Dante erre dans l'académie. Âme en peine, peinée de ne point trouver de compagnie. Il se balade dans les couloirs, jettent des regards amusés dans les salles vides. Il a grandi le Dante qui es arrivé il y a quelques années, il s'est affirmé.

Il a reconstruit ses bouts cassés - a fait semblant - s'est érigé une armure de mensonges. Dante, il affirme, il dit qu'il a une famille aimante qui l'attend dehors. Il dit aussi qu'ils sont gentils et doux. À d'autres, il a raconté que son frère est né après son départ et qu'il a très envie de le voir.

Rien que des mensonges. Mais ça évite de penser et ça rassure doucement.

Mais, au détour d'un couloir, d'une salle, le passé lui saute à la gorge. Allongé dans la salle commune, une relique d'un passé qu'on enterre. Jiwon Fairchild. Il se souvient s'être assis à ses côtés pendant des réunions interminables, des soirées où il fallait sourire et rendre Père fier.

Il s'avance, petits pas par petits pas.

- Jiwon ? C'est toi ?

Voix mal assurée, espoir tremblant. Un vrai lien vers l'avant, l'avant ici. Mi figue, mi raisin.

- Comment t'es arrivé là ? T'as un alice aussi ?

Il est pressant, étonné, étonnant, surpris.

Oui.

La réponse est évidente. S'il est là, c'est qu'il a un alice, comme tous les élèves, le professeurs, le personnel. Tout le monde.

C'est juste surréaliste, se retrouver face à lui. Une bribe du passé, inattendue, terrifiante en un sens, abyssale. Revoir Jiwon, c'es revoir ces réceptions interminables où on les collait l'un à côté de l'autre sans qu'ils puissent échanger. Ces soirées où ils devaient se tenir droits, gentils, souriants, polis.

Dante en garde des souvenirs flous finalement, il se souvient surtout des coups sur son dos, de la haine et du dégoût dans leurs yeux. Revoir Jiwon, c'est replonger tête la première dans tout ça.

Il sourit à la remarque de l'autre, baisse les yeux un peu gêné.

- Ouais, ça va ... ça faisait bizarre au début, tout ça, les pouvoirs, l'enceinte mais au fond c'est cool.

Il ne sait pas quoi dire, comment s'adresser à ce fantôme du passé.

- C'est quoi ton alice ? Il est cool ? Moi je peux me connecter aux gens, genre leur faire ressentir la même chose que moi, c'est marrant !

Il parle beaucoup, comble le silence et les non-dits. Parce que finalement, vous avez passé beaucoup de temps l'un à côté de l'autre sans jamais vous parler.

Dante hoche la tête. Oui l'académie fait les choses bien. Elle sauve les élèves de leur pouvoir incontrôlés, et parfois, elle les sauve de leur famille, de leur environnement. Dante sait ça, parce que c'est son cas. Il ne sait pas comment il gèrera sa sortie du dôme. Il ne préfère pas y penser, il préfère s'inventer une vie parfaite ici, et être heureux, devenir ce qu'on l'a empêché d'être.

Jiwon parle de son alice. Il voit les fantômes. Le sourire de Dante fait trois fois le tour de son visage. Il a toujours été fasciné par le paranormal, il regarde autour de Jiwon à la recherche d'un spectre qu'il ne voit évidemment pas.

- Wah, c'est trop cool ! Et y'en a là ? Il s'incline maladroitement vers le vide. Qui que vous soyez, mes respects mesdames, messieurs les morts.

Il se redresse, très sérieux.

- Père disait qu'il était toujours important de bien saluer les gens.

Il se fige, se mord la lèvre, frissonne. Ne pas se souvenir, ne pas se laisser emporter. Son dos le picote, comme s'il se rappelait des coups innombrables qu'il a pris. La question de Jiwon l'arrache à ses morbides pensées.

- C'est ... rassurant. On est encadrés et on a pas à assister à des réceptions chiantes. Il rit doucement. Et puis, ils t'aident à mieux comprendre comment marche ton don, comment le contrôler et tout ...

Fermer les yeux, ne pas comprendre la prison dorée. Oui Dante. Fermer les yeux sur la réalité pour ne voir que ce qui t'arrange encore et toujours.

Jiwon confirme la présence d'un fantôme - d'une fantôme ? - et Dante ne peut s'empêcher de scruter le vide, comme s'il allait la voir, lui qui n'a pas les yeux pour ça. C'est frustrant mais en même temps, c'est sûrement mieux.

Mais penser aux esprits l'empêche de penser au mal-être qui se faufile dans ses entrailles. Lui qui était heureux de trouver un visage connu à l'académie, réalise que c'est surtout son passé qui vient le saluer, passé qu'il s'éreinte à planquer et à nier.

Jiwon, salvateur sans le savoir, le sauve, l'extrait encore une fois du bourbier qui monte en lui. Dante a un sourire maladroit, se balance sur ses pieds, comme mal à l'aise. Il hausse les épaules, fronce un peu le nez.

- Y'a bien le grenier où ils ont pas grand chose ... mais, les gens sont cools et ils ont juste à mieux se comporter pour avoir des étoiles. On pousse personne à être major mais avoir une ou deux étoiles, c'est pas si dur quand on s'y met et au moins, on a un lit qui tient la route.

Il hausse les épaules, matraqué à la réussite et à la méritocratie, il accepte sans trop se poser de questions, ce système qui en enrage plus d'un.

- Et puis, on peut pas sortir mais ça ... c'est normal je suppose.

Accepter sans se poser de question, suivre la masse parce que penser c'est trop dur. Dante, tu es faible.