Asmo attend, la clope entre les lèvres que la princesse sorte. Une parmi tant d'autres, mais elle, elle c'est celle qui a fait vriller le bro. Qui a changé les pastels rouges en pastels oranges. Qui le faisait rougir et parler calmement. On a aimé voir Anaël s'épanouir, grandir, découvrir. Mais, avec du recul, de la méfiance. Parce qu'il y a un gouffre entre la lie du grenier et la princesse fleurie du grand clan O'Cesair.

Bien qu'il ne connaisse pas sa réelle ampleur, il y avait suffisamment de gens dans l'académie avec ce nom pour qu'il se méfie.

Il n'avait pas l'intention d'aller la voir cette fille, aucun intérêt. Puis, après le chaos, les choses avaient déconné. Le bro à l'isolement, la princesse promue. Alors qu'ils étaient ensemble. Asmo grince des dents, comme ils doivent kiffer là-haut, appuyer les écarts, grandir les injustices. Ça lui fout la rage, encore plus quand c'est Ana qui prend.

Alors il attend, il veut son avis, des explications, sa version des faits. Il aperçoit une chevelure rousse au loin et s'avance vers elle, son grand corps et son allure inquiétante faisant tourner les têtes.

- Laëstiel ?

Interrogateur mais sûr de lui, s'attaquer au haut du panier ne lui fait pas peur. Sa clope achève de se consumer et il l'écrase d'un coup de talon.

- J'peux te parler cinq minutes ?

Pas besoin de se présenter, les yeux, les cernes, l'allure, tout parle déjà. Et Anaël a forcément déjà évoqué son existence - ou du moins, il l'espère. Les regards sont étranges autour d'eux, que fait-il avec elle ?

Il est encore doux et poli Asmo, parce qu'on est pas encore entrés dans le vif du sujet et surtout, surtout, il n'a pas encore vu l'étoile filante brochée au col de la princesse.

Asmo est tendu. Pas tendu parce qu'il parle à une princesse. Tendu parce qu'il en a assez et qu'il veut des explications. Et il aura ces explications aussi douloureuses soient-elles. Parce qu'il sait d'avance que ce qu'il va entendre ne lui plaira pas.

En à peine quelques phrases, quelques mots, la princesse monte sur ses grands chevaux et du haut de sa stratosphère d'indifférence, Asmo retient un soupir. Il fouille dans sa poche pour se rouler une nouvelle clope. Il fume beaucoup en ce moment, trop sûrement. Mais la nicotine détend un peu et on en a que trop besoin. Il glisse la cigarette entre ses lèvres et l'allume d'un geste rodé par l'habitude.

Asmo dissimule un soupir derrière une expiration enfumée. Il hausse les épaules négligemment.

- Le bro est assez grand pour se gérer tout seul, j'ai rien à dire dans ses relations. Mais tu te doutes bien que j'me méfie de toi.

La sincérité avant tout. Parce que ça dissonait, la princesse, en haut de la pyramide qui s'intéresse au pire des pires. Mais Asmo n'a rien à dire, lui qui se perd - se perdait ? - dans les bras de Caprice. Les grands de ce monde ne sont pas tous des monstres. Sourire discret.

- Mais je connais assez Anaël pour savoir que s'il t'aime c'est que t'es une fille bien, selon ses critères, qui sont ... disons qu'ils sont propres à lui.

Ça réchauffe le cœur de parler de lui. Asmo parait presque détendu. Nouvelle taffe sur sa clope. Un léger silence, qui s'alourdit. Le palpitant se refroidit et le visage s'assombrit.

- Seulement vois-tu, il y a des choses qui me posent question. Pourquoi, alors que vous étiez ensemble la nuit du 15, pourquoi lui a écopé d'isolement et tu as été promue ? Comment tu expliques et cautionne ça ? Toi qui semble tant aimer et profiter des privilèges qu'offre cette académie aux moutons.

La voix d'Asmo est sourde, basse mais étrangement polie. Presque sournoise. Mais au fond, ça l'intéresse, ça l'intrigue. Il y a forcément chez Laëstiel un étincelle de folie, de rébellion qui a capturé le cœur d'Anaël.

Dire qu'Asmo n'est pas diplomate, c'est un grand mot. Il sait trouver les tournures, les arrangements pour éviter les couacs. Quand il le veut bien, et là, il aimerait bien. Simplement des explications, claires nettes, précises. Pour protéger ses amis, il a besoin d'avoir toutes les cartes en main. Savoir, prévoir, ne pas se laisser submerger pas une seconde fois.

Mais Laë est fière et peut-être que se faire toiser par un sans-étoile rebelle l'agace, la fait se sentir trop petite. Elle croise ses bras sur sa poitrine, prête à attaquer, ce qu'elle ne se prive pas de faire. Asmo laisse couler, les yeux dans le vague, sa  clope fumante coincée entre ses lèvres.

Alors qu'elle se place à côté de lui, il laisse échapper un rire.

- Je taclais pas les critères d'Ana, j'me permettrai pas.

Sois pas si susceptible. Quand on aime une lune princière égarée et un lionne rugissante, critiquer le cafard qui aime la princesse, c'est malvenu. Les explications de Laëstiel sont convaincantes. Il hoche la tête, ne relève pas la pique. Il sait faire la distinction, la différence mais il préfère s'assurer, savoir si elle, elle fait la différence, elle a conscience d'être un pion qu'on manipule toujours mieux pour écraser ceux d'en bas.

Nouvelle bouffée de fumée. Il se décolle du mur, pour lui, la conversation est terminée. Il se tourne une dernière fois vers elle. Et finalement, la voit. Cette étoile filante brochée à son col, fièrement brillante, fièrement délatrice. Un sourire mauvais étire ses lèvres. On ne peut pas tenir de tels discours et soutenir le système de cette manière, on peut pas être aussi idiote.

- C'est le système qui punit, en effet mais maintenant, ça va être toi aussi ? Pas vrai ? Avec ta jolie étoile filante ? Anaël vit comment le fait que sa meuf soit une vendue à ce point ? On ne choisit pas on rang, j'entends, t'es bonne élève, gentille, tu fais pas de vagues, mais rejoindre la milice privée de l'académie, ça tu l'as choisi.

Le ton est froid, accusateur. La conversation aurait pu s'arrêter là mais on a trop de haine contre les étoiles filantes en ce moment pour laisser celle-là s'approcher trop près du bro.