Il y a des rencontres dont on se moque, des personnes qui vont, qui viennent, dont le souvenir n’est pas impérissable. Qu’on oublie aussi vite.
Puis, il y en a qui restent en tête. Qui ne sont pas prêtes de disparaître. Qui nous hantent, d’une certaine manière.

Ces dernières sont rares chez Narcisse. Cantonnées à une poignée de noms, des noms importants, qu’il pourrait écrire les yeux fermés d’une façon élégante et parfaite.

Et il y a peu, ce tableau parfait s’était encore embelli d’une personne. Étrange jeune garçon, personne qu’il n’aurait en temps normal même pas remarquée. Narcisse n’est pas là pour aider son prochain, il n’aime pas tendre la main. Il n’a aucune générosité en lui… mais il faut bien une première fois à tout.

Il avait été intrigué par cette petite personne qu’il voyait souvent être ennuyée par des élèves plus âgés et plus sûrs d’eux. Il avait froncé les sourcils. Une fois, deux fois. Il était passé à côté sans dire un mots à plusieurs reprises. Puis, il s’était décidé d’aller lui parler.

Et là, coup de foudre.

Vraie baffe dans sa tronche.

C’était rare et surprenant. Il ne savait s’il aimait ça. Il devait fuir, c’était sûr, mais pourtant il n’avait pas pu s’y résoudre. Et contre vent et marée il naviguait sur l’océan de l’incertitude, serrant les dents et les fesses en ne sachant à quoi s’attendre avec cette rencontre presque involontaire.

Il n’a pas envie d’être méchant avec Pepo. Il avait envie de le serrer dans ses bras jusqu’à étouffer. Il avait envie de le couvrir de bisous partout, comme si ça pourrait le rassurer et l’aider à aller de l’avant. Il avait envie de lui caresser les cheveux, un simple geste signifiant « je suis là s’il y a besoin ». Mais quand on est intérieurement un mur de glace plein de miel et d’hypocrisie, de simples gestes deviennent presque comme soulever une montagne.

Les rendez-vous ont commencé entre eux. Rien de bien méchant, mais l’aider à se dégourdir. Le sortir de sa zone de confort. Le tirer avec lui dans de folles aventures pleines de rires et de bêtises. Où ils pourront s’amuser ensemble, juste tous les deux. Et apprendre à se connaître.

C’est bizarre d’avoir envie de connaître quelqu’un, non ?

Il avait découvert une personnalité délicate et adorable. Deuxième claque dans sa gueule. À chaque rencontre, il s’en prenait une. Il n’avait plus eu envie de lâcher Pepo. Il l’invitait alors dès que possible dans ses idées saugrenues, car sa présence est un vrai vent rafraîchissant. Il ne juge pas, ne fait pas preuve de cruauté. Il a retiré l’amas de glace sur son cœur froid.

Alors aujourd’hui encore il lui a proposé de sortir.

Il attend patiemment l’arrivée du garçon. Son cœur bat un peu vite aujourd’hui. Ce gamin pourtant plus âgé arrive à enrober cet organe vital d’un baume qui l’adoucit, comme on graisserait la dinde pour Noël. Il arrive, et le sourire prend place sur son visage. Que dire, comment aborder la situation ? Ce n’est pas lui qui ouvre la bouche en premier.

– Coucou, Pepo.

Je suis content de te voir. Ces paroles resteront un petit moment encore dans sa gorge aujourd’hui parce que ce n’est pas si facile d’exprimer ce qu’on pense vraiment, surtout quand c’est tellement positif ! Ses doigts doucement glissent dans la chevelure superbe de l’autre jeune homme, remettent toutes ses mèches en place. Ça fait chaud dans la poitrine.

Il voudrait l’enlacer mais se retient.

– Alors, comme chouette activité, j’ai prévu quelque chose de calme. C’est bientôt Noël, alors qui dit Noël dit cadeaux ! On va aller sur le marché, on va acheter des cadeaux. Tu pourras choisir le tien ! Et après… on va manger ! À volonté ! Je veux te faire tester de la nourriture épicée ! Ça te convient ma Pépite ?

C’était son petit surnom qu’il exprimait toujours en français. Il lui avait bien sûr expliqué la signification de ce mot. Parce que, c’était vrai, Pepo était une pépite qu’il ne voulait absolument pas lâcher. Le laisser tomber était impensable, et telle une maman ours, il se battrait pour lui et son bien-être, contre l’Académie donneuse d’étoiles et d’argent s’il le fallait.