Alexis comme une enfant avait bravé le temps pour arriver jusqu'ici, et il lui avait fallut un peu plus d'un instant pour se reprendre totalement -récupérer son souffle et, après s'être redressée, t'adresser à toi, Anaël, ce petit sourire empreint de nostalgie. Tu la faisais courir, la rendant souvent en retard et pourtant à cet instant précis c'était un peu comme si tout était oublié, qu'elle te pardonnait ces faits pour lesquels en réalité elle ne t'en avait jamais voulu. Parce qu'ici en ces lieux, ce soir vous prierez le repos, la paix et la reconnaissance. Granita méritait mieux qu'une insulte, pas vrai ?

Quoique.

« T'es grave relou tu le sais ça ? n'empêche qu'elle t'aime bien quand même. J'voulais participer à l'autel franchement t'abuse. puis elle avait soupiré, sans s'excuser de son propre retard. »

À la place elle avait fouillé ses poches à la recherche du présent qu'elle avait acheté avec Teagan dans l'après-midi. Elle y avait claqué ses derniers deniers, les quelques trop rares qu'elle était parvenu à économiser puis à garder en huit mois. Rien était trop beau pour Granita après tout. Un regard doux posé sur les cailloux enneigés puis elle s'abaissa pour y poser ses doigts comme une caresse sur la pierre gelée.

« On aurait pu devenir de grands amis toi et moi, tu sais ? un silence et puis... Bon. Anaël aide-moi à retrouver mon cadeau j'ai les doigts trop gelés pour le sentir, qu'elle avait dit tout en se redressant vers toi. »

Les bras levés en signe d'approbation, elle t'invitait à fouiller ses poches à sa place. Après ça la cérémonie pourrait commencer.

Un rire dans la nuit alors qu'elle s'abaissait déjà pour terminer les préparatifs.

« Tu m'laisses le meilleur c'est ça ? Trop d'honneur merci et ça s’esclaffe encore en déposant la dernière pierre avant de la cajoler du bout des doigts. »

Alexis n'était pas vraiment du genre sentimental, elle n'y connaissait rien et la plupart du temps même fuyait la douceur et la tendresse que tout ça engendrait. C'était bizarre après tout, elle était plus habituée aux journées pleines de rires et d'engueulades qu'à ces signes d'affection évidents. Seulement aujourd'hui c'était un peu spécial. Un peu spécial parce que déjà volaient toutes ces étoiles dans le ciel et puis on commémorait Granita. C'était pas n'importe qui Granita, pas n'importe quelle grenouille.

Alors l'effort au moment de se relever ne fut pas si difficile et malgré la grimace qui tire les traits un court instant à la remarque, « pffff grave sans coeur le mec quoi » -réellement outrée de savoir que tu laisserais ses pauvres doigts seuls dans la neige Anaël, vraiment- le sourire revint bien rapidement. Apparition surprise du bonbon offert par Teagan un peu plus tôt, et ça avait illuminé son regard de mille étoiles.

« Aaaah c'est là quelle était ? J'le cherchai j'le trouvais pas omg, thanks bro' ! des mots qui ne sortaient pas souvent. »

Finalement des poches tu en sortis une petite boîte -vraiment toute petite !- qu'elle s'empressa d'attraper pour l'ouvrir et te dévoiler son super cadeau de la fête des étoiles.

« C'est une bougie verte, pas très grande et un peu bizarre, regarde elle a une tête de grenouille ! ou de têtard, et dessous c'est une étoile ! à peine visible, pour remplacer les nénuphars habituels. Elle est chouette hein ? En plus le vendeur m'a dit quelle faisait des étincelles comme des feux d'artifices en brûlant ça doit être trop bien ! »

Le sourire si grand elle avait déposé l'objet au centre de l'autel-bite puis elle s'était tournée vers toi, l'air soudain un peu bête.

« T'as un briquet... ? »

Tellement fauchée qu'elle avait oublié d'en acheter un, oupsie.

Elle prend les compliments avec un sourire immense sans s'empêcher une remarque à l'encontre de ces pauvres rois mages qui n'avaient jamais rien demandé.

« C'est pas un peu cliché de l'or en plus ? Genre baby Jesus ça va l'intéresser tu parles haha. »

Et à la suite un petit rire presque charmant tandis qu'elle dépose la bougie sur l'autel. Tu la rejoins dans la neige pour allumer la bougie étoilée puis il y eu ce petit instant de silence et de légèreté avant que tu ne lui tendes une cigarette qu'elle choppe du bout des lèvres -ses doigts bien trop gelés pour parvenir à tenir quoique ce soit. Tu l'allumes, un merci glissé à travers la fumée de la première taffe et les consignes sont données. Aragon ou Apollinaire, hein.

« Ok ok attends j'réfléchis. »
Elle va essayer.

Temps de pause histoire de rassembler les idées et de plonger son regard dans la flamme de la bougie brouillée par la clope puis après une inspiration les mots enfin commencent à sortir.

« Je me souviens d'un ciel d'un seul et d'une Reine
Qui ne s’appelait pas vraiment Germaine
Oh Granita ma peine aujourd’hui se noie dans l’amour
Qu’en ce jour nous sommes venus te donner
Toi si belle qui a su un jour nous toucher
Toi dont l’âme s’est approchée un jour
Déesse des eaux venues nous charmer
Repose en paix pour l’éternité
Oh Gratina !
Si femme grenouille que tu étais
Nous sommes réunis pour toi !
Même détruits
Par ce mur qui nous a séparés
Nous continuons de t’aimer à jamais
Amen »

C'était pas très inspiré mais bon, au moins elle avait essayé.

« J'avais pas d'idées, confie-t-elle dans un rire en haussant les épaules. J'vais juste conclure par une citation que j'aime beaucoup ok. Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire
J’ai vu tous les soleils y venir se mirer
S’y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire.
Enfin moi j'perds pas la mémoire c'est la citation, jamais j'oublie Granita. Jamais jamais jamais ! ses bras se croisent en croix au-dessus de sa tête tandis qu'elle rigole encore de sa bêtise -et puis à présent c'est vers toi qu'elle se tourne, Alexis. À ton tour Quinn ! Fais honneur à Granita et venge-moi de l'inspiration qui s'est envolée snif fausse larme essuyée rapidement avant qu'une main ne vienne ébouriffer sauvagement tes cheveux. »

Elle avait toujours adoré ce genre d'instant si simple Alexis.
Souvent elle regrettait qu'ils ne soient pas plus nombreux.

« C'est pour me réchauffer dis rien. »

On cite Aragon le sourire aux lèvres parce qu'on l'aime beaucoup mais aussi parce qu'on sait que ça te fera plaisir. Il n'y a même pas besoin de te regarder pour ça, Anaël, et pourtant c'est bien un clin d’œil qu'elle t'adresse le sourire aux lèvres juste avant de conclure de sa main dans tes cheveux. Elle se réchauffe, elle s'amuse à s'inventer des excuses que vous savez fausses tous les deux mais parce que c'est toi tu joues le jeu et ça lui étire un sourire, Alexis à tes côtés se laisse porter et elle t'attire avec elle autant que tu vous portes vers l'inconnu tranquillement. Ça fait du bien, même lors de ce genre de commémoration, et si on lui demandait elle dirait probablement le contraire mais elle ne regrette pas du tout d'être devenue ton amie. Un peu plus à ses yeux même, maintenant t'es comme la famille.

La complicité au bout des yeux elle se renfrogne pourtant légèrement car pour Alexis c'est toujours difficile de montrer son affection mais bien vite tout s'efface pour laisser place à l'impatience de t'écouter. Raclement de gorge, sa main qui quitte tes cheveux pour se fourrer dans les poches de son uniforme. Tu prends la pose, et sous la fumée qui s'envole le poème s'évade. Solennelle ferme les yeux, Alexis attentive au moindre de tes mots étire le sourire, étouffe un rire et puis te regarde, perplexe quand tu parles d'amour ah ouai on s'aime ? soudain elle sent son coeur qui saute et ça la surprend, cette douceur qu'elle y ressent. Ok on signe. On signe parce que si c'est toi et elle ça passe, elle sait que y a pas d'contrainte, pas d'bordel et que tout sera simple. C'est bien mieux que d'être en couple si tu veux son avis.

À la fin elle retient un amen pur réflexe mais elle a le sourire plus grand encore parce que vraiment c'était beau.

« Non mais grave. Tous les ans j'manque de lâcher une larme mais ça caille trop pour qu'ça sorte. »

Vraiment c'est trop con, quoique ça t'évite d'avoir une éponge à essorer pendant quatre heures -on voit l'ironie des mots ça fait plaisir quand même d'accuser l'hiver au lieu de la personnalité.

« Bon ! et les mains claquent entre elles parce qu'elle aime beaucoup trop le bruit que ça fait. Maint'nant qu'ça c'est fait on passe aux choses sérieuses. »

En réponse aux paroles le sourire s'esquive et la mine est plus grave lorsqu'elle se tourne pour te faire face -mais tu sens l'arnaque parce que y a ses yeux qui ne mentent jamais. Y a un coup fourré, elle se retient d'rigoler.

« Faut renouer avec les vieilles traditions t'crois pas ? repartir en guerre contre le monde, avec toi, contre toi mais avec le smile en contrepartie. »

C'est pourquoi elle s'abaisse, attrape d'un mouvement rapide la neige au sol pour te la souffler en plein visage avant de rigoler comme une enfant cassos après une mauvaise blague.