si les trahisons imbibaient habituellement le palais de saveurs amères, celle-ci avait des fragrances aigres-douces. pointe de sucre, un écho à l'enfance. précédemment au grand jour, Nausicaa en avait eu un avant-goût. s'était mis à table ; convoqué au préalable. ça avait sonné comme un glas dans le bureau de la direction, la nouvelle retentissante, lui apprenant la fourberie de sa propre famille. sa propre mère, brisant les secrets et la confiance. il avait sourit, parce qu'il était heureux
heureux qu'elle t'ait trahit, Lian,
vendu à l'académie ; pour lui
c'était se languir de vos retrouvailles.

dans les lieux de culte du Père, au cœur de Séoul loin là-bas, on avait sûrement beaucoup de sœurs, beaucoup de frères. certains vivants, d'autres non. certains dont il n'a même jamais connu le visage, ni su le nom. le tiens, il l'a toujours retenu. comme un morceau d'insouciance au creux des paumes, Lian, lambeau d'innocence. on avait dit à Nausicaa, "il sera bientôt là", et il attendait patient.
aurait voulu t'accueillir, mais on lui avait interdit :
il paraitrait qu'à peine les grilles passées
tu étais bien trop turbulent.

que tu cours tout les jours les souffles erratiques sur les talons, pour te hâter aux perrons de la cage, comme si la libération t'y tendait les bras
on lui avait dit, "ça lui passera", et puis
"ça ne veut pas" ; comprendre que c'est fini,
il fallait peut-être que ce soit lui qui t'éclaires.

alors aujourd'hui, il serait là.

il était là sur les grandes allées et comme dans les prédictions, répondant aux appels fervents aujourd'hui encore, tu cours. pensif, le nez levé vers la porte close, Nausicaa entend, les pas affolés derrière lui ; et puis sent, les collisions contre son dos. perd à peine l'équilibre, car même si tu as grandi, lui aussi. et il se tourne alors, cœur battant, esquisse aussitôt des risettes extatiques, le soleil et ton prénom au bord des lèvres.
Lian, c'est toi-
c'est bien toi, ils mentaient pas !
se sont ses bras qui t'accueillent

tu ne t'y abandonnes pas.

tu prends plutôt sa main, l'air de connaître le chemin. vers où ? il ne comprend pas. pourquoi tu demandes si l'on allait bien, alors qu'évidemment, vu qu'on était loin de Lui. tu dis
qu'Il nous attend.
... de quoi tu parles.

il faut l'excuser si il se fige tout à coup, Lian. il ne faut pas lui en vouloir s'il te dévisage désemparé, le sourire qui s'éteint à mesure que ta voix flanche. il ne parvient pas à saisir, pour quelle raison tu persistes à t'affoler que la lumière soit ailleurs.

Nausicaa qui refuse les départs car il se trompe ;
tu n'es pas là, Lian, pas tout à fait.

battements de cils. surplombant la petite silhouette aux traits semblables, il oscille à peine bien que tu t'efforces d'emmener. c'était cruel, mais il fallait bien te dire ; tu crois encore en Lui ? alors que sa mère t'avait accordé la bénédiction de Lui échapper. c'était cruel, mais il fallait bien t'ouvrir les yeux. il ne m'attend pas. il ne m'a jamais attendu. et si tu es là, ça signifie que toi non plus. et puis
lâcher ta main.

c'est fini de courir, Lian,
car c'était courir vers Rien.

ignorant Nausicaa, hérétique Nausicaa ; ne sait pas de quoi il parle, c'est ça ? après tout, on l'a chassé des temples, alors comment pourrait-il en connaître les rites désormais ? peut-être ont-ils changé ! peut-être qu'entretemps, l'Enfer s'est fait Eden et qu'il fait bon vivre dans les jardins du Père.

il n'y croit pas.
il ne peut pas croire que tu y voies clair, Lian, il suffit de constater ; comme ton regard est trouble et comme ça te fait mal de garder les yeux ouverts. Nausicaa avait assisté au vol en éclats, t'observe qui t'accroche aux morceaux. et il comprend qu'il s'y est pris de la pire des manières ;
qu'il était trop tôt.

tes sanglots résonnent et avant que tu t'y noies pour de bon, il s'avance de nouveau, franchit le pas qui sépare. debout là, aussitôt ses paumes se portent à tes tempes pour que tu gardes la tête hors de l'eau, avant de passer calmement les doigts dans les cheveux obscurs qui barrait ton front.
Lian, Lian, non,
pleure pas s'te plaît... faut pas.
y a pas de raison, je t'assure.
tu pleures quand même, forcément. le monde en dehors des lieux de culte est immense et effrayant.
on y revient, si tu y tiens.
attend, viens là.
ça faisait des années, et pourtant, comme si c'était hier, les bras se referment autour de tes épaules. les parents hissés au rang de divin, ils avaient prié qu'on se délaisse, tenté de briser toutes vos attaches. il pense à sa mère qui assurait que tu ne méritais pas qu'on fasse attention à toi, qu'on ne se manquerait jamais, et Nausicaa avait beau la croire aveuglément
c'était le seul verset qu'il se refusait à écouter.

Lian, tu entends et suis encore ceux du Père, et ça lui fend le cœur de l'admettre mais c'est vrai. c'est vrai que sa voix portait loin et perçait bien l'esprit. il ne veut pas t'abandonner, mais tu es encore là-bas, auprès de Lui. il n'y a pas sa place, il te l'a dit ; on ne l'y a jamais attendu.
mais d'ici, il essaye d'atteindre.
ce que je voulais dire, c'est que ça sert à rien de courir. il faut que t'arrêtes de courir tous les jours pour essayer de partir, Lian, pour le moment on doit rester où l'on est.
pourquoi...
la réponse ne te plairait pas.
elle te bannirait du Paradis.
alors il la tait.
et je dis pas...
les paupières se ferment une seconde. l'omission écœurante, car nouer sa propre gorge pour ravaler les vérités pourrait lui filer la nausée. il se force.
j'ai pas dis que Papa était un menteur.
il est bien pire que ça.
mais devant toi, on évite le blasphème.

silence, le temps d'écouter. vérifier s'il avait pu rétablir un semblant d'harmonie, avant d'oser défaire le lien. ses mains restent posées sur les épaules frêles et il faut que tu relèves la tête, Lian, même si tu pleures encore un peu, ça ne fait rien.
qu'est-ce qu'il t'a dit,
qu'est-ce qu'il s'est passé exactement ?