première étape : contact.
emboîter le pas comme on dit, la question est ; est-ce que ça s’emboîte un pas ? un pied-boîte dans la boîte d’un pied ? ou un pied dans une boîte, tout simplement ? c’est mal formulé, vraiment.

première étape : contact.
le suivre. c’est plus simple. dans le couloir, aux dortoirs. l’arrêter, lui, avant qu’on ne monte au deuxième étage.

seconde étape : communication.
on a noté dans son cahier moleskine bleu : au naturel, c’est toujours plus profitable
ouvrir la bouche, petite tape sur l’épaule de l’autre, tendre un sourire puis dire

bonjour stanis !

on s’est, sans doute, trompé. la courbe incurvée vers le bas. non, non, pepo bien heureux de te voir, stanis.

troisième étape : la proposition.
pepo a quelque chose dans son sac qu’il voudrait te montrer. c’est la raison des petits soleils dans ses yeux. ta présence aussi, accroche des étoiles sur la courbe des joues. on dirait qu’il va grossir façon géante rouge, trop de brillance. éclater devant stanis, dans les dortoirs des étoiles simples.

elle est longue la troisième étape. elle est mal formulée, pepo ne sait pas ce qu’il doit proposer, ni comment. on offre d’habitude quelque chose, seulement, aujourd’hui, pepo vient aussi recevoir quelque chose. or il est noté dans son cahier moleskine bleu


c’est hypocrite. pepo ne veut pas être hypocrite parce qu’il est heureux de présenter à stanis le nouveau mobile qu’il a confectionné parce qu’il avait hâte de lui montrer une nouvelle création mais également hâte d’entendre les histoires de stanis

mais chut. stop. alors il faut proposer sans toute la suite des idées. articuler.

il faut que je te dise, en ce moment je crois que la partie droite de mon cœur fait une petite crise. (mains sur le cœur) ne t’inquiète pas, si je tombe devant toi, ce sera par excitation. j’ai attendu la fin des cours, ce ne serait pas très poli venir te voir en classe pour te dire que, deux points : j’écoute beaucoup tes histoires depuis quelque temps, c’est très agréable (c’est ce qu’on dit non ?) et j’aimerais t’offrir un petit quelque chose en retour.

non pas qu’il ait TERRIBLEMENT envie de t’entendre encore. non, non.
(oui, absolument)

ses yeux qui fixent les épaules. fixent. mais s’il s’arrêtait pour demander à stanis pourquoi tu trembles, à notre âge trembler peut signifier avoir froid, tu as froid ? pepo aurait perdu le fil de la conversation. alors continuer d’articuler et quand stanis lance une remarque, ne peut s’empêcher de renchérir – de ces questions dont il ne demande jamais vraiment de réponses.

ah bon ? faire attention à quoi ? faire attention de tomber ? c’est grave tomber, stanis, on peut se faire mal.

puis oublier de suite l’inquiétude, car les soleils dans ses yeux plus brillants encore au mot cadeau. pepo hoche la tête. mouvement vigoureux. le sac sur l’épaule, petit coup pour le faire descendre, empoigner la sangle et dézipper. pepo même dans les gestes, pepo si bien articulé.

bien sûr stanis ! offrir implique très certainement un tier parti. et tu es ce tier parti. ce n’est pas grand-chose, c’est ce qu’on dit pour être modeste ? enfin, ce n’est pas grand-chose, seulement, en récupérant les attaches et les morceaux de vitre, j’ai cru bon fabriquer un objet que tu pourrais aimer. mais je crois que je parle trop.

on dirait son corps craint de déranger l’espace. manière méticuleuse de se mouvoir, pepo. et le mobile qu’il extirpe du sac, les mains comme si elles tenaient la couronne royale. c’est un cerceau à cheveux, les bouts rejoints par de la ficelle bleue. cerceau peint en bleu, les autres bouts de ficelles tout autour. le bleu du ciel. et pend des morceaux de verre poli accrochés par des attaches. poli jusqu’à ce qu’un filet de lumière passe au travers.

tu as dit tu aimes bien rêver. un mobile cela aide les enfants à rêver. et tes histoires, je les trouve très bien stanis ! je crois, si je comprends l’image, je crois que tes histoires me font rêver. il faut que tu me racontes tout, je ne comprends pas toujours l’ensemble, mais elles sont bien. vraiment, stanis.

puis laisse tomber un gros silence. quelques soleils dans les yeux disparus. pepo se rapproche, doigts accrochés à sa sangle. le corps raide dans le couloir. s’il pouvait le décrire, pepo, il dirait que son cœur s’anime d’espoir. oser demander, pepo.

est-ce que.

pince les lèvres.

est-ce que tu veux m’en raconter une autre ?

je veux dire, une histoire.

pardon stanis, pepo déboussolé, sur l’échafaud devant son bourreau. tes paroles bourdonnent aux oreilles, on ne sait pas dans quelle chaussure se placer. si pepo en saisit le sens, de l’expression. de la joie du compliment à l’angoisse, pepo sale petit flatteur. pepo dit des bêtises. pepo ne respire plus, mais ça va, il tient encore debout devant stanis, les yeux clignent.

ça va.

puis la liberté revient. pas que ce soit une mauvaise chose, pepo, soudain, accroché à ces mots. alors les oreilles sillent moins, on te voit mieux stanis. pepo respire. et la suite finit de le ramener sur le plancher des vers

des vices
des vieux
des vaches
ah et puis zut.

yeux qui retrouvent leurs petits soleils. lèvres en cœur à la place du sourire d’enfant. et devant ta nouvelle couronne, stanis, on s’exclame

tu serais prince de ton royaume imaginaire ! un grand royaume stanis ! un morceau de verre par sujet. est-ce que je suis un de ces morceaux de verre ? mais n'y prends pas goût, ça ne se mange pas, tu pourrais te couper la gorge.

on essaie très fort de jouer le jeu. de comprendre, de renchérir. on fait la révérence quand stanis tourne, comme on l’a déjà vu dans des films avec crush et ange. puis on a de l’avance, crush qui lui a déjà fait pratiquer la scène. alors pepo petite révérence et pas le temps de l’achever, le contact

pris de court. là par contre, pepo largué. des soleils qui ne reconnaissent plus leur galaxie dans l’éclat de ses yeux. au bras de son ami, visage qui dit hein ?

oh ! je te suis, je te suis. mais si tu me la racontes en russe stanis, je ne pourrai pas comprendre. j’espère qu’elle sait parler l’anglais cette vieille sorcière, dans ton histoire.

et on suit stanis
tout bonnement
il a les oreilles ouvertes, grandes ouvertes
regard avide de découverte.

dans l'esprit de pepo, stanis tu n'as rien d'un fantôme. un réverbère allumé dans la nuit brouillard, l'éclat néon de la rue qui lui permet d'avancer. on se sent un peu comme chez soi.

qu'est-ce qu'une vieille sorcière ?

pourquoi m’enfuirais-je, que les yeux demandent.
et on ne s’étonne pas de voir stanis traverser la porte. on s’étonne des métaphores et des mangeuses d’enfants. mais les balais qui volent et les gens transparents, pepo accoutumé. après tout, il lave bien les planchers rien qu’en marchant dessus. la magie davantage logique que la formule des mots.

et puis on ne s’enfuira pas stanis, comme tu es drôle ! tu n’es pas la représentation d’un démon japonais très expressif dans l’esprit de pepo. tu n’es pas comme gwendoline qui le fait trembler façon feuille au vent.

on s’incline, deuxième fois. très bas. on aime jouer avec toi, parce qu’il lui semble, pepo, que dans ces moments rien n’a besoin de s’expliquer. cohérence des choses pour la partie gauche du cœur.

non non, c’est gentil stanis, mais je ne me donnerai pas de peine, je suis bien trop content de te voir. bonjour, merci de m’accueillir.

saluer la chambre, entrer, délacer ses chaussures.
et on continue de parler parler parler
vraiment, c’est comme chez lui ici.

c’est vrai que ce doit être inconfortable, s’asseoir sur un balai. peut-être c’est pour ça qu’on les dit méchantes. si elles prenaient la voiture ou bien la bicyclette, ce serait plus agréable pour elles. c’est plus écologique aussi, la bicyclette.

pieds bas. on s’amuse à bouger les orteils dans ses chaussettes. pepo debout raide sur le seuil de la porte, mains sur la sangle du sac. chaussures impeccables placées à deux centimètres de l’entrée.

mais pourquoi vieille ? quel âge ont-elles ? est-ce que la sorcière de ton conte a le cancer ? vers un certain âge, nous sommes plus vulnérables contre les maladies. c’est grave ? et tu sais stanis, en fait, il existe une communauté qui mange ses morts une fois les rituels terminés. peut-être y a-t-il des enfants parmi ces morts.

les orteils s’agitent toujours. avec stanis, il y a trop de choses à se dire. pepo, excité à l’idée d’entendre l’histoire, mais pepo la langue aussi déliée que son ami. on ne sait jamais, avec eux, quand la route bifurquera à gauche ou bien à droite. mais elle bifurque, on déambule, se retrouve à des dizaines de carrefours et puis un jour, on reprend la route. on reprend toujours la route.

tu n’aimes pas quelqu’un stanis ? et ne t’inquiète pas, je ne mangerai pas ton corps. de toute façon, je ne suis pas membre de cette communauté.

soudain les yeux s'écarquillent grands.

oh ! si ce n’est pas bon pour la santé, stanis, on mettra ton corps dans le chaudron volant de ta sorcière vraiment spéciale ! comme ça, ce sera très laid et méchant.

pepo fier des liens qu’il vient de faire. ne songe pas encore à s’asseoir aux côtés de stanis, non. songe à l’image de son ami fantôme avec ces petites croix à la place des yeux que les gens dessinent parfois. on lui a appris qu’on gribouillait ces « x » – pas des croix pepo voyons – pour signifier que le personnage est mort. et ça le fait soudain bien rire s’imaginer stanis avec les yeux en « x ».

épaules qui tressautent. bouche tirée vers le haut et la tête qui s’agite. mais pas de son, le rire de pepo aussi absent que ses parents. puis enfin rejoint stanis parce que c’est bien vrai qu’il faut être confortable pour écouter. sinon, on perd des bouts. pepo n’aime pas perdre des bouts.

avancée méticuleuse vers le lit, à travers les draps. assis jambes repliées, entourées de ses bras. on ne lâche plus stanis des yeux.

je veux toujours écouter ce que tu dis stanis. c’est toujours super ce que tu racontes ! et puis ce n’est pas grave si ce n’est pas une histoire courte, cela veut dire que ce sera une grande aventure !

grande,
pour mémorable.
mais ce sens-là, pepo ne le comprend pas. évidemment.
agite encore les orteils dans ses chaussettes.