Ça franchit sa porte en grand fracas, porte non verrouillée d’ailleurs, peut-être parce qu’on avait dépassé depuis longtemps le stade de l’exceptionnel entre vous. On franchit les portes pour déverser ses colères, parce que ça a toujours été votre quotidien, votre dynamique. On se considère avec le plus grand des mépris, la plus simple des haines. On s’interpelle avec l’acidité des mauvais jours, à chercher le mot qui fera mouche pour faire tomber de son piédestal l’autre. On se coince contre les casiers à provoquer les foudres de son voisin, sans fin, sans arrêt, parce qu’on n’éprouve que du plaisir à contempler l’adversaire dans la tourmente. C’est comme ça que ça a toujours été, Leonard et toi. Ses piques sont une habitude que tu avales à chaque repas comme un traitement médical, pour te rappeler qu’il y a des gens à mépriser, à détester ici. Il encaisse ta voix, ton regard plein de condescendance et tes provocations tout aussi religieusement, une impossibilité à l’ignorance, un besoin continuel d’écraser l’autre sous son talon.

Mais la compétition devait pourtant rester amicale et bien-pensante. Seulement, une limite venait très clairement d’être franchie aujourd’hui. T’avais quitté ta chambre sans réponse à « sa surprise », parce qu’il n’y avait rien à répondre, juste des coups à donner. Visiblement s’en prendre à ta seule personne n’était plus un jeu suffisant pour Leonard et si tu acceptais son venin quand il était tourné vers toi, tu ne pouvais pas tolérer qu’il le déverse sur d’autres, spécialement sur ton chat. Alors t’avais avalée les quelques mètres entre ta porte et la sienne et l’avait ouverte sans t’annoncer. De toute façon, tu savais que Leonard attendait, tu savais que dans toute sa grandeur, il ne raterait jamais une occasion de tendre le bâton pour se faire battre. Est-ce que c’était une preuve du masochisme dont tu le soupçonnais ? Ce n’était pas la question. Le fait est que tu acceptais de jouer tant que les règles étaient respectées. Mais si Leonard voulait du sang, très bien, tu lui donneras du sang. Tu sais très bien que le prédateur ici, c’est toi, parce qu’il y a un pouvoir d’attraction que lui n’a pas.

« Que tu t’en prennes à moi parce que t’as toute une vie de frustré à compenser, je veux bien l’entendre. Mais t’en prendre à un animal ? Sérieusement, mec ? »

Pas de « bonjour », ou de « faut qu’on parle ». On a dépassé ce stade de bienséance depuis longtemps.

« J’ai pas beaucoup de respect pour toi mais je pensais pas qu’on pourrait faire pire. Tu vas me rendre mon chat, tout de suite, et s’il a le moindre trauma, la moindre égratignure je te jures que j’aurais aucun scrupule à aller faire de la lèche auprès du conseil pour te faire finir au grenier, Leonard. »

Leonard. Pas Leonardo. Pas du con. Leonard.
On avait franchi un stade.

 

@Leonard de Monaco + Chambre (rouge) de Leonard + Octobre 2019

Les insultes fondent sur ta langue comme du sucre, hein Léonard ? Est-ce si bon de laisser ces mots interdits franchir le bord des lèvres ? Est-ce si grisant de contempler l'autre et d'imposer ce genre de marque sur la peau ? Et tu te demandes, on se demande, qu'est-ce qu'il y a en tirer, au final. Qu'est-ce que ça prouve, qu'est-ce que ça provoque. Est-ce pour se sentir plus puissant ? Plus grand ? Est-ce par jalousie, par envie cru de faire mal, de rabaisser par la violence verbale ce qu'on ne comprend pas ? Ce qu'on refuse de comprendre ? Oh, tu pourrais lui poser toutes ces questions à Léonard, parce qu'il y a des fois où tu ne saisis pas où se termine le jeu et où commencent les vrais reproches. Mais ce n'est pas grave. Qu'importe.

T’es conne.
T’es une pute.

La vérité, c’est que c’est tellement original qu’on en est arrivé au point où l’on se fout de tout.

Et tu ne sais pas, au final, si tu devrais t'inquiéter de n'être même pas en colère. Si tu devrais t'inquiéter de n'avoir aucune envie de lui en coller une, de marquer sa peau au fer rouge, de lui rendre son acidité pour le brûler au troisième degré. La vérité, c'est qu'on est profondément lassée de ces mots prémâchés, Aglaé. On les a tellement entendus qu'ils n'ont plus aucune portée. Alors ça regarde Léonard, ça te regarde toi, oui, petit prince qui se croit grand, qui pose un vocabulaire bien trop pourri pour son si joli nom. C'est las dans tes yeux, Aglaé. Ça n'a même plus envie de jouer tellement c'est un coup de si faible portée. Est-ce que tu t'en rends compte, Léonard ? Est-ce que tu vois à quel point le petit prince ne peut imposer ses lois ?

« Un peu de pisse dans une chambre et ça panique à en insulter ses grands morts. Petit précieux, t’as peur de t’éclater un ongle en refaisant tes draps ? »

Toi tu ne l’insultera pas, Aglaé. Parce qu’il n’en vaut pas la peine, et que ça lui ferait probablement trop plaisir. Léonard on avait beau dire, restait un petit chuineur avec un besoin d’exister comme 90% des gens ici. Avoir de Monaco dans son nom, ne rendait pas les larmes plus précieuses pour autant.

« Plutôt que d’envoyer des sms acides tu pourrais peut-être demander tout simplement réparation. »

Mais ça, ça ne lui a probablement pas traverser l’esprit.

« Même si mes tarifs sont chères, je te fais un prix. Tu fermes juste ta grande bouche et tu me laisses réparer les dégâts. C’est où tes draps p’tit prince ? »

 

@Leonard de Monaco + Chambre (rouge) de Leonard + Octobre 2019

Tu donnes des ordres et des indications sur des choses qui t’échappent. Rien d’étonnant, on a l’habitude d’être confronté à ton machisme ridicule. Souffle du nez quand tu distribues tes instructions, aurais-tu oublié à quel genre de reine tu as affaire Léonard ?

« Pour quelqu’un qui a la mémoire absolue tu es bien stupide. »

On a jamais eu besoin de bouger le petit doigt pour obtenir ce qu'on voulait des gens. On a la voix qui dicte la conduite, impose le respect, l'admiration, l'affection, la peur aussi. Sur son crâne, elle s'était imposée une couronne pour se souvenir du poids d'une telle responsabilité. Manipuler l'impression de sentiment des gens était bien plus destructeur et dangereux qu'on ne pouvait l'imaginer. Alec en avait fait les frais, elle aussi, tu sais Léonard ? Peut-être que tu t'en doutes, peut-être pas, au final de toi, on n’attend rien, on a aucun besoin de te prouver quelque chose. Toi, tu ne comptes pas. Tu n'es pas le regard de Felix ou d'Elyas, tu n'es pas cette incarnation de l'affection maladive, de cette envie d'être parfaite, d'être en constante compétition contre soi-même. De ton avis, on en a rien à faire. Libre à toi de continuer de penser salement. On pense aussi salement pour toi aussi et être l'ami d'Anaël ne fait que renforcer le besoin d'envoyer de la crasse sur ton visage de prince. Quelqu'un comme toi, on ne l'accepte pas, quelqu'un comme toi n'a aucunement sa place dans le cercle familial, son cercle familial. Alors elle retire son serre-tête d'un geste nonchalant de la main, secoue négligemment ses cheveux pour remettre la chevelure en place. On va laisser quelques mèches rosées sur ton sol, juste pour t'embêter Léonard.

Tout de suite on ressent la puissance emprisonnée picoter la gorge, pétiller sur le palet. C’est toujours angoissant de quitter le refuge de l’objet de contrôle, Léonard, on ne le retire plus que pour se doucher et dormir, le savais-tu ?

« Pan, viens voir maman petit cœur. »

Voix de miel alors qu’on tend les mains à l’entrée du lit. Un ordre glissé, ça sonne si doux et si beaux pourtant ça file la nausée de sentir le voile enchanteur glissé consciemment d’entre ses lèvres, Léonard. Ça démange de remettre rapidement la couronne en place. Mais on a aussi bon espoir que ça te remette les idées en place, Léonard. Contre-loi, on ne perdra pas. Peut-être même que cette envie d’humilier l’autre finira mal. La vérité, c’est que tu as les armes pour, Felix, Anaël, autant de nom sur lesquels elle veut rayer ton image. Autant de noms qui pourraient la conduire à briser l’accord tacite des chamailleries verbales pour te fracasser le crâne. Tu dois le savoir, Léonard, la jalousie et l’insécurité ne font jamais bon ménage.

Petit chat qui s’avance timide, glisse sa tête sur la main de sa maîtresse. Elle glisse encore quelques mots avec son don horrible, Aglaé, Jusqu’à saisir le petit chat pour encore tendu dans ses bras.

On a posé un genou à terre mais on ne s’est pas incliné pour autant.

« T’es sûr ? Ce serait tragique que monsieur de Monaco se bloque le dos en faisant son lit. Mais soit. Si ça seigneurie veut bien m’excuser… »

Sourire angélique. Sourire de garce. Ce même sourire si doux, si méprisant à la fois. Ce même sourire qui veut dire qu’un jour on écrasera l’autre si fort qu’il ne se relèvera pas.

 

@Leonard de Monaco + Chambre (rouge) de Leonard + Octobre 2019