L'inconvénient avec ce genre d'académie à la population aussi large, c'était son aspect hétéroclite.
Il était difficile de faire cohabiter en son sein d'aussi nombreuses personnalités et comme cette école fonctionnait à la manière d'un pensionnat, il arrivait de devoir supporter des personnes qu'on aurait parfois aimés éviter.
C'est le cas pour Jason qui, même s'il n'avait d'attache particulière qu'avec très peu de personnes, se retrouvait parfois confronté à des entités bien trop en contradiction avec son mode de fonctionnement.
Juno-Bianca faisait partie de ces fameuses entités et chaque jour il craignait le prochain instant où elle jetterait son dévolu sur lui.

C'est pourquoi il n'était pas particulièrement étonné de la voir débarquer dans son champ de vision.
Lui qui pensait pourtant pouvoir être tranquille à la bibliothèque.
De son regard il détaillait la jeune femme, non pas de manière lubrique mais car il espérait avoir la chance de trouver sur elle l'élément déclencheur de sa fuite.
Peut-être lui indiquer une tâche sur sa robe pour qu'elle aille la faire disparaître dans les toilettes et en profiter pour prendre la fuite.
Rien de tout ça, son aspect était aussi impeccable que son dossier.
Qu'il est dommage qu'une personne aussi splendide se comporte en pareille peste.

Jason n'accordait finalement que peu d'importance à la forme du discours de Juno, il ne conservait que les éléments essentiels.
Un problème avec Laëstiel ?
Il est vrai qu'il y a quelques jours de cela, il avait été confronté à cette dernière dans les couloirs de la zone du personnel.
En avait-elle parlée avec Juno depuis ?
D'une manière ou d'une autre, l'étudiant au masque n'avait aucune envie de s'exprimer à ce sujet et c'est sans un bruit qu'il se munit d'un livre piqué dans l'étagère.
Livre qu'il déposait dans la main de la demoiselle avant d'avancer son index devant sa bouche pour lui témoigner du silence rigoureux dont elle doit faire preuve à l'intérieur d'une bibliothèque.
Sans plus attendre, il attrapait au hasard un autre livre dans l'étagère pour aller s'asseoir dans un des fauteuils mis à disposition du coin lecture.

S'il était bien conscient que ce genre d'acte ne ferait qu'agacer la tempête Juno, il n'avait malheureusement pas la force en lui pour s'en débarrasser avec plus de violence.
Était-il seulement capable de violence ?

En place dans le fauteuil afin de profiter du peu de répit qu'elle lui accorderait, son ombre vint assombrir les pages de l'ouvrage.
S'il n'avait aucun problème de vision et que l'obscurité qu'elle amenait avec elle n'aurait certainement aucune incidence sur sa lecture, c'est bien sa présence qui se voulait dérangeante.
Juno-Bianca n'était pas une femme à qui on pouvait dire non, il l'avait bien comprit.
Pourtant il ne saurait lui apporter ce qu'elle demande, obéissant uniquement avec le corps enseignant mais certainement pas envers les élèves.

Qui plus est, il n'estimait pas que Juno pourrait lui apporter quelconque privilège que ce soit, alors pourquoi s'encombrer de son attitude mesquine.
Mais le rictus qu'elle affichait signifiait bien une chose : elle n'avait pas l'intention de s'arrêter là pour aujourd'hui.
Avec qu'elle déposait bruyamment le livre sur la table basse, c'est en face de lui qu'elle vint s'asseoir, le fixant d'un regard insistant.
Son attitude royale témoignait d'un égocentrisme qu'il ne saurait lui reprocher, lui aussi faisait tourner son univers autour de sa petite personne.
Mais là où il semblait faire fit de l'attention des autres, Juno semblait en raffoler autant que de sa propre suffisance.
Elle demandait ?
Non, elle ordonnait.
La voix distordue s'échappait finalement de son masque, non sans une pointe de dédain.

― Tu demandes.

Sans lever les yeux de son livre, il tournait les pages du roman entre ses mains.
Ce n'est pas qu'il refusait toute forme de conversation avec elle, simplement qu'il avait apprit à s'en méfier.
Juno-Bianca dégageait d'elle une forme de malice manipulatrice et cela avait de quoi effrayer l'étudiant au masque.
Bien conscient de ses faiblesses, il savait pertinemment que s'engager sur le terrain de la demoiselle l'entraînerait inévitablement vers une défaite.
Car elle savait comment obtenir ce qu'elle désirait et bien malheureusement pour lui, il n'était pas suffisamment socialement habile pour l'en empêcher.

Sa meilleure défense face à elle était donc de témoigner de son manque d'intérêt, dans l'espoir qu'elle se résigne à ne plus le tourmenter.
Mais elle était prédatrice et si dominer était une sensation qu'elle semblait chérir au-delà du raisonnable, il n'avait bien peur de n'être qu'un jouet de plus dans sa maison des poupées.
Peut-être en était-il de même avec Laëstiel ?
Jason avait du mal à percevoir une once d'honnêteté chez cette fille.
Même si elle avait cet aspect de fruit défendu auquel il aurait aimé goûter, s'il eut été plus habile.

Le regard toujours rivé sur son livre, il reprit d'un air fatigué.

― Tu ordonnes à tes esclaves mais je ne suis pas un de tes sujets. Tu n'as aucune autorité sur moi. Laisse moi.

Il ne fit même pas l'effort de feindre une difficulté de langage ou de réduire au maximum la taille de sa phrase.
De ça aussi, elle risquerait de se jouer.

Les propos moqueurs de la demoiselle relevaient finalement plus de la simple taquinerie.
Si elle ne dégageait actuellement rien de vraiment malintentionné à son égard, Jason restait malgré tout sur ses gardes alors qu'il demeurait à son écoute.
Finalement, le jeune homme daignait lui offrir un regard.
Da sa posture elle témoignait d'un fait flagrant : pour elle, tout ce qui était présent dans cette pièce lui appartenait.
En tout cas, c'est l'impression qu'elle faisait à Jason.
Peut-être était-il dans le faux mais il avait prit l'habitude de sur-analyser chaque comportement, à défaut de comprendre le fonctionnement de chaque acteur dans cette académie.

S'il se savait incapable de survivre à un rodéo avec elle, non pas par manque d'intelligence mais parce qu'elle était bien plus habitué à converser que lui, c'est avec regret qu'il s'avouait vaincu.
Incapable de se débarrasser d'elle, il allait devoir lui donner de quoi manger pour qu'elle aille chercher des ennuies à quelqu'un d'autre.
Peut-être un peu bruyamment, il refermait son livre pour le déposer soigneusement sur Les voix du silence, titre qui n'avait dorénavant plus aucun rapport avec la situation.
Après avoir poussé un soupire inaudible, il reprit à son tour.

― Très bien, Juno-Bianca. Qu'est-ce que tu veux ?

Certainement allait-elle le questionner par rapport à son entretien avec Laëstiel mais tout cela aurait très peu d'intérêt pour la rouquine.
S'ils n'avaient finalement évoqué avec la future doyenne que sa situation auprès des O'Cesair, il se demandait ce que Juno pensait pouvoir découvrir en le questionnant.
Laëstiel avait-elle témoigné suffisamment d'intérêt envers lui pour en discuter avec cette fille ?

D'une posture aussi droite que la sienne, il entrecroisait ses doigts entre eux pour ensuite croiser ses jambes.
S'il faisait mine d'être en position pour discuter, son regard trahissait l'ennuie qu'il ressentait à l'idée de devenir à nouveau se justifier sur son cas.
Espérant seulement qu'elle se contenterait de quelques questions, il était sûrement important d'exposer quelques règles.

― Mais je préfère te prévenir, les conversations ont tendance à me fatiguer. Alors si tu pouvais éviter les ronds de jambe et en venir directement à tes questions.

Bien trop droite, bien trop correcte.
S'il avait lui aussi ce talent de provoquer le malaise par sa posture et son attitude irréprochable, cela prenait une tout autre dimension lorsque cela concernait Juno.
Elle jouait de son attitude millimétrée, un numéro bien rodé qu'elle maîtrisait avec une facilité si déconcertante que s'en était presque insultant pour son interlocuteur.
Car malgré ses mots et l'apparente honnêteté qu'ils pouvaient laisser percevoir, Jason était toujours incapable de comprendre où elle voulait en venir.
Moqueuse, elle l'était.
Mais elle ne semblait pas quémander d'information particulièrement compromettante à son sujet.
Elle se permettait d'enfoncer une porte ouverte comme le complexe que lui inspirait son masque.

Pourtant, Jason savait qu'elle s'insinuait tel un poison sous sa peau pour aller chercher ce dont elle souhaite s'emparer.
S'agissait-il de faire de lui l'un des sujets de la cour auquel il avait précédemment affirmé ne pas appartenir ?
C'est donc d'une voix un brin hésitante qu'il rétorquait.

― Je. Je ne vois pas où tu veux en venir. Honte ?

Nerveusement, l'étudiant au masque se grattait le peu de peau apparente au niveau de sa joue, témoignant de sa gêne.
S'il n'était un secret pour personne qu'il vivait plutôt mal son existence, poser des mots sur ses complexes était un exercice autrement plus compliqué.
Le regard fuyant, lui qui avait abandonné bien vite l'idée d'affronter la rousse sur son terrain de jeu, c'est en quête d'un échappatoire qu'il essayait de rediriger le sujet.
D'une manière bien malhabile.

― Tu parlais de Laëstiel, plus tôt. Qu'est-ce que tu as à voir avec elle ? Tu es une des admiratrices de ces "O'Cesair" ?

Saisissant l'instant pour se lever de manière plus ou moins brusque, il attrapait le livre précédemment emprunté de l'étagère alors qu'il commençait à tourner les talons.

― Je n'ai rien à voir avec eux. Si tu cherches des informations concernant le clan, tu te trompes d'interlocuteur.

Le livre entre les mains, il commençait à se diriger vers l'étagère.
Une fuite stratégique qui témoignait d'un fait évident : il avait perdu cette bataille avant même de la commencer.

Pendant des années, Jason s'était laissé étalé par les bavards.
Les bruyants.
Les cruels.
Peut-être n'avait-il simplement pas la volonté de combattre ?
Peut-être se savait-il trop faible face à eux pour user de la même brutalité ?
Ou tout simplement n'accordait-il pas d'intérêt à ce que l'on pouvait penser de lui.
Mais nous étions suffisamment lucide pour savoir que ce n'était pas le cas.
Les rumeurs dans les couloirs, les murmures.
Tout cela lui faisait un mal silencieux qu'il dissimulait derrière son apparence glaciale et ce visage mécanique.
Mais s'ils avaient tous cessés, ce n'est pas uniquement parce qu'il s'était terré dans l'ombre de Ace et derrière la protection de Kagerou.
A mesure qu'il s'était décoré d'étoiles, son esprit s'était solidifié, capable désormais de se défendre lui-même.

Et si son adversaire aujourd'hui était un prédateur en haut de la chaîne alimentaire, il ferait valoir sa peau comme un trophée et non pas comme un vulgaire tapis.
Lorsqu'elle s'approchait de lui, Jason se figeait.
Fuir le serpent n'avait plus aucune espèce d'importance tant son contact semblait inévitable.
Il avait suffisamment perdu de terrain et même face à la proximité, il ne reculerait pas.
Juno était désireuse de s'attaquer personnellement à lui afin de provoquer une réaction de sa part ?
Très bien.
(pas de sa grandeur du coup, dix cm sérieux ?) il la toisait.
Jason savait aussi s'improviser guerrier.

― Tu as raison, j'économise ma voix. J'observe. Et je connais tes petits stratagèmes, Juno-Bianca. Tu es brillante, c'est indéniable, mais je ne pense pas que tu sois capable de t'intéresser à quoi que ce soit d'autre que toi-même. Alors, qu'est-ce que tu penses obtenir en me posant cette question ? Je me le demande.

Jason s'avançait lui aussi d'un pas dans sa direction.
Son regard était froid, le visage inexpressif.
Il était temps qu'elle cesse de s'essuyer les pieds sur son visage, s'il n'avait jamais jugé utile la présence d'un psy à ses côtés, ce n'est pas pour se faire imposer une psychanalyse par la rouquine pendant son instant lecture.

― Je ne sais pas si je suis mort à l'intérieur, pas plus que je ne sais si tu es vivante. J'aspire juste à un peu de quiétude. Tu devrais essayer, à l'occasion. Ça ferait peut-être taire cette aigreur en toi.

L'étudiant chassait la main de la demoiselle sans violence, simplement avec lassitude, pour s'emparer du livre sur lequel il avait posé son dévolu.
Elle semblait pourtant être une personne suffisamment intelligente et élégante pour n'avoir aucun besoin de tourmenter autrui.
Parfois, il se demandait pourquoi elle se comportait comme ça.
Puis la seconde d'après, il oubliait.
Pourquoi chercher une raison à tout ça ?
Elle était sublime mais, les roses ont des épines.

Sans surprise, la jeune femme ne se laissait impressionner ni par les propos de Jason ni par son attitude.
Le jeu aurait presque pu en devenir amusant, s'il avait la moindre idée de comment devenir un joueur.
Plus qu'autre chose, il subissait la situation sans vraiment comprendre où son interlocutrice voulait en venir.
Forme d'aveux de la part de Juno-Bianca, le problème venait bien de lui.
Ou plutôt même de son existence, car il ne savait trop comment il avait fait pour perturber la fameuse quiétude qu'elle partageait avec sa meilleure amie.
C'est donc ça, le lien qui unissait les deux filles ?
Meilleure amie ?
S'il avait pu croire un instant en la sincérité dont Laëstiel avait fait preuve à son égard, se voir envoyer un chien de garde juste après leur rencontre ne jouait pas en sa faveur.
Même s'il aurait été stupide de qualifier celle qu'il avait en face de lui de "chien de garde", finalement.
Juno-Bianca avait plutôt tout du propriétaire de chenil.
Pourquoi devait-il affronter l'un des boss de fin de l'académie pour avoir simplement croisé un membre du clan dans SES quartiers ?

Dans une forme d'incompréhension, l'étudiant au masque lui rétorquait.

― Alors c'est ça ton plan ? M'ennuyer jusqu'à ce que mon existence disparaisse ? Je ne pensais même pas avoir suffisamment d'importance pour piétiner "votre" quiétude. C'est plutôt l'apanage des gens comme vous.

Et c'était vrai.
Jason n'avait nullement conscience que son existence puisse influencer celle d'une personne comme Laëstiel et encore moins celle de Juno-Bianca.
Si elle souhaitait la promesse qu'il ne croiserait plus Laëstiel, il lui suffisait de demander, ce serait pour lui aussi un véritable soulagement.
Une manière de se débarrasser du clan.
Mais au vu de son attitude, il n'avait pas l'intention de lui rendre la tâche plus facile.
Jason approchait son visage du sien, peut-être avec un peu de difficulté car elle était perchée sur des escarpins qui devaient bien faire DIX CENTIMÈTRES ????
Et il l'approchait suffisamment pour qu'elle puisse bien constater dans son regard que Jason atteignait les limites de sa patience.
Peut-être la première fois depuis le début de cette conversation, son attention était complètement dirigée vers Juno.

― Je me fiche de ta meilleure amie. Tu veux arrêter d'être aigrie lorsqu'on évoque mon prénom ? Alors voici mon conseil : ne le prononcez pas. Vous aurez vite fait de m'oublier.

Ce n'était pas dans ses habitudes de se montrer aussi agressif mais si les années à observer Juno lui avaient bien apprit quelque chose, c'est qu'on ne pouvait pas se faire entendre d'elle en rampant à ses pieds.

Juno-Bianca agrippait avec poigne son masque.
Témoignait-elle d'un courage suffisant pour affronter son alice ?
Jason ne laissait personne s'approcher de son masque, encore moi le toucher.
Pourtant conscient de s'être attiré ce traitement en faisant l'erreur de l'affronter sur son propre terrain, c'est avec une forme de résignation qu'il laissait ses joues se teindre d'un rouge dissimulé par son masque.
Jamais n'avait-il été aussi proche d'elle et c'est d'une soumission presque inavouable qu'il la laissait prendre le contrôle sur la situation.
Car Jason se savait simple proie aux prises avec un prédateur qui jouait avec sa victime avant de porter le coup de grâce.
Et c'est lorsqu'elle dévoilait une partie de son arsenal qu'il arrivait à un constat qu'il avait pourtant déjà fait inconsciemment.
Il n'y avait rien chez Juno-Bianca qu'il était en mesure d'attaquer avec les armes à sa disposition.

Et sa faute n'était pas de ne pas être en mesure de vaincre la demoiselle.
Après tout, qui en était véritablement capable ?
Sa faute était d'avoir accepté ce jeu duquel il se savait perdant au moment même où elle avait déposé son regard sur lui.
Prisonnier de sa volonté.

― Félicitations. En effet, je ne trouve aucune faille dans ton armure. Rien que je ne puisse exploiter, en tout cas. Mais je me demande. Pourquoi quelqu'un d'aussi brillant que toi adopte ce genre de comportement ? C'est ennuyant, d'être une reine ? Je n'ai pourtant pas l'impression d'empiéter sur ton territoire. Ne le prend pas comme une attaque, je me pose vraiment la question.

Mais il lui restait encore une carte à jouer.
Un mutisme qu'elle ne pourrait pas briser, malgré tous ses jeux de regard et de parole.

― Mais tu dois te rendre compte d'une chose, Juno-Bianca. C'est qu'il existe des choses en ce monde que tu ne peux ni contrôler, ni dominer.

C'est sur ces mots qu'il retirait discrètement les attaches de son masque à l'arrière de sa tête.
La parole définitivement scellée par cet acte, il dévoilait l’entièreté de son visage à son interlocutrice.
Car si elle pouvait faire plier son esprit, elle ne pouvait s'imposer face à son alice.
Si l'indifférence la rendait plus créative, qu'en était-il du silence ?
Et du danger auquel elle s'exposait face à lui.

Un silence respectueux.
Juno-Bianca avait perdu cette attitude revancharde et arrogance pour s'habiller d'une élégance certaine face à ce qu'il lui montrait.
Un silence immuable.
A sa manière de respecter son vœux de mutisme, il lui trouvait une forme de noblesse qui contrastait évidemment avec ses provocations.
Elle le démontrait encore une fois, elle était bien loin des tyrans qu'il avait rencontré jusque là.
Une reine capable de régner sur son empire, suffisamment intelligente pour se taire face à ce qui les dépassaient tous les deux.
En cela, il lui trouvait un charme irrésistible.

Il n'y avait dans le regard qu'elle lui offrait plus aucune trace de l'agressivité passive avec laquelle elle l'arrosait depuis plusieurs minutes.
Juno n'avait plus rien d'une dominatrice, l'espace d'un instant.
Ni même d'un prédateur en face d'une proie.
Peut-être pour la première fois se sentait-il humain devant elle.
Lorsqu'elle appuyait son masque contre son thorax pour le complimenter brièvement sur son physique, le joues de Jason s'empourprèrent.
Sans le masque pour dissimuler sa réaction, les lèvres tremblantes.
Il s'empressait d'attraper le masque pour le rattacher, réalisant soudainement le danger auquel il l'avait exposée pour une simple démonstration.
Peut-être était-ce ce tour de force qui l'avait rendu plus humain, à ses yeux ?
Ou alors, avait-elle simplement obtenu les réponses inavouables qu'elle attendait ?

Toujours gêné de lui avoir montré son visage, son regard se perdait dans la vague.
Le dédain qui apparaissait dans les yeux de son interlocutrice ne l'importunait pas le moins du monde, il avait depuis longtemps assimilé cela à sa signature.
Jason reculait d'un pas, rassuré que cette confrontation se soit terminée sans encombre, même s'il se devait bien d'avouer sa défaite.
Pouvait-on perdre avec les honneurs ?
D'une voix hésitante.

― Je... Je suis sûr que certaines personnes s'opposent à toi, mais ce n'est pas mon intention. C'est simplement que j'imagine mal en quoi je pourrais éveiller le moindre intérêt en toi. Peut-être que j'ai refusé de manière trop brutale de répondre à tes questions. Excuse moi.

C'est plein d'humilité qu'il s'exprimait.
Jamais il n'avait cherché querelle envers elle et encore moins à l'atteindre personnellement.
Une volonté de se défendre, rien de plus.
Mais bien suffisant pour lui.

― Et désolé pour ça. dit-il en désignant son masque d'un geste emplit de lassitude.

Jason marquait une courte pause, histoire de se recentrer, avant de reprendre.

― Je n'ai pas voulu contrariée Laëstiel. On s'est croisé dans le quartier des dangereux et nous avons eu un échange sur le clan. Rien de plus, rien de moins.

Et elle obtenait ce qu'elle désirait.
Comme toujours.

Juno-Bianca ne semblait vraisemblablement pas satisfaite de la réponse qu'il lui apportait.
« Ça n'a pas de sens... » dit-elle alors qu'il l'observait, lui aussi le regard un peu circonspect.
A quoi pouvait-elle bien s'attendre d'autre, comme réponse ?
C'est d'une sincérité sans faille qu'il avait relaté les événements qui s'étaient déroulés, selon lui.
Cela ne lui suffisait donc pas ?
Que pouvait-elle bien chercher à savoir ?
Sans qu'il ne puisse rien ajouter, elle lui confiait entre les mains le livre qu'elle avait emprunté avec négligence.
Les Voix du silence, hein...
Un titre qui n'avait indubitablement pas eu sa place, tant elle avait été capable de le faire chanter.

Une dernière remarque sur son masque et elle quittait les lieux, avec une attitude royale similaire à celle qu'elle arborait depuis son arrivée.
Un dernier regard adressé à sa démarche élégante et sa chevelure flamboyante, Jason déposait de manière étonnamment négligente le livre dans l'étagère.
Disons qu'il était préoccupé par autre chose, actuellement.
Il déposait sa main contre son masque, plongé dans une petite réflexion.
Il est si moche que ça ?