vous savez, ça n’a rien de grave, rester couché. c’est important. détendre le corps, délier les membres. il faut rester couché le temps qu’il faut, le temps nécessaire pour réparer les muscles. et l’esprit aussi. on dira que c’est plus confortable un lit qu’un plancher, mais ça dépend des moyens vous savez.

là, maintenant, pepo n’a pas d’autre choix que de rester couché sur le sol. les cahiers, l’étui, les manuels. ça attendra avant qu’on les ramasse, ce n’est pas grave. que du matériel. dans le couloir, les élèves partis. dans le couloir, sa grande perche étalée. l’avantage c’est que l’endroit désormais sera propre.

alors pepo ne s’inquiète pas pour l’hygiène. le sac à dos, deux mètres plus loin. ils l’ont traîné avec eux, se sont ennuyés, l’ont laissé tomber dans le tri. ils ne doivent pas être sensibles à l’environnement. au lieu de le mettre dans la section récup, ils l’ont foutu dans la section poubelle.

noter qu’il faudra leur suggérer un peu d’éducation. c’est important à notre siècle, la question écologique.

ils sont partis parce qu’il s’est écroulé. ils ont cru à un malaise. pepo, fier de son pouvoir caché. à tout coup, ça fonctionne. fixer les fissures et les compter. on ne sent pas le corps s’effondrer. devant ses yeux, une minuscule vingtaine, des craquelures de vieillesse. à force d’élèves en direction des classes ou des dortoirs.

ça donne un charme au plancher. aux limites entre lui et les murs.
pepo recompte la quinzième lorsqu’il t’entend venir. c’est ton pas unique. on le reconnaît. on s’y est accroché les jours de solitude. quelque chose de spécial que pepo n'arrive pas à oublier. on te reconnaîtrait, sourd, muet et aveugle. avec toi, on sait que les choses se terminent toujours mieux.

oh, bonjour arcturus.

lève les yeux. tout sourire.

bonne année ! les camarades viennent de partir et tu arrives. c'est un bon début 2020, j'ai fait du social. tu vas bien ?

cligne des yeux, pepo. ne comprend pas.

c’est quoi un fétichisme ?

puis sourit. croit saisir l’humour d’arcturus, après tout, c’est vrai que maintenant, plus de raisons que ce soit crade. pepo a cherché le mot dans le dictionnaire, synonyme de sale, pour résumé. alors tout sourire, mais pas le temps de répliquer

on se sent soulever de terre sans pouvoir réagir. se laisse faire pepo, se souvient soudain qu’il n’a pas son cahier moleskine bleu ainsi que son crayon hb. se souvient, tandis qu’arcturus lui parle d’humiliation – je me fais humilier ? – les avoir laissés dans son sac. que son sac se trouve, dans l’état actuel des choses, dans la mauvaise section du tri.

yeux fixes sur le visage d’arcturus. il est concentré, pepo. on y croit. c’est pour cela qu’il ouvre la bouche, répond

mais

cligne des yeux, pepo.

qu’est-ce que tu veux dire ? ne t’inquiète pas arcturus, ils ne m’ont pas marché dessus. sinon tu verrais des traces de pas sur mon uniforme. mais c’est gentil de préciser, précision particulière, qui se fait marcher dessus, tu me diras ? par contre, je crois qu’on aime bien mettre mon sac dans la mauvaise poubelle, regarde.

toujours soutenu par arcturus, pepo pointe deux mètres devant lui.

si j’ai bien compté, c’est la quatrième fois depuis le début de l’année.

rien de grave, tu le sais, puisqu’il suffit d’un toucher et c’est réglé. situation propre, comme si rien ne s’était passé. comme si les coups jamais n’étaient portés.

ma résolution, ce serait qu’on me laisse mon cahier avant de jeter mon sac. heureusement que je recopie mes notes dans l’ordinateur, avant de me coucher. et toi, arcturus ? quelles sont tes résolutions ?

puis le visage se déforme. on sent le corps, ainsi planté dans l'espace, on le sent souffrir de son contact avec les camarades de classe.

on se sent comme un enfant grondé quand tu le tapes ainsi derrière la tête. alors on se fait petit. un peu.

je ne comprends pas. et je suis persuadé que la température de mon corps se situe aux environs de 36,6 degrés. je serais bien mort mort avec un seul degré arcturus.

se pince les lèvres, index joints par le bout. on regarde ses pieds avant de lever les yeux vers lui. toujours des petits soleils dans ses iris. qui le suivent lorsque arcturus repêche son sac. et on ne s’en fait pas pour le dégoût, c’est normal. pepo ferait tout comme s’il ne possédait pas son alice.

alors on prend la sangle de son sac avec un merci arcturus ! éclatant. on presse l’objet contre soi en passant les mains sur le zipper, le devant. la magie de monsieur net ; avant la peau, saleté, la peau écran, après la peau, propreté. avouez vous êtes époustouflé. on y croit.

pepo ouvre son sac, petit soupir en voyant son cahier moleskine bleu intact. puis on se penche vers les fournitures au sol.  

oh, mais tu sais, aujourd’hui ça va très bien. ne te fie pas à mes grimaces, je n’avais pas besoin d’aide puisque c’est ce que font les garçons entre eux, quand ils sont amis, non ? ils se donnent des coups de poing et des claques sur les bras. seulement je n’ai pas beaucoup de gras alors c’est normal que ça fasse mal.

vérifier que les coins de pages sont bien restés pliés. c’est important, ce sont les exercices à faire pour le prochain cours.

pardon arcturus, je ne veux pas te fatiguer. tu devrais aller te coucher. c’est important un bon repos. et puis

pepo fronce les sourcils, moue qui se veut terrifiante.

je sais me défendre ! mais pourquoi tu dis ça ? j’ai besoin de me défendre ? contre qui ?

on lui dit écoute. comme un enfant sage, pepo écoute. planté avec ses cahiers, pas pris le temps de les ranger dans son sac. des feuilles retombent sur le sol. hoche la tête pepo, mais vrai ; ne comprend pas ce que tu entends par tirer les nerfs et donc ça veut te dire que ça ne peut se faire sécuritairement parlant qu’en bloc opératoire, tirer les nerfs ; et ça veut te dire qu’on aime bien jouer et qu’on a hâte de savoir les règles du jeu

et puis non, ça ne veut rien dire. pepo mu par ton commandement, arcturus.

super ! où est-ce qu’on va cette fois ?

pas très loin. laisse tomber à nouveau son matériel, rendu à la poubelle, escalade, s’installe façon ordure. pas très recyclable, certes. ça fait pouf à travers les cœurs de pomme, les mouchoirs, les papiers plastiques et du café froid gaspillé. on le sent dans son dos.

fixe arcturus. pepo perdu. le cerveau transmet l’information, même quand il disparaît de sa vue.

mais

bouge un peu. un cœur de pomme roule sur son torse. le prend entre le pouce et l’index. penser à le mettre au compost. c’est pour la planète.

mais arcturus. ça veut dire

pas certain de ce qu’il assimile.

si tu m’as mené à la poubelle, c’est que tu te moques ? c’est une blague c’est ça ? mais je ne suis pas une victime, arcturus. et tu es mon ami n’est-ce pas.

gigote. mains sur les bords. force. s’extirpe et un mouchoir de sa tête choit au sol. cœur de pomme dans la main. se secouer. on dirait un chien.

je dois t’avouer, je ne comprends pas très bien. ils ne m’ont pas mis là-dedans tu sais. c’est toi qui viens de le faire. alors ça voudrait dire qu’ils me voient comme un ami et toi tu me vois comme

pince les lèvres. trois secondes. il a bien compté.

un faible ?

pas possible. et la partie gauche du cœur fait une pompe de plus. rien qu’une, parce que tu es tellement spécial à ses yeux, arcturus. vrai que tu ne lui voudrais jamais de mal. vrai ?

et je ne m’assemble pas aux déchets, je les assemble, nuance. c’est pour leur donner une seconde forme, c’est important la récupération.

et pepo fait allusion aux petites créations de sa chambre. tessons, trombones usés, cannettes vides, paquets de cigarette. on réinvente avec ces restes.

je t'ai fâché ?

pour que tu places dans une même phrase moi
et le mot « déchet ».