June et Aline se promenaient depuis un moment maintenant dans la forêt maudite. En milieu de journée, la blondinette avait proposé à son amie de l'accompagner chercher des pierres après les cours. C'était aussi l'occasion pour l'adolescente de se donner du courage afin d'y remettre les pieds. En effet, la dernière fois elle avait fini dans un profond puits gravement amochée.

« ... et du coup mademoiselle Bradwyr est venue à ma rescousse. J'ai eu beaucoup de chance, termina-t-elle d'expliquer à la rousse. »

Rien que le fait d'en parler donnait des frissons à la jeune fille. Elle n'avait eu aucune séquelle physique, mais le traumatisme demeurait bien présent dans son esprit. Deux choses lui permettaient cependant de garder la tête froide : June et le fait que revenir dans cet endroit pourrait peut-être exorciser ses peurs. Un peu comme quand on remonte à vélo après une chute...

Haussant les épaules, l'Anglaise décida de penser à autre chose. Les minéraux redevinrent le centre de son attention et l'espoir de trouver de nouvelles roches inédites la motiva. Avançant toujours plus profondément dans les bois, elle n'avait pas encore remarqué que le jour commençait à décliner dangereusement. N'ayant pas non plus la notion de distance, elle ne savait guère combien de temps il leur faudrait pour rentrer. De toute manière à deux elles ne craignaient rien, n'est-ce pas ?

À quelques mètres du groupe, en dehors du champ de vision d'Aline, une paire d'yeux jaunes guettait avec avidité les demoiselles. Cela faisait plusieurs minutes que la chose suivait le binôme et elle se tenait aussi silencieuse que possible. Agréablement surprise en les apercevant débouler sur son territoire, elle ne perdit pas une seconde pour se mettre à les filer discrètement. De temps à autre son passage dans les bussions provoquait des bruissements de feuilles, mais avec un peu de chance ses proies penseraient qu'il s'agissait du vent. Ces deux êtres allaient payer le prix fort pour leur inconscience.

Tapis dans l'ombre, le monstre se représentait l'attaque des fillettes. Elles n'auraient pas le temps de réagir qu'elles seraient déjà à terre, baignant dans leur sang. Il suffit juste d'attendre le moment propice. Rien que de l'imaginer, la bête en salivait et son souffle redoublait d'intensité. De faibles grognements incontrôlés sortaient de sa gorge tant l'envie de leur sauter dessus devenait pressente. Encore un peu de patience... tout vient à point à qui sait attendre.

Loin de se douter qu'un danger planait sur elle, Aline flânait paisiblement tout en scrutant le sol et en discutant avec son amie. Elle n'avait encore fait aucune découverte, mais ne s'en formalisait absolument pas. Il lui était déjà arrivé plusieurs fois de rentrer bredouille, et elle n'y voyait aucun mal. Chaque coup ne peut pas être gagnant.

« Je suis contente que ta Fluorite te plaises autant, déclara-t-elle en regardant le pendentif de la rousse. Tu la portes tout le temps à ce que je vois, c'est cool ! »

Depuis que la gemme l'avait choisie, son amie semblait ne plus la quitter et cela faisait grandement plaisir à la blondinette.

« Tu savais que les Romains buvaient dans des coupes en Fluorite pour éviter d'être saoul trop vite ? poursuivit-elle en rigolant. Je me demande si ça fonctionnait réellement sans mon alice... »

Il y eut d'abord plusieurs craquements. Suivi de près par des bruits de pas en cascade. Aline était toujours occupée à discuter avec son amie quand elle se rendit compte que quelque chose venait de sortir des buissons et se dirigeait tout droit vers elle. Paniquée, elle ne prit même pas le temps de détailler la bête et détala aussitôt en hurlant. June était un peu plus loin, et l'avait remarquée. Celle-ci semblait extrêmement concentrée et tenait son bras droit levé. Comprenant ce qui allait arriver, la blondinette ne réfléchit pas une seule seconde et s'élança dans sa direction. Le brouillard que la rousse créerait leur permettra de se cacher et s'enfuir.

Rapidement, un épais nuage noir prit possession des lieux et la jeune fille se retrouva également piégée dedans. Sentant son coeur s'emballer, elle pressa le pas pour rejoindre son amie et s'échapper de ce brouillard opaque. Malheureusement la nature profonde de la maladroite doublée de son état d'affolement paraissaient déterminés à ne pas l'aider, et alors qu'elle se pensait bientôt en sécurité, le pied d'Aline heurta un monticule de terre projetant celle-ci dans les airs.

Non, non, non... Ce n'est pas comme ça que ça devait se passer ! D'où est-ce qu'il vient celui-là ? Ce sont MES proies. Pour qui il se prenait à débarquer de nul part et voler son dîner ? Quelques minutes plus tôt, alors que la chose s'apprêtait à se dévoiler pour sauter sur la petite rousse, une autre bête apparut du côté opposé au sien. L'animal en voulait clairement à la blonde et s'était mise à la pourchasser. Ce devait probablement être encore un débutant, il n'avait pas su attendre le moment parfait afin d'attaquer et le voilà maintenant prisonnier d'une sorte de brume noire. Alors que l'une semblait totalement sans défense, l'autre risquait de poser problème.

Un plan commença à prendre forme dans l'esprit de la bête encore dissimulée. Pendant que l'idée se construisait petit à petit, un sourire féroce se dessina sur ce qui se rapprochait de lèvres sur son visage. Finalement ce n'était pas plus mal que cet espèce de nigaud se soit déclaré. Cela lui aura permis une ouverture parfaite pour son guet-apens à lui. Les fillettes n'avaient plus aucune chance.

Lorsqu'elle atterrit lourdement au sol, Aline se rendit compte qu'elle était au pied de June. Celle-ci demeurait toujours aussi impassible et générait continuellement son nuage. Même si le moment ne s'y prêtait pas, la blondinette resta bouche-bée face à ce grand courage. Au lieu de se sauver, elle avait eu le réflexe d'attaquer la chose presque immédiatement. Impressionnée, la blondinette se promit de démontrer une gratitude infinie à son amie une fois de retour à l'académie.

« Il faut vite qu'on rentre à l'école ! cria-t-elle à la rousse. »

Tentant de se relever, l'adolescente se rendit compte avec horreur qu'une vive douleur au niveau de sa cheville l'empêchait de le faire facilement. En quelques instants les souvenirs revinrent avec force et la blondinette se retrouva projetée de nouveau dans ce trou profond. Il lui était arrivé exactement la même chose la fois dernière et le traumatisme ne tarda pas à répandre son poison dans les veines d'Aline. Des tremblements s'emparèrent de son corps tandis qu'elle tentait de discerner les traits de la bête à travers la brume. Même si cette dernière devait avoir perdu tout repaire à l'intérieur, elle pouvait parvenir à s'en dégager par hasard et les cueillir comme une fleur.

Curieusement, autre chose attira l'attention de l'Anglaise qui tourna la tête instinctivement. Instantanément ses yeux s'ouvrirent en grand et un hurlement effroyable sorti de sa gorge. Discrètement, un deuxième monstre beaucoup plus imposant que le premier avançait dans leur dos. Le regard qu'il portait était infiniment menaçant et son expression reflétait une férocité et une cruauté inouïe. Une lueur mauvaise dans ses yeux fit perdre à la lycéenne toute contenance qui se mit à vouloir se remettre debout par tous les moyens.

« June, JUNE ! IL Y EN A UN AUTRE DERRIÈRE NOUS, s'égosilla-t-elle. »

En un clin d'oeil, la situation est passée de désespéree à impossible. Alors que June se retournait pour faire face au deuxième assaillant, la pauvre se fit attraper par le cou et emporter dans son nuage. Aline hurla d'effroi puis boostée par l'adrénaline, réussit enfin à se relever. Sans réfléchir, elle fonça à travers la brume dans l'idée de rechercher son amie. Celle-ci avait besoin d'aide et il était hors de question de la laisser seule avec deux monstres autour ! En boitillant, elle s'aventura à la poursuite de la rousse tout en l'appelant. Tant pis si cela permettait aux bêtes de la localiser.

Au bout de quelques pas, Aline se rendit compte que le brouillard paraissait s'épaissir au fur et à mesure que les secondes s'égrenaient. Au même instant, sa gorge se mit à lui brûler et de grosse larmes commencèrent à couler sur ses joues. Quelque chose de désagréable semblait à l'oeuvre mais la blondinette ne voulait pas s'y attarder. Retrouver la fillette restait le plus important. Tandis qu'elle s'époumonait toujours à croasser le nom de June, une quinte de toux l'obligea à se plier en deux. Sentant ses jambes céder, elle s'agenouilla en poussant un grognement de rage avant d'apercevoir un pied. Il s'agissait de la chaussure de son amie ! Puisant dans ses dernières ressources, l'adolescente se releva et s'approcha tant bien que mal de la petite étendue au sol.

Comme mise sur mode automatique, l'Anglaise ignora le feu qui se propageait littéralement dans ses poumons et souleva la rousse. Lui tenant fermement la taille, elle tenta de revenir sur ses pas pour sortir de ce nuage nocif. Est-ce là l'un des effets qu'avait l'alice de June ? Sa brume pouvait se transformer en poison capable de liquéfier tout être vivant de l'intérieur ? Voilà pourquoi elle n'avait jamais voulu s'attarder dessus ! Elle devait probablement en avoir honte et ne pas vouloir en parler. Après tout, qui irait dire aux autres qu'il était capable de tuer en quelques minutes... Se promettant d'avoir une longue discussion avec la rousse, Aline accéléra son allure. Il fallait sortir d'ici au plus vite. Pour le moment, elle n'avait croisé aucun attaquant et priait de ne pas tomber dessus par hasard. Avec un peu de chance ils se sont probablement enfuis dès que le brouillard était devenu toxique.

Haletante, la blondinette ne voyait plus clair et un mauvais goût métallique régnait dans sa bouche. Elle luttait pour ne pas se laisser aller à tousser sachant pertinemment que si elle s'y risquait, elle ne s'arrêterait plus. La douleur aigue provenant de sa cheville enflée irradiait dans tous ses membres et elle se forçait à mordre ses lèvres pour éviter de crier. Soudain, elle ne parvint plus à aspirer d'air et se retrouva à faire de l'apnée forcée. La panique augmenta d'un cran et réalisant que la fin était sûrement proche, l'adolescente donna un dernier coup de collier. Elle perdit l'équilibre tout en projetant son corps ainsi que celui de son amie vers l'avant, et heurta la tête la première le sol.

La jeune fille se rappellera ensuite avoir perdu connaissance puis s'être réveillée presque immédiatement avec une aspiration goulue. Par réflexe, elle se releva à moitié avant de cracher du sang contre un arbre puis se rallongea sur le dos. Via on ne sait quel miracle, elle était parvenue à se sortir elle et June du nuage noir mais leur état laissait grandement à désirer. Elles l'avaient échappé belle, cependant il fallait rapidement se soigner sinon qui sait quelles séquelles elles risquaient de garder !

N'ayant pas encore la force de bouger ne serait ce que le petit doigt, Aline demeura couchée tout en respirant avec labeur. Il y avait une légère brise fraîche et elles étaient toutes deux sous des arbres. Quelques rayons filtraient à travers les branchages et les feuilles bruissaient doucement. L'air pur la revigorait mais tout son être continuait à souffrir horriblement. Ce ne fut d'ailleurs qu'à cet instant qu'elle se mit à pleurer. Non pas de douleur ni de peur, mais plutôt de soulagement.

Pour la première fois de sa vie, la mort n'avait été qu'à un cheveu de la faucher.

Au prix d'un effort surhumain, Aline parvint à tourner sa tête vers la droite. Un coup d'oeil lui suffit pour se rendre compte que June semblait aussi mal en point qu'elle, si pas pire. La pauvre saignait de partout et respirait d'un souffle rauque. D'ailleurs ce même son provenait également de la gorge de la blondinette qui aspirait avec peine. Ce nuage avait provoqué des dégâts considérables sur son propre corps et celui de son amie et il était évident qu'elles ne pourraient pas bouger seules. Pour une fois, la jeune fille n'avait aucune pierre qui aurait permis de les aider. La lithothérapie soulageait les blessures physiques sur le long terme, or là il leur fallait des soins d'urgence. Doucement, la panique commença à reprendre possession de l'Anglaise qui se voyait déjà rester bloquée à cet endroit pendant des jours. Même si elles étaient hors du brouillard, le danger demeurait présent. Entre la déshydratation, la perte de sang abondante ou encore l'infection, qu'est-ce qui les emporterait en premier ? Sans compter que les bêtes finiraient sûrement par revenir...

Aline... Ce n'est pas le moment de lâcher, tu n'es pas toute seule.

Une larme coula le long de sa joue tandis que la lycéenne tentait de se ressaisir. La petite rousse était restée plus longtemps qu'elle dans la brume et avait donc subit davantage de dommages. Si elle ne prenait pas de décision, la fillette risquait de ne jamais se remettre et rien que d'y penser son coeur se serra. Dans un élan de courage, Aline se redressa à moitié. Très vite, le brasier à l'intérieur de son corps reprit de plus belle et la força à se rallonger aussitôt. Elle poussa une longue plainte de douleur avant de se remettre à sangloter. Elle ne pouvait pas se lever puis de toute manière avec sa cheville foulée, elle ne réussirait pas à aller bien loin. La situation paraissait désespérée, ce qui provoqua une sorte de résonnance dans l'esprit de la maladroite. La dernière fois, elle était coincée au fond d'un trou et...

MADEMOISELLE BRADWYR !

Si elle avait pu crier, elle l'aurait fait. À la place, il n'y eut que les yeux d'Aline qui s'ouvrirent en grand. L'infirmière était leur seul salut et par chance elle possédait son numéro ! Étant une patiente régulière suite à ses maladresses, elle avait fini par demander à la guérisseuse si elle pouvait l'ajouter à son répertoire en cas de gros problème. Sa prévoyance s'apprêtait à payer : si tout se passait bien, les deux filles devraient être à l'hôpital d'ici ce soir !

Lentement, la blondinette dirigea sa main vers sa poche et en extirpa son téléphone. Tremblante autant de douleur que de peur, elle déverrouilla le mobile et fit défiler sa liste de contact. Lorsque ses yeux se posèrent sur le nom de l'adulte recherchée, une douce sensation commença à chasser le feu qui régnait dans ses poumons. Rien que le fait de le lire apportait un certain réconfort à Aline qui portait en l'infirmière une énorme estime et une affection sans borne. Ses gestes rassurants et ses expressions étaient synonymes de guérison pour elle, et rien n'arriverait à altérer cette vision. Ne pouvant pas encore parler, l'adolescente préféra partager sa position géographique accompagné d'un petit message disant qu'il était question de vie ou de mort.

À peine son pouce ayant appuyé sur le bouton envoyer que sa tête se mit à lui tourner intensément. La frayeur vint se mêler à l'affolement et l'Anglaise comprit qu'elle venait de trop solliciter ses membres. De toute manière le SOS était parti, il n'y avait plus qu'à attendre. Le coeur au bord des lèvres, elle ferma les yeux. Des gouttes de sueurs commencèrent à perler sur ses tempes et respirer devint un dur labeur. Plus rien n'allait en elle et c'est sur cette pensée qu'Aline s'évanouit.