à force de graviter plus près plus souvent de certains astres on assiste parfois des phénomènes astronomiques inédits. réalise suffisamment de révolution autour de quelqu'un et l'on comprend petit à petit l'agencement de ses univers. celui de Pryam. un astre en son centre, du genre flamboyant, qui irradie de rayons incandescents. c'est quelqu'un qui a le cœur en fusion, je commence à le connaître à force. et puis peut-être parce qu'il est fait de déflagrations, je n'ai pas remarqué tout de suite. régulièrement dans son système il y a comme un corps céleste qui s'invite, passe momentanément dans la plus grande discrétion, file dans les ombres avant de disparaître sans un bruit. satellite sans attache, venu d'ailleurs, j'ai demandé le nom de cette exocomète et j'ai depuis appris
que tu t'appelais Freddie.

cette étoile là a les cheveux sombres
et des tranchées de fatigue creusées sous les yeux, font des regards fuyants. c'est des détails qu'on a noté dans un coin des univers pour se souvenir et reconnaître au prochain passage. car le tracé que tu suis me désempare Freddie je ne sais pas je me demande si tu voyages comme il faut, si tu ne titubes pas un peu plutôt. tes sentiers je ne les connais pas tu ne laisses rien deviner mais c'est comme sentir qu'ils dissonent immensément tant ils sont si différents de tout ce que j'ai pu connaître jusqu'alors. les liens entre ton frère et toi c'est une ligne trouble, vos constellations incertaines sont timides encore
je le vois bien à force de les voir mal.

je vois mal ce que tu fais à voyager seul aujourd'hui encore Freddie,
à errer comme une âme en peine au cœur des espaces-temps festifs. Noël c'est une fête de famille mais quand je te reconnais qui reçoit le cadeau annuel de Tabasco je trouve que tu as une aura d'orphelin - je connais bien cette atmosphère.

et malgré le fait que tu évites à tout prix les collisions - j'évite aussi de jour - aujourd'hui je ne peux pas m'empêcher, malgré les mains qui ne sont pas libres je veux les tendre vers toi, vérifier si ça va derrière tes airs désorientés que je manque de perdre au milieu du marché bondé. c'est noir de monde on n'y voit rien alors je cherche je cherche je cherche sur les visages
des yeux obscurs cernés d'ombres, c'est comme tenter de repérer un noyé dans des vagues déchainées j'y laisse des souffles aussi et me faufile dans la foule. cherche et trouve
les comètes -
elles sont allées se réfugier à l'arrière des allées de stands chaotiques, affamées d'accalmie elles se sont lovées dans la neige.
Freddie assis là avant je n'aurais jamais osé après tout on ne se connait que de vue et encore, en biais pour toi -
mais à te poser trop longtemps ici tu vas mourir de froid.

Freddie -
tu peux pas rester là.

l'œillade est inquiète - les comètes ça s'arrête jamais d'habitude.

ça va ? ... tu veux pas on bouge ailleurs où il fait pas moins dix ?

qu'on se rende du coté d'un soleil n'importe lequel celui que tu voudras.

de jour comme de nuit quand cette étoile là passe c'est toujours pour briller faiblement le moins longtemps possible elle veut se faire oublier mais aujourd'hui c'est la première fois
où elle ne fuit pas les regards
et je crois que c'est plus effrayant qu'autre chose car elles se laissent vaciller sous mes yeux, donnent l'impression qu'elles pourraient s'éteindre comme ça, sans qu'on puisse rien y faire. tendre la main me semble idiot c'est trop loin et puis je ne sais pas
je ne suis pas sûr d'avoir jamais eu le droit Freddie ce serait ne pas respecter les éclipses que tu imposes toujours.

... t'as fait tomber quelque chose.

cet éclat dans la poudreuse je peux ramasser, à défaut de savoir comment rassembler les tiens, sans un mot je récupère l'objet de la main libre qui ne porte les achats, souffle pour tenter de chasser le givre avec des expirations chaudes elles ne sont pas suffisantes
avant d'approcher du visage pour inspirer
curieux du parfum de la chandelle que tu étais prêt à abandonner la neige.

sens
l'odeur des peintures - celle des toiles qu'on emmenait toujours avec nous et puis celle des appartements neufs où l'on ne prenait jamais le temps de s'installer,
l'odeur des fumées - les longues cigarettes des femmes bien habillées et les cigares des hommes tenus dans des mains baguées d'or
et puis le sucre, au cœur des amertumes, chaud du pain perdu et froid des sorbets, hiver comme été
des onguents aigres-doux qui perturbent les équilibres
je ne comprends pas - Freddie tu sens ça aussi ? -
abaisse la bougie et tourne entre les doigts pour lire l'étiquette

c'est des fragrances d'enfance
je comprends mieux
pourquoi tu voulais laisser derrière toi.

silences pesants, les yeux dans les souvenirs, je serre au creux des paumes avant de lâche prise, laisse tomber au sol on n'entend pas l'impact c'est étouffé par tout le blanc qui recouvre,
je ne sais pas
quels parfums tu as pu reconnaître Freddie on se connaît si peu que c'est presque pas du tout mais je devine en observant les miens
l'immensité des chaos qui ont pu se réveiller en toi
ils doivent être grands pour te faire chanceler au point de peiner à tenir debout.

et même si on est des inconnus encore je me risque à tendre la main, saisis la tienne sans attendre que tu répètes que tu es d'accord et je t'entraîne avec moi

viens on va se poser quelque part, un endroit au chaud pour commencer c'est pas mal.

loin des senteurs des mémoires.

t'aimes le café ? je te paye un café. ou un chocolat un truc c'que tu veux.

quelque chose qui recouvre et anesthésie un peu les sens
on verra on trouvera bien
en attendant on avance.

je tiens la main mais c'était un peu comme se jeter dans de grands vides effrayants, Freddie, j'en sais si peu sur ce qui charge tes atmosphères souvent pesantes et l'on se croise tellement momentanément, volatile, je n'ai jamais eu l'occasion de me risquer à y prendre le moindre souffle alors je me dis que tu as tous les droits de te montrer hostile -
après tout, on ne se connait pas.
de l'oxygène sur les exocomètes il y a de la vie et en réponse aux appels - viens Freddie suis-moi - tu resserres l'étreinte de ta main sur la mienne
on vient en ami -
un pas dans le vide et tu rattrapes au vol.

c'est trois fois rien.

infiniment rien trois fois et puis c'est comme ça qu'il faut faire je crois - j'ai du mal à concevoir les rencontres les mains vides, à la moindre collision il y a toujours des échanges qui s'opèrent et je me dis que c'est comme ça qu'on existe avec l'autre, c'est le seul moyen de conserver un certain équilibre lorsque les univers se rejoignent. je vérifie si le tiens n'est pas trop chancelant, tourne à peine la tête pour observer les détails de Freddie qui fourmillent dans un coin de la vision
décèle un sourire - la première fois que l'étoile n'est pas filante je n'ose pas,
la regarde trop longtemps même si c'est tout juste dans les yeux, reporte l'attention sur droit devant, je sais qu'elle n'aime pas trop être observée même si c'est à l'œil nu c'est tellement aiguisé que c'est comme braquer un télescope intimidant.
tu donnes, Freddie, donne la main c'est déjà bien déjà beaucoup, admets l'absence de sens de l'orientation, un secret contre un secret
faisons comme ça, tu es d'accord ?

je suis pas du genre à m'attarder dehors non plus ; trop de choses trop de gens. pour ça que les endroits au calme je les connais bien - c'est les seuls où je reste un peu.

un peu d'accalmie c'est ça qu'il te faut aussi Freddie pas vrai ? le chemin pour s'y rendre je connais, fais-moi confiance malgré le millier de raisons de te méfier, je pourrais en citer une dizaine le reste je devine. c'est si trouble les regards des autres et en même temps perçant au possible et les tiens ils me désemparent souvent - pourtant je les cherche. les laisse tranquille là tout de suite tandis qu'on s'extirpe enfin des chahuts du marché de Noël pour retrouver des ruelles plus tranquille, rien que la neige qui craque sous les pas.

... scuse-moi
de te regarder un peu trop souvent. c'est pas pour te mettre mal à l'aise, même si c'est sûrement le cas, c'est juste - je sais pas.

je peux pas m'empêcher de me demander si tu vas bien.

moi aussi j'évite beaucoup les œillades de jour et
il n'y a jamais de bonnes raisons derrière ce genre d'éclipses.