accidents se terminaient plus souvent comme ça !

Aline tenta de retrouver une certaine contenance puis observa sa bienfaitrice. Elle semblait aussi impassible qu'une statue. Un peu comme si c'était son quotidien de sauver les autres d'une mésaventure. C'est peut-être son alice après tout ? Une sauveuse qui serait toujours là, au bon moment et au bon endroit. Dans ce cas elle risquait d'avoir beaucoup de travail avec elle...

La jeune fille avait de grands yeux bleus qui ne perdaient aucune miette de tout ce qu'il se passait. À côté de ça, elle ne prononça pas un seul mot ce qui ne rassura pas la blonde. Attendait-elle des excuses ou des remerciements ? Elle finit par trancher pour la deuxième option.

«Merci, merci vraiment beaucoup ! Si j'avais encore cassé l'un des outils de l'académie ça aurait été une vrai cata, dit-elle reconnaissante. »

Maintenant que la machine était lancée, elle se sentait obligée de se justifier. Le regard scrutateur auquel elle faisait face n'aidait pas du tout. Elle ne voulait pas que la petite demoiselle pense l'avoir surprise en flagrant délit de vol !

«En fait je me dirigeais vers la table un peu plus loin pour sculpter mes pierres précieuses. Si tu jettes un oeil dans la caisse que tu portes, tu verras qu'il y a quatre roches qui n'attendent que d'être embellie. J'espère pouvoir même faire un collier artisanal. J'en ferai sûrement cadeau à des gens ensuite. »

Avec un sourire, Aline tendit les bras pour lui montrer qu'elle pouvait récupérer ses affaires. Ça devait peser beaucoup pour ces petits bras... Elle ne voudrait pas la fatiguer plus que de raison. L'idéal aurait été quand même de lui demander de porter le caisson jusqu'au bon endroit, mais elle ne pouvait pas abuser de sa chance ni de la gentillesse de son ange gardien du jour. Si le verglas voulait de nouveau lui jouer un mauvais tour, eh bien... tant pis.

« Qui aurait cru que la fontaine était si machiavélique, dit-elle sous le ton de la confidence pour plaisanter. Tu peux compter sur moi pour déjouer ses pièges démoniaques ! »

Le soulagement de la jeune fille lorsqu'elle lâcha la caisse était palpable. Elle n'aurait pas tenu encore bien longtemps la pauvre. Quel dommage qu'Aline n'ait pris aucun galet taillé dans son sac à bandoulière... Elle s'était dit que c'était inutile vu qu'elle allait en créer de nouveau, or maintenant elle en aurait bien donné une à cette brave petite pour l'avoir aidée. Peut-être un autre jour, si elles se recroisent (ce qui pourrait arriver vite si l'alice de sa bienfaitrice est de sauver les autres).

Après le conseil reçu à propos du verglas, elle fit un signe de tête en souriant à son interlocutrice pour lui dire au revoir. Sans attendre spécialement de réponse, elle se mit à marcher en direction de sa table habituelle. Cette fois-ci elle avait bien retenu la leçon. La blondinette n'était plus concentrée sur le contenu de son cageot mais plutôt par terre. Elle avait eu de la chance une fois, mais elle n'en aurait sûrement pas deux.

Alors qu'elle avançait, l'image de la rousse observant ses gemmes lui revint. Sa curiosité l'avait touchée. Qu'est-ce qu'elle s'était dit derrière ses grandes prunelles bleues pendant qu'elle les examinait ? Elle qui semblait si imperturbable et impassible, avait-elle ressenti un quelconque intérêt au projet d'Aline ? D'ailleurs comment se faisait-il qu'une si petite fille ait ce regard ? Normalement à cet âge on rigole, on est insouciant... Là on aurait dit qu'elle avait déjà tout vu, tout vécu. Son coeur se serra lorsqu'elle pensa à l'éventualité d'une expérience traumatisante. Ici, les élèves ont tous un passé et ce n'est pas toujours joyeux...

La demoiselle mélancolique avait l'air d'errer sans but dans le parc, tirant une tête qui n'est pas supposée être compatible avec son âge. Très vite, l'envie d'y remédier naquit dans l'esprit de la sculptrice en herbe. Il fallait faire quelque chose. Cependant que pouvait-elle faire pour lui procurer un peu de gaîté ? Elle-même savait que les autres la considéraient comme ennuyante, alors de quelle manière devrait-elle s'y prendre ? En baissant les yeux, l'idée émergea d'un coup. Un peu comme une évidence prête à vous sauter dessus. Après ses quelques pas, elle s'arrêta net et se retourna, un énorme sourire aux lèvres.

« Tu sais... je pense que j'aurais bien besoin d'aide dans mon travail, lança-t-elle faussement gênée. Est-ce que tu voudrais m'aider ? Ce serait amusant, et au moins j'aurais quelqu'un pour me tenir compagnie ! »

L'invitation était lancée. Aline espérait de tout son coeur qu'une réponse positive s'en suivrait. Bon, elle allait probablement exposer sa sauveuse à des risques inconsidérés à cause de sa maladresse, mais en veillant au grain, tout devrait bien se passer ! De plus, ce qu'elle n'avait pas dit, c'était qu'à la fin elle lui réserverait une petite surprise.

Objectif du jour : faire sourire cette âme résignée !

« Géniaaal ! S'exclama la blondinette en trottinant sur place. Viens avec moi, on va aller se poser là-bas. »

Oublié le verglas et les outils potentiellement manquants. Comblée de joie, elle sautilla jusqu'à son lieu de travail et y déposa la caisse. Une fois la petite rousse à ses côtés, elle décida de faire l'inventaire des outils avant de commencer le travail. Il fallait lui expliquer à quoi servait tous ces jolis instruments ! Certes ses indications ne voleraient pas haut car elle était encore loin d'être experte, mais elle en savait quand même un petit bout.

« Donc tu vois, ça c'est un burin. Je l'utilise avec le maillet pour casser les gros blocs. On le prend comme ça et... »

Aline passa quelques minutes à expliquer à quoi servait chaque objet. Elle était si excitée à l'idée de faire découvrir la sculpture à quelqu'un, qu'elle ne pensa même pas à la possibilité d'ennuyer son apprentie. Le visage rayonnant, elle parlait avec assurance et à l'aide de grands gestes. Elle prenait très à coeur son rôle et était aux anges que cette petite bouille l'écoute (ou du moins, fasse très bien semblant).

« C'est tout pour nos accessoires. Maintenant passons aux pierres, déclara l'experte en lithothérapie. La jaune, c'est une Citrine. Ses éclats clairs sont tellement doux, personnellement ils me font penser à la couleur de la chair d'un citron ! La vert clair c'est une Fluorite et celle plus foncée une Malachite. La dernière, c'est bien sûr un quartz rose, l'une de mes préférées. Chacune dégage une énergie différente, c'est vraiment fascinant... »

Les yeux brillants, elle s'était de nouveau lancée dans une tirade sur l'histoire des pierres. Comme quoi chacune s'était retrouvée attribuée de vertus sans qu'on ne sache pourquoi. L'optimisme et la joie pour la Citrine. La purification pour la Malachite. La créativité et la réflexion pour la Fluorite. Enfin l'amour et l'apaisement pour le quartz rose. Elle ne parla toutefois pas de son alice, se contentant simplement de lister les pouvoirs potentiels que ces roches pouvaient posséder. Dans ce domaine-là, elle était intarissable. Cependant il fallait quand même bien s'arrêter à un moment, sinon les deux demoiselles passeraient la nuit dehors.

Après s'être arrêtée quelques secondes pour reprendre son souffle, Aline s'empara d'un premier minerai et poursuivit :

« Voilà ce que je te propose. Je divise les blocs, ensuite tu choisis quelques morceaux et tu frottes avec le papier de verre. Ça t'irait ? Si tu vois qu'il y a encore des piques, tu peux même utiliser une lime. Comme ça à la fin on aura de jolis galets tout polis et translucides ! »

Joignant l'acte à la parole, elle se saisit du cristal jaune et donna un grand coup dedans à l'aide du burin et du maillet. Celui-ci éclata en plusieurs petits bris qu'elle continua à casser avant de passer à un autre gisement. Elle aurait eu trop peur de donner cette tâche à la jeune fille. Même en faisant attention, ça restait dangereux. De tout petit grain volaient de temps en temps et en recevoir un dans l'oeil faisait très... très... très mal. De plus, la maladroite pourra voir quel fragment de couleur attirera la rouquine en premier. Ce sera probablement très révélateur.

« Au fait, je m'appelle Aline. J'ai quinze ans et je suis au lycée, en classe E. Et toi ? »

Le moment le plus intéressant était enfin arrivé (évidemment les pierres c'est bien hein ! Mais faire connaissance c'est tout aussi chouette...). En travaillant, elles pourront discuter et la plus grande comptait bien comprendre pourquoi la plus petite paraissait aussi stoïque.

Finalement la jeune rousse s'était limitée à saisir l'éclat le plus proche... Tant pis, elle devinerait autrement. En la voyant mettre la main à la pâte, une douce chaleur s'empara d'Aline. C'était bien la première fois que quelqu'un participait à un de ses ateliers. Pourvu qu'elle apprécie ! Ce n'est peut-être pas la chose la plus excitante du monde, mais le rendu en vaut la chandelle.

Ainsi la petite s'appelait June. Elle n'était pas très loquace, mais ce n'est pas grave. La blonde savait faire la discussion. Quand on passe autant de temps à vivre à travers les autres en regardant par la fenêtre, on finit par bien connaître les rouages d'une bonne conversation.

« Enchantée ! Je suis bien contente de t'avoir rencontrée June, fit-elle en souriant gentiment. »

Elle laissa flotter un silence le temps de terminer de réduire les quatre énormes blocs. Après ça, il fallait passer du gros au détail. Soit en ne faisant plus que du polissage, soit en donnant des formes aux bris pour qu'ils soient plus faciles à frotter. On pouvait ainsi faire des coeurs, des losanges, des ovales... C'est pour cette raison qu'elle se saisit du ciseau à pierre.

« Ce n'est pas la première fois qu'il m'arrive d'avoir des accidents tu sais. J'ai bien dû bousculer une personne sur deux dans l'académie sans le faire exprès... On m'appelle le cataclysme pour tout te dire, expliqua-t-elle en riant doucement. D'ailleurs j'espère que je n'ai pas perturbé tes plans. Qu'est-ce que tu faisais quand tu m'as sauvée ? »

Comme pour illustrer ses propos, la maladroite frappa un peu trop fort un morceau de roche et celui-ci s'écrasa violemment par terre. Elle regarda son apprentie l'air de dire je te l'avais dit, puis hocha les épaules avant de reprendre ce qu'elle faisait.

«Un jour j'ai déjà reçu un éclat en plein sur la joue. Ça m'a un griffée, mais heureusement je n'ai pas saigné. Mine de rien ce travail demande beaucoup d'efforts. Elle fit une pause, puis continua. Est-ce que toi tu as des passes temps ? Tu es inscrite à des clubs ? Figure-toi que moi je suis dans celle de danse ! On n'aurait pas dit hein ? »

Elle non plus n'aurait jamais parié sur ça, mais c'était bel et bien vrai. Tout ça grâce à une amie qui s'était mise en tête de la sortir de sa coquille et qui l'avait lancée sur les rails. Aline avait mis beaucoup de temps avant de rejoindre un club. À vrai dire elle ne voulait pas se mêler aux autres plus que nécessaire et provoquer encore plus de catastrophes à cause de ses maladresses. Cependant depuis peu, elle avait pris la décision de changer. De toute façon qu'elle se cache ou se montre, l'étourderie la suivrait probablement pour toujours.

Elle observa celle avec qui elle discutait et lui un offrit un sourire emprunt de douceur et de bienveillance. Inutile de ressasser le passé, il fallait se focaliser sur l'instant présent.

Au moins elle n'allait pas par quatre chemins quand on lui posait une question. Les réponses de June étaient concises et allaient droit au but. Aline ne saura donc pas si c'est une habitude pour elle de profiter d'une éclaircie pour aller se promener au parc, ni pour quelle raison elle avait choisi le club d'athlétisme. Soit, de toute manière la blondinette avait encore en stock des dizaines de sujets. Alors qu'elle s'apprêtait à lui demander si elle se plaisait à l'académie, elle remarqua que la rousse s'était arrêtée de polir une Fluorite. Elle semblait pensive, plongée dans les reflets vert pastel de la roche. Il semblerait bien qu'on approche de quelque chose.

« Elle te plaît ? C'est vrai que les teintes sont jolies. On dit que les Fluorite ont un effet stabilisant et remet un peu d'ordre dans la tête de son porteur, déclara la spécialiste. On dit aussi qu'elle fait des miracles avec les nez bouchés, ajouta-t-elle en éclatant de rire. »

Étrange... D'instinct, elle aurait associé la jaune à la rousse. C'est celle qui aurait eu le plus d'effets positifs sur son esprit selon elle. Pourquoi donc une pierre de protection avait décidé de l'appeler à la place ? Car oui, Aline était persuadée que les pierres précieuses pouvaient faire en sorte d'attirer votre attention. C'est vrai que sans son alice, les vertus sont minimes voir inexistants, mais si les gens se sont mis à y croire, c'est qu'il y a forcement une part de vrai dans tout ça.

Elle aurait voulu ajouter autre chose, mais elle sentait que c'était le moment de laisser sa bienfaitrice parler. On ne réagissait pas ainsi pour une simple chose qu'on trouve belle. Il y avait sans doute une autre raison derrière. Pour encourager la fillette à se livrer, elle tenta quand même une approche.

« Elle te fait penser à quelque chose en particulier ? J'ai le même regard quand je regarde mon quartz rose, fit l'adolescente. C'est la seule pierre qui me suit partout où je vais. C'est ma maman qui me l'avait donnée quand j'étais plus petite et à chaque fois que je la tiens dans mes mains, je pense à elle et me dit qu'elle doit être aussi en train de penser à moi. »

Sur ces mots, Aline déposa les outils qu'elle tenait et sortit son bien le plus précieux de sa poche pour lui montrer. Il n'était pas plus gros qu'une pièce et son rose translucide était si doux qu'il suffisait à la sculptrice de le regarder pour se sentir immédiatement apaisée. La surface était lisse et on pouvait en faire le tour sans rencontrer aucune rayure. Il s'agissait probablement de la roche la plus puissante de toute la collection de la blonde. Étant en perpétuel contact avec sa propriétaire, l'énergie qui en émanait se retrouvait alimentée en boucle permettant aux vertus de faire leurs effets.

Cette petite allait probablement recevoir des ondes. Pour en ressentir pleinement la force il fallait l'avoir sur soit, mais être à proximité marchait aussi. Tant mieux, être enveloppée d'un peu d'amour ne lui fera pas de mal. D'autant plus que le regard qu'elle a actuellement, bien que touchant, tiraillait le coeur d'Aline qui voulait l'alléger un peu.

La réponse de June était si attendrissante que personne n'aurait pu rester de marbre face à elle. Sa mère devait vraiment beaucoup lui manquer. C'était sans doute pour ça que la jeune fille portait ce regard si déconcertant sur son visage. Quand elle était arrivée, Aline aussi pensait beaucoup à ses parents. Elle y pense toujours d'ailleurs, mais elle s'était fait une raison. Elle n'avait pas beaucoup de souvenirs de sa petite enfance, et ne savait même pas comment elle avait atterri à l'académie. Son papa et sa maman n'auraient certainement jamais pu l'y envoyer, ça c'est certain ! Du coup en attendant d'être libérée, elle essaie de devenir une femme accomplie. Elle ouvrirait son propre magasin spirituel et se présenterait devant eux pour les rendre fiers comme jamais. Leur petite fille s'en serait sortie et pourra réintégrer leur vie comme si de rien était.

Sans attendre, Aline ouvrit son petit sac et en retira de la pâte à polir ainsi qu'un petit bout de cuir. Elle les déposa devant la rousse, puis s'adressa à elle.

« L'étape finale après avoir utilisé le papier de verre, c'est de frotter avec ça. Ta pierre sera encore plus rutilante, déclara la blondinette. Après l'avoir fait, est-ce que tu pourrais me la montrer histoire de voir à quel point tu es une experte ? »

Elle avait formulé sa demande de la manière la plus douce possible. Il ne fallait pas que la fillette devine son intention avant le dernier moment. Certes elle avait utilisé le possessif en parlant de la roche, mais ça pouvait quand même porter à confusion. Elle craignait également que June pense qu'elle voudrait la garder pour elle-même, ce qui est totalement faux...

À partir de cet instant, au lieu de continuer à rajouter d'autres phrases, elle prit la décision de l'observer sans plus rien ajouter. Pour Aline, quelque chose s'était créé entre les deux filles. Une sorte de complicité que seules elles pouvaient comprendre. Le silence pendant que sa jeune amie procéderait à l'étape finale ne sera absolument pas gênant pour elle. Peut-être même que ça encouragerait l'autre à continuer de parler ?

Lorsqu'elle aura fini, l'experte en lithothérapie tendrait la main pour récupérer le galet et c'est à ce moment-là que la magie opérera. Elle n'avait aucunement envie de vérifier le travail de son apprentie d'un jour. De toute manière d'après de ce qu'elle avait pu voir, l'ouvrage était sûrement d'une qualité admirable.

Son coeur était en train de fondre. Voir la fillette aussi appliquée dans son travail rendit Aline tellement fière et heureuse. La petite prenait vraiment la chose au sérieux et n'oublia aucune partie du galet qu'elle tenait entre ses doigts. Très vite, la Fluorite devint encore plus magnifique qu'avant et elle ne le devait qu'à une seule personne : June.

Écoutant ce que la blondinette lui avait demandé il y a quelques instants, celle-ci lui donna la roche et patienta. Avec un sourire, l'adolescente s'en saisit et ne vérifia même l'ouvrage. Il était parfait à ses yeux et elle espérait que sa future propriétaire partagerait le même avis. La rousse pouvait être satisfaite, elle venait de créer sa première gemme.

Sans dire un mot, Aline porta la pierre à son coeur et ferma les paupières. Elle se concentra et focalisa son esprit sur toute la tendresse qu'elle ressentait pour la petite bouille devant elle. Rapidement, les vertus commencèrent à affluer dans le minéral et il gagna en énergie. L'experte donna tout ce qu'elle pu, l'envie de faire plaisir à celle qu'elle considère comme sa nouvelle amie la motivant. Avec cette dose-là, le cristal était parti pour quelques semaines.

En ouvrant les yeux, l'expression de la blonde s'adoucit et elle offrit un sourire bienveillant à June. Lui tendant son cadeau, elle pu enfin procéder à ce qu'elle avait prévu de faire depuis le début. C'est le moment de se lancer !

« Elle est à toi, je te la donne. D'après ce que j'ai vu, elle te plaît et je suis sûre que tu y feras très attention. Mon alice est lié à la lithothérapie. Je peux insuffler des propriétés aux pierres précieuses et c'est ce que je viens de faire pour celle-là. Tous les pouvoirs dont j'ai parlé qui sont liés à la Fluorite sont maintenant actifs et tu en ressentiras très vite les effets. »

Elle pria pour qu'enfin, le visage de la demoiselle s'étire et qu'un joli sourire s'y dessine. Elle voulait qu'elle sache que si jamais la rousse voulait bien de sa personne, la maladroite était prête à devenir son amie. Tant pis qu'elle ne soit pas du genre bavarde, ni qu'elle reste impassible devant tout. Avec le temps, elle lui réapprendra à s'amuser et à rire aux éclats !

« Je vais te donner mon numéro, ajouta Aline. Tu pourras m'appeler quand tu voudras pour recharger ton galet. Je le ferai avec plaisir. Sache que je serai aussi toujours ravie de tailler des pierres avec toi ou même de faire autre chose, alors n'hésite pas à me contacter. »

Est-ce qu'elle en avait fait un peu trop ? Secrètement inquiète, elle observa attentivement la réaction de son interlocutrice. Pourvu qu'elle ne réagisse pas mal, après tout elle ne voulait que bien faire. On avait bien dû placer sa bienfaitrice sur son chemin tout à l'heure pour une bonne raison. Alors quelle meilleure raison que de tenter de lui ôter ce masque impassible de la figure ?  

Si la blondinette avait pu se mettre à danser, elle l'aurait fait. Une joie immense l'envahit et elle émit un petit rire d'enfant. June venait de sourire ! Elle avait troqué son expression stoïque contre une risette, ce qui lui allait tellement mieux. Avant d'accepter le cadeau, elle avait hésité un court instant, mais le désir d'avoir une chose lui rappelant sa maman l'avait emporté. Aline comprenait très bien ce sentiment, elle ressentait la même chose pour son quartz rose.

La magie ne s'arrêta pas là. Après l'avoir remerciée, la rousse lui avait fait part de son accord pour se revoir. Est-ce le début d'une amitié ? La maladroite en était convaincue. Elle voyait déjà d'ici toutes les activités qu'elles pourraient réaliser à deux, voir plus ! Comme quoi, à partir d'une simple chute, une nouvelle histoire pouvait débuter. L'étourderie d'Aline avait ses bons côtés au final ...

« Trop bien, je suis si contente que tu acceptes ! S'exclama la plus grande des deux en applaudissant silencieusement. Dit toi que ça me fait énormément plaisir que tu gardes cette gemme, je suis sûre qu'elle est entre de bonnes mains ! Après tout, c'est toi qui l'as faite... Je ne sais pas toi, mais je sens qu'on va bien s'entendre ! »

Evidemment elle laisserait le temps à la rousse de revenir vers elle. Il ne fallait pas qu'elle soit collante non plus. D'autant plus que la petite devait sûrement être du genre à apprécier sa solitude. Elle était pareille il fut un temps. Toutefois depuis le lycée, elle s'est rendu compte qu'en fait il y avait du bon à côtoyer des gens (même si à tout moment, ceux-ci risquaient de se casser une jambe avec elle dans les parages).

Se rendant compte qu'elle n'avait pas répondu à la première question de sa nouvelle amie, Aline se reprit et énonça tout sérieusement :

« Eh bien, c'est principalement une pierre protectrice contre les énergies négatives et qui stabilise aussi les émotions. Elle calme l'anxiété et est idéale pour la réflexion et l'apprentissage. Si un examen approche et que tu l'as avec toi, tu peux être sûre de réussir, ajouta l'experte en faisant un clin d'oeil. En fait grâce à elle tu verras l'avenir sous un meilleur jour. »

Elle pouvait continuer encore longtemps ainsi, mais elle préféra s'arrêter là. Elle venait de parler des vertus les plus flagrantes et c'était suffisant. June découvrirait les autres avec le temps, ce seront ses petites surprises occasionnelles. De toute manière il était clair que ce n'était pas pour ses pouvoirs que la fillette avait bien voulu de la Fluorite. Ce sera simplement une sorte de bonus.

« Je ne vais pas non plus t'en dévoiler la totalité. Je pense que ne pas tout savoir est tout autant bénéfique. Tu te rendras compte de toute l'ampleur des vertus de ta roche avec le temps, fit-elle en souriant. Après une pause, elle aspira un bon coup, puis enchaîna : bien, et si on continuait à travailler maintenant ? Au risque de te faire fuir, je n'ai pas encore épuisé mon stock de sujets de conversation. De même que tu peux me poser toutes les questions que tu veux sur la lithothérapie, je suis incollable. »

Elle rigola doucement, puis se concentra sur ce qu'il y avait sur la table. Il était inutile de gêner la jeune fille en continuant à parler davantage de sa nouvelle acquisition. Si elle voulait poursuivre, elle lui avait ouvert une porte sinon elles parleraient d'autre chose.

Mine de rien, Aline avait le coeur gonflé de fierté. L'adolescente à côté d'elle n'avait rien demandé et voilà qu'elle lui tombait littéralement dessus. S'étant faite embarquer dans un atelier sculpture, elle ne rechigna pas une seule fois. De plus, son air sérieux lorsqu'elle s'appliquait était si attendrissant et son sourire si adorable... et pourtant si rare. Dans l'esprit de la blondinette, l'envie de la décharger de ce regard inexpressif était plus grande que jamais. Quoi que cette jeune demoiselle ait vécu, elle allait tout faire pour lui insuffler un maximum d'optimisme et d'allégresse. S'il y a bien une chose qu'elle ne pouvait pas permettre à l'académie en plus de priver ses élèves de leurs parents, c'est de les happer dans une sorte de quotidien morose, terne et sans vie. Un quotidien qu'elle connaît trop bien.

Des couleurs ! C'est ça, c'est ce qu'Aline va faire ! Elle va innonder son amie de couleur pastel jusqu'à ce que plus aucun endroit sombre ne subsiste nul part. Jusqu'à ce que ce sourire soit bien fixé sur cette petite bouille désarmante.