Si une chose parmi tant d’autres pouvait être dite à propos de Robin, c’est qu'il avait toujours été du genre bien plus sportif que cérébral –sans surprise, personne ne s’en étonnait. Il n’était peut-être pas l’athlète parfait mais il mettait souvent du cœur à l’ouvrage, et avouait avoir une certaine passion pour le jeu et le goût de la victoire bien méritée, comme on en voit dans les séries à la télé. Aussi il prenait à cœur chaque entraînement avec le club de volley et donnait toujours tout ce qu’il avait –parfois trop, Elyas le lui avait déjà reproché.
Mais cette fois, c’était un peu différent.
Cette fois, il ratait plus de points qu’à l’accoutumée, ses gestes se voyaient moins coordonnés, son rythme de jeu moins fluide et travaillé ; comme si quelque chose le gênait suffisamment pour l’empêcher de se concentrer.
Et quelle chose c’était que d’avoir croisé le regard de Gabrielle O’Brien, capitaine de l’équipe des filles contre laquelle ils s’entrainaient. Quelle chose c’était que d’avoir senti presque instantanément ses joue brûler et d’avoir perdu l’espace d’un instant tout contrôle de la parole, incapable d’aligner deux mots correctement ou à l’inverse, de se retenir de débiter connerie sur connerie quand il sentait ses yeux bleus darder sur lui comme la plus belle des épée de damoclès.
Au bout d’un temps qu’il n’aurait pu quantifier tant il était déconnecté du terrain, une pause de vingt minutes fut annoncée pour laisser le temps à chaque équipe de faire un peu le point sur leurs stratégies respectives et pour que les joueurs puissent se reposer. Bien évidemment, Elyas ne se priva pas de lui rentrer dedans à propos de sa performance plutôt pitoyable, mais habitué à ses remontrances, Robin se contenta d’acquiescer chaque fois qu’il sentait que c’était à lui de parler, laissant les mots de son capitaine lui rentrer par une oreille et sortir par l’autre tandis qu’il tentait d’observer les filles par dessus son épaule –enfin, surtout Gabrielle.

« Ça va j’ai compris, j’étais juste pas très concentré, fit-il finalement, pressé d’en finir et d’avoir la liberté d’aller parler à celle à cause de qui il manquait à tous ses devoirs d’ailiers, je vais me refaire, te bile pas ! Sinon euh –il venait de remarquer que l’équipe féminine venait de se disperser et voyait là l’opportunité parfaite– faut que j’aille euh, par là du coup…bah à toute ! »

Et avec autant de discrétion qu’un clown à chaussures bruyantes, il se dirigea vers la capitaine adverse.

« euh SALUT ! fit-il à voix beaucoup trop haute sous le coup de l’excitation et du stress –il se collerait bien des baffes des fois quand même– haha euh, vous avez bien joué hein ! pfiou ! »

Comment on aborde une fille déjà ?
Faut lui faire des compliments non ?
Ok, champion, you got this, comme ils disent à la télé. On la joue cool, détaché, mais intéressé et attentif, ça va marcher, surtout panique pas et dis pas n’importe qu-

« T’es trop belle, hein, j’crois je t’aime ! »

…

Pourquoi t’as dit ça espèce de turbo débile, t’es vraiment le roi des trous du cul avec tes conneries, qu’est-ce qu’elle va penser de toi maintenant, imbécile de tes morts là !

La –petite– voix du peu de conscience qu’avait Robin s’acharnait sur lui et sa stupidité impulsive ; et à raison. Les mots étaient sortis tout seuls de sa bouche, comme s’il n’avait aucun filtre entre ses lèvres et son cerveau. À bien y réfléchir, c’était sûrement le cas en vérité, et il devait être le dernier à s’en rendre compte, comme à chaque fois. Il était prêt à rétropédaler comme jamais et lui sortir le coup de la mauvaise blague, mais Gabrielle lui coupa l’herbe sous le pied.

« Ahah, c'est gentil, mais ne sors pas la bague de mariage tout de suite, je suis pas si facile que ça. »

Il ne nota pas spécialement le rejet poli dans sa formulation. Elle avait sourit, et elle avait dit que c’était gentil. Il n’en suffisait pas plus pour rassurer son esprit simplet. Un large sourire fendit son visage de part en part.

« Eh capitaine ! Elle s’écria en direction d’Elyas, c’est pas la peine de m'envoyer tes joueurs les plus mignons pour m'attendrir, je vous laisserai pas gagner pour autant.
— Hein, c’est moi qu’est mignon ? C’est vrai ? ado naïf incapable de discerner la différence capitale entre mignon et beau quand une fille parle d’un garçon.
— Allez on y retourne! Donne-toi à fond et reviens me voir après l'entraînement, ok ?
— Ok !! À toute’ !! »

Et encore plus remonté à bloc, il s’en retourna du côté de son équipe en ne cessant de répéter à qui voulait –ou pas– l’entendre, « elle a dit que j’suis mignon t’as entendu ?! »

Il se montra un peu plus concentré durant la suite de l’entraînement ; notamment parce qu’Elyas allait lui arracher les yeux s’il ne faisait pas d’efforts mais aussi dans l’espoir secret d’impressionner Gabrielle avec un de ces smash bien placés dont il avait parfois le secret. Quand le coup de sifflet final retentit, il ne tenait littéralement plus en place alors qu’il était censé être épuisé d’avoir tant joué.

« Alors, fit-il quand le capitaine le laissa enfin vaquer à sa liberté, j’ai assez bien joué à ton goût ? fit-il avec une voix sur laquelle il forçait trop pour que ça sonne grave et suave alors qu’il était encore à l’âge nul où les cordes vocales font ce qu’elles veulent aux pire moment ; ça ne rata pas, la fin de sa phrase s’érailla dans les aigus et des rougeurs embarrassées se logèrent sur ses joues déjà bien rosies par l’effort. »

Dépité de ses performances de drague qui avoisinaient le zéro absolu, il se fendit d’un ricanement léger et auto-dérisoire en se passant une main dans les cheveux.

« J’ai fait de mon mieux comme tu m’as dit ! »

Naïf comme c’est pas permis.

Son rire sonnait comme des petites clochettes aux oreilles de Robin qui sentait ses entrailles se tordre –et d’une façon étrangement douce– à chaque geste qu’elle esquissait. Des filles qu’il avait trouvé jolies, il y en avait des tas, mais jamais aucunes d’elles n’avait provoqué chez lui de telles réactions –c’était une alchimie étrange qui venait d’opérer sans qu’il n’en comprenne le comment ni le pourquoi.
Mais c’était agréable, alors pourquoi pas ?

« Ahah, t'as été au top! j'ai même eu du mal à suivre, pour te dire !
— Merci ! fit-il en ricanant, incapable de dissimuler la fierté que lui procurait ce compliment –surtout venant d’elle– Faut dire qu’Elyas m’aurait éclaté si j’avais fait n’importe quoi comme au début ! »

Et puis surtout, elle lui avait demandé de donner son maximum, alors il l’avait fait.

« Attends-moi à la sortie si tu m'aimes toujours, je vais prendre une douche, je suis toute dégueu.
— Hein ? Il était surpris par la remarque car il n’avait même pas remarqué qu’elle aussi, tout comme lui, s’était si bien donnée à l’entraînement que la sueur s’était déposée en une fine pellicule luisante sur son front et que ses cheveux n’étaient plus aussi bien maintenus en place qu’au début de la séance –et maintenant qu’il l’avait remarqué, Robin ne pouvait s’empêcher de la trouver encore plus jolie. Ah oui, ça marche, je t’attends ! »

Et parce que Robin n’avait pas saisi l’oisiveté du ton de sa remarque, et que de toute façons il ne faisait jamais de promesses en l’air, il était allé se doucher brièvement à son tour et laissa ses amis partir devant lui en prétextant avoir quelque chose à faire –alors que ses intentions de passer plus de temps avec sa nouvelle obsession du jour devaient crever les yeux de tout le monde à part lui.


Il avait attendu patiemment, avec un léger tremblement dans le souffle. La crainte latente qu’elle ait oublié lui effleura l’esprit –après tout c’était important pour lui, mais dans le fond qu’est-ce qu’elle pouvait bien en avoir à faire de lui ?– mais il faisait tout pour ne pas y penser. Incapable de rester immobile, il s’agitait nerveusement contre le mur.
Robin haïssait viscéralement chaque moment de solitude car c’était en leur sein que ses anxiétés bien ancrée refaisaient surface pour le harceler de vilaines pensées –il comptait les minutes comme si ça les faisait passer plus vite pour se donner quelque chose sur quoi se concentrer, ne pas se laisser emporter. Et quand il la vit sortir à son tour du vestiaire, la lumière qui s’alluma dans son regard ne trahissait pas qu’un coup de foudre adolescent.
Rien que par sa présence, elle le sauvait du trouble du silence.

« Whaouh, en vrai je pensais pas que t'allais vraiment patienter.
— Haha, moi quand je dis quelque chose je le fais ! »

Robin ne se fit pas prier deux fois quand elle lui proposa de s’asseoir à ses côtés. Avec l’empressement d’un enfant, il la rejoignit sur le banc et s’assit en laissant ses jambes de part et d’autres afin de pouvoir lui faire face et avoir tout le loisir de la regarder –et dans l’excitation, il ne pouvait empêcher ses jambes de s’agiter.

« Alors ? Tu fais souvent ce genre de déclarations aux nanas ?
— Non, c’est la première fois, il avoua sans honte, quoiqu’avec les joues rosies d’en parler aussi ouvertement –mais il n’allait pas lui mentir juste pour paraître un peu moins con.
— Au fait, moi c'est Gabrielle !
— AH ! –quel abruti, il en avait oublié l’essentiel– moi c’est Robin ! »

Et maintenant, Casanova ?
Qu’était-il censé dire ou faire pour poursuivre une conversation avec une fille qui lui plaisait ? Il n’en n’avait pas la moindre idée puisque ça ne lui était encore jamais arrivé, alors au diable les interrogations maladroites, il allait faire comme il avait toujours fait pour sympathiser –de toute façon, vu comment il avait entamé la conversation, autant continuer sur sa lancée.

« Eh tu veux des bonbons ? J’en ai plein dans mon sac attends… »

Il se pencha pour récupérer son sac et en sortit un énorme paquet pas encore entamé –chaque fois qu’il réussissait à mettre un peu de sous de côté, il remplissait ses réserves en achetant les paquets les plus gros du marché. Il avait prévu de les partager avec le reste de l’équipe à la fin de l’entrainement, mais puisque les plans avaient changés, autant en profiter –et puis de toute façon il en resterait forcément pour ses copains à la prochaine séance.
Mais dans la précipitation –et le fait que sentir le regard de Gabrielle sur lui le faisait un peu trembler– Robin en voulant ouvrir l’emballage tira trop fort dessus, et celui-ci lui explosa entre les doigts, éparpillant ainsi partout les petits bonbons colorés et heureusement emballés dans des papiers individuels.

« OH NON ! »

Un vrai Don Juan.

Il était passé pour un idiot avec ses maladresses d’enfant –quoique pour ceux qui le connaissaient bien ce n’était pas très différent de d’habitude– et eut peur un instant qu’elle ne se moque et se désintéresse de lui. Gabrielle pouffa un instant, mais malgré tout, elle ne quitta sa place que pour l’aider à ramasser ses bêtises, et non pour le laisser en plan.
Gabrielle, c’était pas juste une jolie fille qui le faisait bégayer désormais ; c’était comme un ange.

« Ils sont bons dis donc ! J’en mange jamais mais peut-être que je vais y prendre goût haha! J'aurai intérêt à faire plus de volley que maintenant pour pas devenir énorme.
— Bah, c’est pas ça qui va te faire grossir, rassure-toi ! Et puis c’est pas grave en plus, on s’en fout, non ?
— Par contre, propose pas ça aux primaires, ils vont te prendre pour un pervers.
— Haha ! Mais non grave pas, ça dépend de comment tu leurs proposes, regarde –il se mit debout sur le banc et se mima en train de lancer des bonbons dans la cour de récréation comme un fermier lance des graines dans une basse-cour pleine de volaille– Chasse au bonbon les microbes, alleeez !! »

Ça lui rappelait des souvenirs tendres de celui qu’il considérait comme son père ; même avec son maigre salaire, il trouvait à de rares occasion les moyens d’acheter des montages de sucreries qu’il balançait dans les chambres de la même façon, sans prévenir, juste pour le plaisir de voir s’allumer un peu de bonheur dans les yeux de tout ces gosses qu’il aimait tant et qui méritaient tout de même un peu mieux.
La voix de Gabrielle le ramena à la réalité, et Robin se rassit aussitôt, de légères rougeurs sur les pommettes et les oreilles, un peu honteux à son grand âge d’être toujours aussi sensible à ces souvenirs d’enfants.

« Euh, j’suis arrivé vers onze ans du coup je suis là depuiiis –il compta sur ses doigts puisque le calcul mental n’avait jamais été son fort– quatre ans à peu près ? T’as dû me voir déjà en vrai, on est dans la même classe mais on s’était encore jamais parlé ! »

C’était d’ailleurs étrange qu’il n’ait réalisé qu’aujourd’hui à quel point Gabrielle était jolie.
C’était peut-être l’âge tout simplement ; il arrivait enfin à cette période où il se rendait compte que les filles n’étaient pas si bêtes et ennuyantes à ses yeux et qu’il avait même envie de se rapprocher d’elles.
Mieux vaut tard que jamais comme on dit.

« En tout cas j’suis content d’être venu te parler aujourd’hui ! »

Dans le sourire qu’il lui dessina de ses lèvres rayonnaient milles soleils.

Quand Gabrielle se releva à son tour, Robin senti que leur interaction du jour arrivait probablement à sa fin ; il aurait aimé discuter avec elle plus longtemps encore mais s’estimait déjà heureux d’avoir pu lui parler en tête à tête aussi longtemps à la fin de l’entraînement.
Tandis qu’elle fouillait dans son sac, il s’affaira à ranger ses affaires également et ne le releva la tête vers elle que lorsqu’elle l’interpella en lui tendant un bout de papier.

« Tiens. Désolée j’ai pas mon portable sur moi mais t’as qu’à m’envoyer un message comme ça j’aurai ton numéro. »

Ses yeux s’ouvrirent grands comme des soucoupes et son sourire enthousiaste était si béant qu’il en devenait comique.
C’était la première fois que Robin obtenait le numéro d’une fille –de cette manière là.

« OOH, TROP COOL ! –il réalisa qu’il venait de parler très fort et se pinça les lèvres pour contenir un peu ses ardeurs– merci !!
— Même si demain t’es plus amoureux, tu peux toujours m’appeler, on passera un peu de temps ensemble si tu veux bien. »

Sauf que Gabrielle, ce que tu n’as pas encore compris, c’est que lorsque Robin s’accroche à quelqu’un, il ne s’en défait pas si facilement –comme un coquillage s’accroche à son rocher, les gens qui gravitent autour de lui sont ses repères à tout jamais ; et désormais, toi aussi tu en fais partie.

« Promis ?
— Promis ! Je t’envoie le message ce soir ! fit-il en s’empressant de joindre son auriculaire au sien dans une promesse gestuelle qui fit battre son cœur un peu plus fort. »

Promis, Robin sera toujours amoureux demain, et puis les jours suivants aussi.