On lui a dit d'oublier le passé, d'oublier la langue qu'il parlait, d'oublier qui il était avant de devenir un Fairchild et d'être heureux qu'on lui ai permis de garder le nom qu'on lui donné à la naissance. On lui avait dit d'oublier, mais ses pensées ne peuvent s'empêcher de se remémorer les souvenirs aigre-doux de son passé. Comme d'habitude, son plongeon dans le passé ramenait toujours Jiwon à elle.
Nari, le commencement
Ils venaient d'arriver à l'orphelinat quand elle les a rencontré, deux bambins si similaires que l'on pourrait presque croire identiques. Elle hantait l'orphelinat depuis de nombreuses années dans le calme, jouant le rôle de gardienne silencieuse des enfants endormis. Elle appréciait cette mort tranquille, jusqu'au jour où son regard croisa des yeux couleur de l'océan. Elle lui demanda s'il pouvait la voir et c'est là que leur amitié a commencé. Elle lui racontait des devinettes, le regardait dessiner avec les autres enfants en essayant de l'aider ou le complimentant et lui racontant des histoires quand il n'arrivait pas à dormir. Pour tous, elle n'était rien de plus qu'une amie imaginaire qui disparaitrait avec le temps, mais elle était bien réelle aux yeux du garçonnet qui parlait d'elle à son frère jumeau Min-Jun sans arrêt, lui racontant les histoires qu'elle lui avait apprise. Sûrement, elle a été le premier crush du jeune Jiwon qui était encore trop jeune pour comprendre l'amour. Tout semblait aller bien jusqu'à ce que jour fatidique arrive: le jour où son frère fut adopté sans lui.
On avait demandé au nouveau père de Min pourquoi il ne voulait pas prendre l'autre avec lui et tout ce qu'il avait trouvé à dire était qu'il ne serait pas utile. Si Jiwon pouvait voir ce qui était invisible à l'oeil nu, son frère pouvait voir le monde dans ses moindres détails et c'était ce que le mystérieux homme voulait. Pleurant, criant au désespoir et suppliant tous les dieux de ce monde de faire que son frère revienne. Quelque chose semblait s'être brisé en Jiwon et peut-être que c'est ce qui lui ferait le plus de mal dans toute sa vie.
Il se sentait seul dans le petit lit qu'ils avaient partagé à deux tout ce temps. Il avait froid sans sa présence familière à ses côtés et la nourriture semblait avoir pris le goût de la terre. Dans ce tunnel sombre, la seule lumière qui l'accompagnait fut celle que l'on ne pouvait lui prendre et Nari fut celle sur laquelle Jiwon se reposa entièrement. À force, on commençait à le croire fou et personne ne voulait vraiment le côtoyer à l'orphelinat. Parfois, il avait vraiment l'impression de sentir la main de Nari se poser sur sa tête endormi ou son souffle quand elle lui chantait une berceuse pour l'apaiser. Mais un jour, ce fut son tour : un étranger vint l'arracher à la terre qui l'avait vu naître et grandir.
On lui avait que c'étaient des personnes importantes, qu'il pourrait avoir la meilleure des vies avec eux s'il était sage, qu'il pourrait être libre.. C'est vrai qu'ils avaient l'air gentils aux premiers abords, presque trop même.
Quel joli petit garçon, je savais qu'on avait pas fait le chemin pour rien, Charles.avait dit la femme avant que son mari ne lui réponde un truc du genre
Si tu le dis Lucia, même si j'espère qu'il finira pas comme l'une de ses femmelettes qu'on voit à la télévision. Je vais en faire un homme, crois-moi. Un couple sans enfant et incapable de concevoir, un mari dont le bras a été tordu par sa femme de voir la solution à l'étranger et voilà pourquoi Jiwon s'était retrouvé dans l'avion en direction de Londres, sans savoir ce qu'il lui arrivera.
Abandon all hope ye who enter here.L'espoir de vivre fut bien vite étouffé par les leçons que son "père" avait prévues pour lui. À commencer par apprendre l'anglais le plus rapidement possible, il n'eu droit à rien d'autre que plusieurs mois consacrés rien qu'à son perfectionnement de la langue de Shakespeare et ensuite le véritable enfer a pu commencer.
Un vrai Fairchild ne se contente pas d'être le meilleur, il faut atteindre la perfection. Lui répétait-il sans cesse.
Chaque erreur sera punie, ça t'apprendra à te tromper. Disait-il à chaque fois que Jiwon avait un devoir ou un examen qui serait noté. Chaque erreur était punie par la ceinture, impossible d'y échapper. "Maman" a bien essayé d'aider, mais elle n'avait pas la force de tenir tête à son mari et tournait la tête pour oublier celui qu'elle a adopté au profit de ses sorties mondaines avec ses amies. Parfois, on l'emmenait dîner chez des gens que Jiwon ne connaissait pas pour entretenir l'image de famille parfaite que ses parents s'efforçaient de garder. Les règles étaient simple durant les sorties:
1. Ne parle pas sauf si on te le demande
2. Fais ce qu'on te dit et ne provoque pas d'esclandres
3. Souris comme si tu étais heureux
4. Sous aucune condition tu as le droit de parler une autre langue que l'anglais
5. Ne parle pas a tes hallucinations et n'en parle à personne. La dernière règle était trop dure à respecter, il ne pouvait pas se séparer de celle qui l'avait suivi depuis la Corée pour le soutenir dans sa nouvelle vie, quel genre de vie était-il en train de vivre?
Tu es mon fils, tu feras tout ce que je te dis compris? Si tu veux te plaindre, la ceinture te répondra avec plaisir.Il ne pouvait pas se plier aux deux dernières règles, il ne pouvait pas juste laisser Nari et sa langue maternelle de côté, donc il a continué à le faire malgré tout. Les employés de la maison avaient reçu pour instruction de ne pas nouer de lien avec l'enfant car s'il avait le temps de perdre son temps en civilités, il pouvait le passer à étudier ou s'entraîner au violon ou sa natation. Rester inactif était du temps de perdu et de l'argent pour "papa" qui voulait faire en sorte de mettre à profit son investissement. Pendant un an, les coups de ceinture avaient été moins fréquents, et tandis que Jiwon fêtait tout juste son neuvième anniversaire, il se fit surprendre une deuxième fois à briser les règles. Petit scélérat, sale bon à rien et autres insultes que le paternel pompette répétait alors qu'il déversait sa rage sur le fautif. Encore une fois Jiwon avait déçu, encore une fois il avait échoué et prouvait son inutilité. Jiwon avait de la chance : puisque "papa" avait encore l'espoir de lui trouver une épouse parmi ses partenaires d'affaires, il évitait soigneusement de blesser son visage, intact. Mais sa colère était noire et les coups étaient donnés au hasard. Il avait ramassé sa ceinture du mauvais côté de sorte que la boucle était devenue un dangereux projectile qui laissa sa marque sur la nuque du jeune homme paniqué. À quoi bon essayer d'être heureux si ça veut dire se faire blesser? Comment faire pour respirer sans avoir peur de se faire punir? À qui faire confiance quand tout le monde est suspect?
Dis Nari, j'ai le droit de venir de ton côté?Fatigué d'avoir mal, fatigué des coups et des insultes avec l'éducation pour justification et des sourires faux pour maintenir les apparences, les demandes obscène d'un mari frustré par les refus de sa femme et d'être obligé d'obéir pour garder son identité et une raison de vivre. Pourquoi est-ce qu'il s'acharne? Pourquoi est-ce qu'il tiens tant à la vie? Il ne savait pas, mais malheureusement sa chère amie fantômatique ne lui avait pas donné le droit de prendre le raccourci auquel il aspirait. Elle lui promettait de rester avec lui et de l'aider à aller de l'avant, comme elle l'avait toujours fait. S'il avait encore la force de le faire, Jiwon aurait sûrement pleuré.
Il n'était plus que l'ombre de lui-même après cela. Il faisait tout ce qu'on lui demandait et gardait un sourire tellement faux qu'il aurait pu être porte-parole de Colgate. Il se voulait irréprochable, et y parvint du mieux possible, jusqu'à ce que sa mère, enfin, fasse la seule chose dont il avait besoin : l'éloigner de son père. Elle avait communiqué avec l'académie Alice pour tenter de le sauver momentanément. Grâce à elle, Jiwon pu faire ses valises et passer la porte du manoir Fairchild pour ne plus revenir avant de longues années. Par contre, le départ ne se faisait pas le coeur léger, car son père l'avait prévenu de bien faire attention, car s'il faisait honte à son nom, il le regretterait au quintuple à son retour. La vie d'acteur devrait donc le suivre jusqu'au bout du monde on dirait.
Enfin, au moins il pouvait sentir la corde se desserrer autour de sa nuque et s'attendait à pouvoir se relaxer un peu, mais au milieu de cet océan de visages, c'est là qu'il le vit. Le visage qu'on pourrait confondre avec le sien, mais si différent maintenant. Il était là, si près, mais si loin à la fois.
Min-Jun, c'est moi!Qu'il aurait voulu crier avant de se retenir. Il ne méritait pas de le revoir maintenant. Est-ce que lui avait envie de revoir Jiwon? Ne serait-il pas qu'un boulet du passé? Un frère abîmé, brisé et vide? De toute façon, Min devait l'avoir oublié en même temps que le nom sous lequel son frère l'avait connu car il apprise vite comment on l'appelait maintenant.
CapriceUn nom qu'il ne voulait pas prononcer sans mettre une croix sur le passé. Un visage qu'il ne voulait pas voir sourire sans lui et une voix qui sonnait étrangement familière et inconnue à la fois. Au moins, son rôle de fils parfait le tenait assez occupé pour ne pas y penser et le faisait assez bouger pour pouvoir l'éviter sans trop le faire paraître. C'est compliqué, mais depuis quand la vie lui a donné le choix de prendre l'option facile? Peut-être que c'est le bon moment pour essayer de changer? Nari le pense et peut-être qu'il est temps pour lui de se redresser, pas seulement son corps, mais aussi son estime. Ce sera long, ce sera dur et définitivement effrayant, mais peut-être qu'en laissant des gens approcher, une solution sera trouvée?