intérieur lumière chaude sur carrelage de cuisine, il fait déjà nuit dehors
bruits d’eau qui bout, d’ustensiles qui bougent, pantoufles qui traînent au sol et s’affairent
une fraction de seconde je le vois s’attarder sur son reflet dans la fenêtre, une mèche de cheveux gorgée d’eau : il avait passé 2 bonnes minutes à scruter la cuisson de ses raviolis
— ça ouvre les pores toute cette vapeur c’est pas mal… la prochaine fournée on peut la mettre ?
je soupire en voyant les deux paniers en bambou vides, les chutes de papier sulfurisé, les ciseaux perdus enterrés sous le saladier de garniture et les boîtes de conserve. une tornade avait visiblement secoué la maison, et dans son incroyable minutie façonné une cinquantaine de petits pochons de viande, champignons, chou fermenté, carotte, pousse de bambou et vermicelle de riz hachées ; j’en étudiais le pliage délicat. la farce au centre, le coin du haut et celui du bas rejoints, puis une des diagonales descendantes ainsi créées rabattue sur elle-même. une fois. deux fois. trois fois. même chose de l’autre côté. le tout posé sur le plateau puis rebombé, comme un coussin qu’on tapote pour lui refaire une beauté.
— ça arrive
— mets la table dépêche-toi c’est bientôt prêt
je profite d’une seconde de répit pour défaire ma cravate enlever ma veste. la table a laissé un peu de farine sur mes manches.
— je suis vraiment désolé pour le bazar ça a été ta journée ?
il pose sa question sans vraiment attendre de réponse. trop occupé à dresser, jeter en hâte ce qui traîne.
— bof, comme d’hab…
—
— ça a l’air bon
— tiens, les assiettes. j’ai déjà un verre pas la peine d’en prendre pour moi
intérieur parquet grinçant, guirlandes et LED en fin de vie
une table bancale trop petite pour accueillir tout ce qu’il y a à manger
le bruit de la vaisselle qui s’entrechoque à chacun de nos mouvements résonnent et couvrent nos petites voix
il a dû apprendre une grosse nouvelle. à force j’ai compris que faire des raviolis était sa manière à lui de déstresser. la farce au centre, le coin du haut et celui du bas rejoints, puis une des diagonales descendantes ainsi créées rabattue sur elle-même. une fois. deux fois. trois fois. même chose de l’autre côté. posé sur le plateau puis rebombé. inlassablement pour s’oublier. je l’imagine refaire encore et encore ces gestes, à l’identique, comme on rejouerait un air qui nous obsède, pour s’y oublier.
le temps semblait se dilater dans les riens que l’on ne parvenait pas à se dire. il mâchait sans manger, comme si quelque chose y était déjà coincé.
— je… j’ai dit à mes parents que je préférais les mecs
il frotte son pouce contre son poing fermé, porte son autre main à la bouche. et ses yeux humides regard au sol remontent doucement, difficilement, et s’arriment à mon épaule. j'écoute les mots qui ne sortent pas et ils me racontent les drames, les coups et les cris.
sa présence se fait de plus en plus enveloppante. il ne me touche pas et pourtant c’est comme s’il m’étreignait faiblement de tout son être. la détresse s’effaçait doucement sur son visage alors qu’il se calquait sur le mien, contenu. mon expression en lui, car la sienne était trop lourde à porter. à cet instant nous n'étions plus qu'un même visage alourdi du même poids au cœur.
— est-ce que je peux rester ici un moment ?
soudain sa voix brisée cassait l’illusion et moi aussi un peu. j’ai eu l’impression qu’il me suppliait de rester de marbre pour qu’il n’éclate pas.
je pleure et vite après lui aussi.
ATTENTIONNÉ - ADAPTABLE - PROPRET - EMPATHIQUE - FORCE TRANQUILLE - PRUDENT - PRÉPARÉ - FLEUR BLEUE - CONCENTRÉ - PATIENT - MINUTIEUX - PEUREUX - OBÉISSANT - INTROSPECTIF - JOUEUR - MAUVAIS PERDANT - SOLIDE - LOYAL