Indescriptible.
Jason ne s'aurait déterminer son état mental suite aux événements de la veille.
Une promotion au rang de major, but ultime qu'il s'était fixé il y a de cela plusieurs années, raison pour laquelle il s'était tant impliqué dans la vie de l'académie malgré sa réticence à se mélanger auprès de ses congénères.
Pourtant dans sa bouche cette saveur avait le goût de sable et il ne saurait décrire le mal-être qui l'habitait suite à la possible incarcération de ses parents.
Il n'avait jamais été proche du clan et de ses parents, certes, même lorsque ces derniers essayaient à tout prix de le contacter avec les courriers.
Pourtant Jason était incapable de s'ôter de l'esprit le regard de son père, le hochement de tête approbateur, le terme de justice qu'il lui avait adressé avant la sanction.
Les larmes de sa mère, les yeux similaires aux siens.
S'il remettait en cause la légitimité de sa promotion, elle n'était pourtant sur le papier que la conséquence logique de son comportement lors des événements du festival sportif.
Et du reste de l'année.

Désireux de sortir un peu la tête de l'eau, c'est dans l'un de ses refuges qu'il vint se changer les esprits, profitant du temps libre accordé.
Arrivé à central town, c'est au magasin de jouets et farces qu'il se rendait.
Il pouvait au moins essayer de se consoler en imaginant le nombre de peluches qu'il pourrait s'offrir, avec l'argent qu'il gagnerait quotidiennement.
Ce qui était fait était fait et Jason était passé maître dans l'art de se voiler la face afin de survivre dans sa petite bulle.
Une bulle qui éclatait aussi vite que Laëstiel O'Cesair pénétrait dans le magasin, le regard inquisiteur et rivé sur son étoile de major nouvellement acquise.
Elle ne questionnait pas sa légitimité, non, elle la remettait complètement en cause.
A cela il ne savait trop quoi répondre, conscient que rien de ce qu'il ne pourrait dire n’entamerait la résolution avec laquelle elle est venue le confronter.
Jason redisposait la peluche qu'il avait entre les mains pour faire face à Laëstiel, le regard fuyant.

« ― Laëstiel O'Cesair. Oui, tu as raison. J'aurais préféré la mériter pour une autre action. »

Ses doigts se déposèrent sur l'étoile accrochée à son veston, la manipulait.
Était-ce vraiment important d'être fier ou non des raisons de l'acquisition de cette étoile ?
Ce qui compte c'est de l'avoir obtenu, n'est-ce pas ?
Est-ce que les événements avaient simplement effacés le travail de toutes ces années ?
Il avait subit pendant trop longtemps pour simplement accepter qu'on écrase son mérite.
Si quelqu'un devrait remettre en cause cette étoile c'était lui et personne d'autre.

« ― Mais c'est ainsi que fonctionne l'école, Laëstiel. Tu sais que c'est comme ça, je sais que c'est comme ça, nous le savons tous. »

Un dernier soupire, un regard plus droit.

« ― C'est une question de choix. »

Ses lèvres ne se déformaient pas sous la colère, elle semblait en pleine possession de ses moyens.
Une colère maîtrisée, ses mots étaient précis et ses paroles tranchantes.
Accablante, elle l'était.
Mais elle avait certainement raison, selon ses critères.
Comment pouvait-il paraître si inexpressif, suite à l'arrestation de ses parents ?
Du sacrifice ?
Comme si sa vie n'avait pas changé, il choisissait déjà comment dépenser l'argent gagné au prix de la liberté de ceux qui l'avaient toujours aimé le plus au monde.
Pourtant, il était en désaccord avec elle.

Sans pour autant lutter contre la poigne avec laquelle elle le soulevait, c'est un regard mélancolique qu'il lui adressait pour se justifier exceptionnellement.
Devant elle et devant personne d'autre.

« ― J'aurais du ? M'interposer ? Fuir avec eux ? Retourner dans le clan ? Laëstiel. J'ai ignoré l'existence de mes parents pendant 16 ans, j'ai bâti tout mon univers autour de ces étoiles. Pour devenir quelqu'un de meilleur, quelqu'un de suffisamment fort pour n'avoir besoin de personne. Pouvoir vivre tout seul. Et j'aurais dû abandonner tout cela, tous mes efforts, tout ce que j'ai enduré depuis mon arrivée dans l'académie ? Et pourquoi faire ? Me lancer dans une fuite dénuée de sens avec eux ? Abandonner même les raisons pour lesquelles je n'ai jamais conçu aucun lien avec mes parents ? Rendre leur sacrifice encore plus vain ? »

Les mots sortaient de sa bouche sans s'arrêter, la mélodie de son drame qu'il avait ruminé toute la nuit d'hier.
Ses cernes étaient apparentes, le regard plus rouge que d'habitude.
Pudique, s'il s'autorisait à pleurer, c'était face à son miroir.

« ― Mes parents ne sont pas stupides, ils savaient bien que cette fuite ne mènerait à rien. Pas une seule fois ils n'ont prononcés les mots "viens avec nous". Ils savaient que ça se finirait comme ça au moment même où ils ont mis les pieds dans ce stade. Je le répète : c'est une question de choix. Et j'ai beau être le pire fils dont ils pouvaient rêver, je n'insulterais pas ce choix en dissimulant mes intentions. Je suis resté fidèle à mes convictions. Ça peut éveiller ta colère mais je ne ferais pas l'affront de regretter quoi que ce soit ou fuir la réalité. Je ne veux pas mentir. »

Tendrement, il déposait sa main sur la tête de celle qu'il considérait le plus comme un membre de sa famille, désormais.

« ― Ça me fait mal à moi aussi, tu sais. Je n'ai peut-être pas toujours fait les bons choix mais dorénavant, la meilleure dévotion que je peux avoir envers eux, c'est d'aller jusqu'au bout. »

Ses yeux étaient malgré tout emprunt d'une profonde tristesse.

« ― C'est stupide. J'ai vécu sans eux pendant 16 ans et pourtant, aujourd'hui, ils me manquent. »

Stupide.

Le poing de Laëstiel percute son torse, sans aucune trace de violence ou d'animosité.
Elle se voulait même plutôt rassurante, derrière son air sévère, à son tour elle prouvait qu'elle tenait plus à lui qu'elle ne voulait le laisser entendre.
Ou peut-être qu'elle lui avait toujours montré mais qu'il était trop aveugle pour s'en rendre compte ?
Il a toujours ressenti des sentiments, Jason.
La différence, maintenant, c'est qu'il arrive un peu plus à en faire la démonstration.
A quelques élus, pas l'ensemble des élèves, mais suffisamment pour offrir un peu de réconfort à ses proches.
Peut-être que lui aussi se voulait rassurant envers elle, en acceptant de s'exprimer au sujet de ses parents ?
Probablement qu'il n'en parlerait plus jamais à personne, d'ailleurs.
Il est des démons qu'il valait mieux enfermer.

Lorsqu'elle laissait retomber sa tête contre son torse, il appuyait un peu sur l'arrière de sa tête avec sa main.
Ne pouvait l'enlacer en plein magasin, ce n'était de toute façon pas quelque chose qu'il ferait en temps normal.
Jason n'était pas du genre à accepter le contact physique, pour ainsi dire.
Et s'il agissait de la sorte c'est parce que, étrangement, il avait l'impression qu'elle en avait besoin elle aussi.
D'un peu de réconfort.

« ― C'est dur pour toi aussi, non ? Tu devrais te reposer. Tu as bien fait. »

Peut-être même qu'il ne savait pas vraiment ce qu'il voulait dire, par là.
Est-ce qu'elle avait bien fait de garder le contact avec ses parents, faisant fit des interdictions qu'il aurait pu lui imposer ?
Est-ce qu'elle avait bien fait de ne pas intervenir elle aussi lors de l'arrestation ?
Est-ce qu'elle avait bien fait de venir le confronter dans ce magasin ?
Est-ce qu'elle a bien fait de ne pas m'abandonner ?

Jason relâchait sa tête, l'attrapait par les épaules pour la redresser.
La posture d'une femme qui flanche n'était pas adaptée pour Laëstiel, elle était bien plus forte que ce qu'elle laissait paraître.
Il ne lui interdisait pas la fatigue, mais elle devait bien écouter ce qu'il avait à lui dire, pour cette fois.
Quitte à ce qu'il risque une extinction de voix pour avoir trop parlé.

« ― La dernière fois. J'ai dis que tu n'étais qu'une petite princesse enfermée dans une tour d'ivoire. C'était faux, j'en suis désolé. Je pensais que tu ne nous voyais pas mais c'était une erreur. C'est peut-être même ça ton drame à toi, n'est-ce pas ? De pouvoir nous voir. Alors que nous n'arrivons pas à te voir. »

Son regard se détournait, un instant.
Jason était-il ridicule à vouloir se donner des airs de psychologue alors qu'il n'était même pas capable de comprendre son propre comportement ?
Mais s'il y avait bien quelqu'un d'autre que ses parents qui méritait l'une de ses promesses, c'était bien elle.

« ― Je vais essayer. De te voir. D'être ce que j'aurais du être pour toi quand tu es arrivée ici. Je ne serais pas un membre du clan, jamais. Mais je serais de ta famille. »

Trouver sa propre voie.
Celui qu'il voulait être.
Assumer et ne jamais regretter.
C'était là des préceptes avec lesquels il accepterait de vivre, dorénavant.
Ne devenir rien d'autre que Jason O'Cesair.
Et l'étoile de major lui permettrait d'arriver là où il le désirait, pouvoir se reconstruire sans craindre qui que ce soit dans cette académie qui ― quand bien même l'aimait-il comme sa maison ― ressemblait finalement plus à une jungle qu'un lieu d'étude.
Pour cela, il pouvait accorder du crédit à ses parents, ils avaient aidés Jason à pouvoir s'imposer mentalement.
Il ne saurait dire merci pour l'instant, tout simplement car c'était encore trop tôt pour lui, mais il se fixait cela comme l'un de ses objectifs.
Retrouver Bruce et Barbara, où qu'ils soient, et rattraper un peu du temps perdu avec eux.
En attendant, il assumerait ses choix.

Pourtant, il trouvait un certains inconfort au discours de Laëstiel, probablement car il estimait qu'elle n'appliquait elle-même pas les préceptes qu'elle venait de lui dicter.
Sa vie est toute tracée ?
Qu'en était-il de trouver sa voie, alors ?
L'influence du clan était telle que même une personne comme Laëstiel ne savait s'émanciper d'un système qu'elle n'était même pas sûre d'aimer ?
Jason pouvait bien bénir l'académie, à ce niveau.
Au moins avec son arrivée aussi prématurée dans le système, il n'avait pas pu être imbibé de la doctrine O'Cesair.
Le corbeau haussait un sourcil, interloqué, et prit la décision de revenir sur les propos de sa sœur nouvellement reconnue.

« ― Laëstiel, tu dois trouver ta voie, toi aussi. Je ne dirais rien à ce sujet, si ça ressemblait vraiment à ta décision, mais tu n'as même pas l'air sûre d'aimer le clan tel qu'il est actuellement. »

Avec le tranchant de sa main, il met un petit coup sec sur le haut de sa tête.

« ― Tu n'as pas de réponse à me donner. Pas pour le moment. Mais, essaye d'y réflechir. Tu sais du clan ce qu'ils veulent bien te dire, rien de plus. Alors ne base pas ta vie dessus. Peut-être que je suis trop obsédé par les étoiles sur mon veston mais, moi au moins, je sais ce qu'elles veulent dire. Promet juste d'y réfléchir. »

Afin de désamorcer un peu la situation qui devenait de plus en plus pesante, malgré la pensée réjouissante d'avoir enfin commencé à se trouver une famille parmi les O'Cesair, Jason attrapait une peluche posée sur l'étagère et l'enfonçait dans les bras de Laëstiel.
Elle avait bien le droit à un peu de douceur, elle aussi.

« ― C'est pour toi. »