Rien ne laissait présager de la tournure qu'aller prendre cette nuit-là.

Le couple du septième étage berçait leur petit garçon tout juste âgé de cinq ans en lui lisant son histoire favorite. Le père endossait le rôle du grand méchant de sa voix grave et basse tandis que de son côté, la mère soufflait d'un ton bien plus doux, beaucoup plus calme, les paroles des animaux du conte fantastique. Si l'enfant riait d'abord à gorge déployée devant l'interprétation exagérée de son père, il venait petit à petit à se laisser glisser au fond de son lit pour n'entendre plus rien si ce n'était les voix lointaines de ses parents avant de sombrer avec douceur dans le royaume des songes. Le couple attendris caressa le visage rond de leur enfant assoupis avant d'embrasser sa chevelure empreinte de l'odeur si agréable que l'on sait aux enfants. Les lèvres ourlées d'un sourire d'une bienveillance et d'un amour infini, les parents quittèrent la chambre du petit songeur sans se douter un seul instant qu'il s'agirait du dernier rituel du coucher auquel ils s'adonneraient.

Bientôt gêné dans son sommeil, Adamant ne se réveillait pourtant pas entièrement. Une désagréable sensation de chaleur perturbait son repos, si bien qu'il envoya valser sa couverture au pied de son lit en donnant de multiples coups de pieds dans cette dernière, mais ce ne fut pas suffisant pour provoquer son réveil. L'irruption fracassante de ses parents au beau milieu de la nuit dans sa chambre, en revanche, lui fit l'effet d'une bombe. Apeuré, l'enfant contempla l'affolement de ses parents sans que son esprit léthargique ne lui laisse entrevoir la gravité de la situation. Le père qui était par habitude d'un calme olympien semblait lentement céder à la panique, ce qui eut pour conséquence de terroriser Adamant qui avait trouvé refuge dans les bras tremblants de sa mère. Il entrait et sortait frénétiquement de la pièce, à chaque fois un peu plus affolé. Bien vite toutefois, les allées et venues cessèrent. Son père revint les bras chargés de linge trempé qu'il agglutina contre le bas de la porte pour combler le jour avant d'ouvrir en grand la fenêtre de la chambre. Il vint ensuite s'asseoir auprès de sa femme et de son fils, qu'il pris fermement dans ses bras.

Durant de longues minutes et à mesure que la température grimpait, le père assurait à sa petite famille que tout irait bien et qu'il n'y avait pas à s'inquiéter. Pour distraire Ada, dont le petit corps chevrotait de façon incontrôlée et dont les yeux se gorgeaient d'eau, le couple se mit à ressasser de joyeux souvenirs. Ils se remémorent avec passion et plaisir l'été précédant passé en la compagnie de leur famille.

D'abord la fois où les trois petits monstres qu'étaient Evan, son cousin du même âge, Loukas leur ami d'enfance et Ada s'étaient mis en tête de partir à la chasse aux insectes et avaient attrapé dans leurs filets un énorme scarabée. Fiers comme des coqs et résolus à faire partager leur superbe trouvaille à toute la famille, ils foncèrent montrer à la mère d'Ada, en pleine sieste digestive, ledit insecte sans se douter une seule seconde que cette dernière était terrorisée par ces bestioles. Ils secouèrent sa mère comme un prunier en approchant à quelques centimètres de ses yeux le scarabée jusqu'à ce qu'elle se réveille, tombe à la renverse et pousse un cri d'épouvante tel que tous les autres membres de la famille déboulèrent en catastrophe. Bien qu'ils furent réprimandés, les trois petits garçons étaient absolument hilares.

La chaleur continuait d'augmenter. De nombreux crépitements et craquements résonnaient dans l'appartement. Quelques cris retentissaient des étages inférieurs, alors les parents d'Adamant haussèrent la voix pour couvrir les pleurs.

Ensuite vint l'histoire de la pêche aux canards improvisée qui avait été installée à la sauvette dans le jardin. Une grande bassine usée, quelques litres d'eau, un peu moins d'une dizaine de canards multicolores et trois cannes à pêches bidouillées d'un bout de bois et d'un trombone en guise d'hameçon. Armés de leurs cannes à pêches de fortune, les trois petits s'élancèrent tambours battant dans cette entreprise hasardeuse, mais furent bien vite décourager devant la difficulté de la tâche. Le visage troublé de frustration et bien vite agacé de ne rien pêcher, Ada se décida à attraper à la main ses canards pour les accrocher sur sa canne à pêche. Ses sourcils se défroncèrent comme par enchantement et son rire cristallin résonna dans le jardin, bien vite suivis par ceux d'Evan et Loukas qui n'avaient pas attendu leur reste pour lui emboîter le pas.

La porte de la chambre commençait à dangereusement noircir et à devenir incandescente. Les parents d'Ada lui tournèrent le dos pour faire plutôt face au mur afin de le protéger de cette vision infernale. Sa mère essuyait par ailleurs le front de son enfant, duquel perlaient quelques gouttes de sueur et caressait ses joues rougit par la chaleur. Par de-là la fenêtre, on entendant également hurler les sirènes stridentes des pompiers.

Enfin, ils se rappelèrent avec plaisir et non sans nostalgie la nuit qu'ils avaient passé à observer les étoiles filantes. Les enfants furent absolument émerveillés par ce spectacle cosmique, notamment le petit Evan dont les parents comparèrent l'étincelle de ses yeux aux étoiles qui tapissaient la voie lactée. Prenant les mots au pied de la lettre, Loukas et Ada passèrent ensuite la soirée à alterner entre l'observation du ciel et des yeux d'Evan au fond desquels, ils l'avaient juré, ils avaient vu les plus jolies étoiles.

Le feu avait finalement commencé à gagner la chambre même. Le père d'Adamant s'en était assuré, car il lançait à intervalles réguliers des regards par-dessus son épaule. D'une œillade, il mit sa femme dans l'horreur de la confidence et tout deux prirent une décision sans avoir besoin d'échanger un seul mot. Ils serrent fort, si fort, le corps de leur enfant avant de se lever et de le déposer sur le rebord de la fenêtre.

Ne tombe pas, surtout.
Ne regarde pas derrière toi, Ada.
Nous sommes là.
On reste là, tout près de toi.
Ça va aller, tu verras.
Mais surtout ne te retourne pas.
Quoique tu entendes, ne te retourne pas.
Nous t’aimons, mon chéri.

Secoué de sanglots, mais étrangement docile, Adamant se recroquevilla sur lui-même et balbutia avec toute la difficulté du monde un petit d'accord tandis que ses parents répétèrent des mots d'amour jusqu'à être incapables de contenir leur douleur. S'il n'avait rien vu des ravages qu'avaient fait les flammes de sa chambre si joliment meublée et qui avaient arraché la vie à ses parents pour ne laisser dans leur sillage plus que deux cadavres calcinés, d'autres souvenirs impérissables marquèrent à jamais l'enfant.

La chaleur insoutenable qui brûlait son dos et ses bras d'une douleur lancinante, les cris des étages inférieurs et ceux de ses parents à l'agonie ou encore la fumée noire qui se dégageait derrière lui pour s'échapper de la fenêtre sur laquelle il était rescapé.

Mais surtout, surtout, l'odeur nauséabonde du feu attaquant la chair à vif de ses parents. Cette odeur infâme, affreusement animale qui lui remontait dans le nez sans qu'il ne puisse l'endiguer, à tel point qu'il ne put s'empêcher de vomir dans ses propres mains.

Du reste, il n'en a plus que très peu de souvenirs.

Une fois ses blessures guéries, c'est l'Académie qui vint clamer sa garde et le prendre sous son joug. Des sbires du gouvernement avaient pris la peine de rendre visite au couple à la naissance d'Adamant et surveillaient de près son développement, enfin principalement celui de son alice. Sans nul doute qu'à l'issue de ce tragique accident, l'alice s'était manifestée et lui avait sauvé la vie, bien qu'il n'en réchappa pas complètement indemne et que son corps était parsemé de cicatrices de brûlures. Sans avoir pu revoir le peu qu'il lui restait de sa famille, Adamant disparu de son paysage quotidien et arriva dans l'univers de l'Académie.

Les premiers temps furent affreusement compliqués. Inconsolable, Adamant s'efforçait de réapprendre à vivre après avoir perdu tous ses repères. Il ne se plaisait pas à l'Académie. Très franchement, il ne s'y est jamais plu. Il préféra cependant bien vite taire ses plaintes et ses sanglots. Il lui fallait apprendre à grandir et vite. Seul. Il compris bien vite que plus personne ne serait là pour lui tenir la main et lui montrer le chemin. Aussi dur que cela pouvait être pour un petit bonhomme, c'est avec une résolution que l'on connait d'aventure aux adultes qu'Adamant se forgeait une carapace. S'il fallait faire semblant et serrer les dents, il le ferait. Après tout, rien ne pouvait lui paraître plus insupportable que la nuit à laquelle il survécut.

Il grandit donc solitaire, froid et distant. Toute son énergie était allouée à devenir plus fort, plus autonome, pour n'avoir plus besoin de rien ni de personne. Adamant n'avait pour seule “coquetterie” qu'un régime alimentaire strict duquel il avait éliminé toutes les viandes, car il avait l'odeur en horreur.

Il retrouva quelques années plus tard Evan et Loukas et bien qu'il mis un long moment à se réchauffer, il laissa retomber ses barrières pour leur permettre de retrouver un peu de ce qu'ils étaient lors de leur plus tendre enfance.

Adamant, désormais au lycée, détourne quotidiennement son attention sur des choses futiles pour ne pas se focaliser sur le passé. Il raille, moque, use d'autant de sarcasme que nécessaire pour tromper son esprit et lui faire penser que tout va bien et que les autres ont des problèmes, pas lui. Ses démons pourtant, le hantent encore parfois la nuit et le réveille, affolé par ces cauchemars comme des réminiscences de la nuit infernale qui lui avait tout pris.

Enfin, ce n'est rien qui ne l'inquiète vraiment. Après tout, tout va bien maintenant.