Une dernière cigarette.
Une autre bouffée de fumée toxique te déchirant les poumons ; délicieux poison te soulageant d'une existence trop longue. Tu as fini par t'habituer à son odeur âcre, faisant plisser le nez des autres ; toi, tu esquisses un sourire moqueur quand tu les surprends.
Tu sais que tu n'es pas dans l'endroit le plus sûr pour fumer sans te faire surprendre ; mais, après avoir aperçu la porte du gymnase ouverte, tu avais été pris d'une soudaine envie de t'y introduire, et t'étais faufilé discrètement à l'intérieur.
Agir selon tes envies, sans réfléchir. Penser après. Suivre ton cœur pour trouver cette satisfaction, courte mais unique. Parce que tu n’arriverais jamais à le faire taire, ton cœur. Et même si tu feins de ne pas entendre ce qu’il te dit, il sera là, dans ta poitrine, et ne cessera de répéter ce qu’il pense de la vie et du monde. Tout est un peu trop grand et trop rempli pour toi, Kagerou.
Alors, tu cherches à t'isoler. Fumer ta clope dans un coin tranquille, en restant enfermé dans ta bulle, dans ce petit monde où tu ne laisses rentrer personne. Mais il y a des êtres qui te touchent plus que d'autres, sans doute parce que, sans que tu ne le saches, ils portent en eux une partie de ce qui te manque.
Mais ta solitude est troublée lorsque la porte s'ouvre pour laisser entrer quelqu'un.
Une présence indésirée.
Tu reconnais ces cheveux blonds, même de loin, tu te souviens de son sourire condescendant, de ton poing qui t'avait démangé.
Kyren.
Et, derrière lui, une de ces fouines de la section Nova.
Ton ventre se noue rien qu'à la vue de ces lèche-bottes. S'ils désirent se vendre à la direction, grand bien leur fasse ; à condition qu'ils n'entraînent personne d'autre dans leur folie. Tu te demandes s'il t'a remarqué, tapi sous les gradins, s'il a senti l'odeur désagréable, s'il a vu la fumée dansante. Tu ne sais même pas si ça te ferait quelque chose qu'il te crame ici en train de fumer, ou que Kyren lui signale ta présence. Ça te ferait une bonne raison pour te défouler, rejeter un peu cette colère sourde qui bouillonne en toi, qui te retourne les entrailles.
Mais tu l'entends indiquer un autre endroit ; inventant un mensonge maladroit sur le coup. Toi, aidé par ce garçon que tu ne parviens même pas à tolérer en temps normal? La situation te semble tellement irréelle que tu te demandes si ton esprit ne te joue pas des tours ; ou plutôt si ton partenaire ne t'a tout simplement pas reconnu.
Après quelques instants de réflexions, l'élève tourne les talons et sort en claquant la porte du gymnase, te laissant seul avec lui.
Tu expires longuement la fumée âpre, et plonge tes yeux dans les siens après l'avoir entendu. Tu sais qu'il est loin d'avoir tord, mais tu n'avais pu résister à ce désir de t'installer ici.
"J'ai envie d'être là."
Puis, avec un peu de gêne due à l'incompréhension de ses actes, tu te passes une main derrière la tête, ébouriffant tes cheveux blancs, tenant ta cigarette fumante dans l'autre.
"...Merci de m'avoir couvert."