Parfois, Adamant se complaisait à ne rien faire. D'apparence, du moins. Lui qui fournissait nombre d'efforts en matière d'assiduité, de sérieux et d'ambition quant aux examens à venir et à son avenir de manière générale, la nécessité d'un instant de relaxation lui venait subitement comme une évidence. Pour le commun des mortels, il s'agirait sans doute aucun d'une virée entre amis turbulents, une longue douche embuée, la lecture du dernier tome de sa saga favorite ou bien même simplement d'une bonne sieste dans le cocon réconfortant de sa couette… Quant à Adamant, cela se traduisait par une séance de contemplation examinatrice de la foule se pressant à l'Académie.

Tout hautain paraissait-il avec ses bras croisés sur sa poitrine et son expression inquisitrice, il regardait ainsi le monde s'afférer sous ses yeux, spectateur d'un ballet d'étudiants éternellement renouvelé. Commençait alors sans détour son activité favorite : juger toutes les personnes croisant son regard.

Et il y avait de quoi faire à l'Académie, assurément. Elle s'esquissait d'elle-même à l'instar d'un établissement élitiste, mais encore fallait-il voir ceux qu'elle admettait parmi ses rangs et qui arpentaient ses couloirs. On pouvait tout juste se demander, parfois, si le cirque n'était pas en ville. Dieu merci, l'administration avait délibérément soustrait le pouvoir de s'exprimer physiquement ses penchants vestimentaires en instaurant dès sa création le port de l'uniforme, sans quoi il aurait fallu d'urgence établir des forces de l'ordre sous le sobriquet de police du style afin de mettre hors d'état de nuire tous les clochards incapables d'accorder leurs tenues. Car avec toutes les prouesses de mauvais goût dont ils étaient capables avec le strict minimum, de quoi auraient-ils été capables si leur mauvais goût n'avait pas été entravé ? Véritablement, l'uniforme était une bénédiction que les élèves ne louaient pas assez.

Voilà à quoi s'adonnait Adamant, lorsqu'il se prenait l'envie d'évasion et de détendre. Bras croisés sur sa poitrine, sourcils froncés et mine fermée, il jaugeait ainsi la foule d'un air comme un “et alors j'te regarde, y'a quoi ?” provocateur à quiconque se sentait l'envie de soutenir ou défier son regard.

Puis un minois familier. Plus que familier, une des rares rencontres qui le ravissait, bien qu'il se gardait de l'avouer afin de conserver cette réputation de connard détaché qui le convenait parfaitement. S'il n'avait pas particulièrement souris dès lors qu'Alexandra entra dans son champ de vision, son expression se défroissa malgré tout, si on savait le percevoir. Il s'approcha d'elle, son alter ego féminin, d'un pas certain et décidé contrairement au sien, forçant ainsi leur fatale collision.

─ Tiens, un peu de beauté dans cette école. C'est moi ou les gens sont vraiment dégueulasses en ce moment ? C'est très, très grave. Il insista, à l'évidence, sur la gravité de son observation en cherchant l'appui de sa meilleure compère. Ça fait du bien de te voir Alex, ta beauté me lave les yeux comme de l'eau bénite. Ça va ? Qu'est-ce que tu fais dans le coin ?

Existait-il plus agréable sensation que celle de l'approbation de ses pairs ? D'autant plus lorsqu'il s'agissait de celle de son littéral doppelgänger ? Pas à la connaissance de l'empereur de la bitch resting face, en tout point satisfait de la répartie de sa sublime amie qui relevait à elle seule - c'était un exploit ! - l'esthétisme du foyer tout entier tant elle irradiait de beauté. À bien y penser, Adamant avait été fortuné de croiser son chemin. Lui, par nature, préférait se tenir à l'écart des autres non pas parce qu'il nourrissait un certain mépris à l'égard de ses compères, mais simplement car il ne s'était jamais réellement sentis en adéquation avec grand-monde si l'on omettait son cousin et son ami d'enfance. Rares étaient ceux qui avait su suffisamment piquer son attention afin de le faire sortir de son éternel état d'observateur à l’œil inquisiteur. Alexandra s'était ainsi frayé un chemin dans le cœur exsangue du noble ami qu'il était.

Adamant opina ensuite, visiblement convaincu et prêt à acheter n'importe quel discours pourvu qu'il glisse des lèvres rosées d'Alexandra.

─ C'est peut-être le froid dans l'air qui les décrépit… Le manque de lumière peut-être ? Ou bien ils ont simplement échoué à la loterie de la vie ? Les pauvres.

Non vraiment, Adamant plaignait les laiderons de tout son être. A son sens, la laideur était l'un des pires fléaux de l'Humanité. On aurait pu penser qu'après des millénaires d'évolution, les inesthétiques faciès et corps auraient un jour fini par atteindre l'extinction pure et simple. Mais, pour le plus grand déplaisir du hautain cacophobe, il n'en était rien, bien au contraire. Les immondes figures des étudiants lézardaient, comme un 31 octobre perpétuel, prêts à glacer le sang des yeux innocents.

─ Tu trouves ? Rétorqua le garçon, sourcils froncés dans une moue signature dont seul lui avait le secret. Pas plus qu'un autre jour… Attends, tu serais pas en train de me dire SUBTILEMENT que j'ai une sale gueule, là ?

Il fallait le connaître pour ne pas se sentir bousculé par l'aplomb de sa réponse. S'il se permettait volontairement de ne pas adoucir son propos à des fins purement comiques, c'était parce qu'il était intimement convaincu que la complicité née d'un amour partagé pour les boissons chocolatées et le plaisir de juger les pouilleux avait engendrée une amitié aux fondations on ne peut plus solides.

─ Plus sérieusement, poursuivit-il, tout aussi sérieux qu'une minute auparavant, je vais bien. Par contre j'ai hâte de passer les examens de fin d'année pour m'en débarrasser. Comme ça je pourrais pleinement me concentrer sur d'autres projets que je mitonne secrètement. Et en attendant, j'me détend en notant mentalement les moches qui passent au foyer. Tu me rejoins dans ma périlleuse entreprise ?