Rouge est patiente.
Rouge ne se met pas souvent en colère.
Rouge ne prend pas sur elle mais elle n'éclate pas.
Rouge n'est pas l'outil le plus aiguisé du lot mais elle fait de son mieux.

Rouge, elle n'a pas beaucoup confiance en elle. Elle n'a pas confiance en elle alors elle a confiance dans les autres. Elle a confiance quand elle entend des promesses et quand elle reçoit des critiques. Elle se dit que les autres ont confiance en eux et qu'ils savent mieux. Ils sont sûrement plus intelligents, plus réfléchit.

Rouge ne réfléchit pas.
Rouge fonce toujours dans les tas.
Rouge va tout droit parce que c'est la route la plus courte.
Rouge ne fait pas de détour parce qu'elle a pas le temps de perdre du temps.

Elle pensait que lui non plus, il n'avait pas le temps de perdre du temps. Mais visiblement, il a le temps de perdre le sien. Celui de Rouge. Cela ne le dérange pas d'user ainsi de son sablier alors que ce dernier est bientôt vide. Le sable ne s'écoule même plus, il s'échappe juste. Le sablier a prit un coup et laisse le sable s'enfuir.

Rouge est impatiente.
Rouge attend là depuis toujours.
Rouge voit les gens vivre et le ciel pleurer.
Rouge, bien sûr, ne pleure pas parce qu'elle n'a plus de larmes.

Le ciel pleure à sa place. Et pleure un peu plus à chaque minute qui passe. Il avait pourtant promis. Elle s'en souvient. Elle s'en souvient parce que ça venait de lui et qu'elle lui faisait confiance. Mais, encore une fois, la confiance avait été brisée. Une fois de trop peut-être ? Elle n'avait pas emportée d'écharpe, espérant qu'il lui prêterait la sienne, qu'ils s’emmitoufleraient tous les deux dans ce grand bout de tissu et qu'ils marcheraient ensemble dans les rues froides de la capitale.

Rouge a froid.
Rouge lui en veut.
Rouge n'arrive pas à le haïr.
Rouge se dit que c'est peut-être mieux comme ça.

Arrêter d'espérer, c'est bien plus simple. Ne plus s'accrocher à rien comme ça la chute ne nous fait plus de mal. En boule sur le banc, les bus et les passagers s'enchaînent, mais lui n'arrive toujours pas. Au bout d'un temps, elle ne voit même plus les mouvements, elle ne voit plus les couleurs, le monde s'est arrêté. C'est bien plus simple...


Rouge ne l'avait pas vu.
Rouge n'avait pas levé le regard vers lui.
Rouge n'avait pas même daigné lui répondre.
Rouge, pourtant, avait accueillit sa voix comme la plus pure des mélodies.

Cette voix qu'elle avait attendu toute la journée presque. Cette voix avec laquelle il lui avait promis. Cette voix a qui elle était capable de pardonner les pires insanités et pour qui elle aurait traversé le monde pour peu qu'elle le lui demande. Cette voix qui fait éclater aussi le ciel en elle.

Rouge le voit.
Rouge lève le regarde vers lui.
Rouge porte sur Colline une plainte pleine de larmes.
Rouge pleure.

Mais pourtant, il continue à parler. Il ne se souvenait pas de l'heure
menteur
Avec cette voix, il déballe des insanités. Il pense que c'était une mauvaise idée.
menteur
Ses épaules se haussent casuellement. Il ne veut plus y aller.
menteur


Aujourd'hui, elle ne pardonne plus ses insanités. Elle se lève, lui fait face, le regarde droit dans les yeux. Devant lui, elle ne fuit pas comme elle pouvait toujours fuir. Comme elle pouvait fuir la réalité avec des rires, comme elle pouvait fuir l'épée de Damoclès en courant, comme elle pouvait fuir son sablier en ne l'ignorant.

Devant Colline, elle ne fuit pas.


Pourquoi tu mens lorsque tu me promets ?
Pourquoi tu mens lorsque tu te souviens de l'heure ?
Pourquoi tu mens lorsque tu dédaignes cette sortie qu'on attendait tant.
Pourquoi tu mens lorsque tes mains tremblent pour prendre les miennes et marcher ensemble dans les rues froides ?

Mais à travers les larmes, toutes ces interrogations restent bloquées dans sa gorge. La pluie se mélange aux sanglots, le froid se mélange aux rouges de ses joues, le vent se mélange à ses frissons.

Pourquoi tu mens alors qu'il n'y a qu'à toi que je veux faire confiance ?

Rouge est patiente.
Rouge veut attendre sa réponse.
Rouge sait qu'il s'excusera et qu'elle l'excusera.
Rouge lève la main.

Et la main vient s'exclamer contre le visage de Colline. Exclamer tout ce qu'elle a pu retenir pendant ces heures qu'elle a passé en boule sous cet abri bus. Seule. L'écho de la gifle retentit encore, comme une explosion.

Parce que Rouge est en colère.
Parce que Rouge est blessée.
Parce que Rouge est triste.
Parce que Rouge pleure.

« halloween »

Peut-être qu'elle était punie.
Punie d'avoir trop attendu.
Punie d'avoir trop aimé.
Punie de cet espoir sur qui elle avait tout misé.
Punie de n'avoir agit et laisser couler le sang.
Punie de mentir elle aussi ?

Déjà, il ne la regarde plus, comme elle ne l'avait pas regardé tantôt. Sur sa peau pâle se forme déjà les premières marques de ses doigts. Elle songe à quel point elle aurait aimé que la caresse fut plus douce, que ses joues auraient rougies de la présence chaleureuse de ses mains prenant son visage pour y déposer un baiser, que leurs rires et leurs sourires se seraient mêlés au tambourinement de la pluie.

Mais seule la douleur et les larmes décorent leurs joues.


Et elle l'aurait frappé encore si la culpabilité de son précédent geste ne paralysait pas encore ses membres.

Rouge n'est jamais violente dans les gestes.
Sauf avec Colline.
Mais Rouge n'est jamais aussi joyeuse et niaise non plus.
Et Rouge ne fait pas d'effort pour s'habiller en temps normal.
Et Rouge n'oublie pas volontairement son écharpe quand il pleut.
Et Rouge n'est pas idiote au point de laisser le froid lui mordre la peau.
Sauf pour Colline.

Colline qui ment.


La gifle retour qu'elle méritait.
Peut-être autrement plus douloureuse que celle qu'elle lui avait asséné. Les coups font mal, les mots encore plus, et la vérité bien plus encore.
Surtout pour celui qui ne veut pas l'entendre.

Ne pas l'entendre.
C'aurait été bien plus simple de ne pas l'entendre, finalement.
Plus simple qu'il ne parle pas.
Plus simple qu'il ne vienne pas.
Plus simple qu'il ne soit jamais entré dans sa vie.

Maladroitement, elle étale ses mains sur ses yeux, pour endiguer les larmes, pour essuyer l'eau qui perle sur son visage, pour reprendre constance et fierté.
Bien qu'il fut déjà trop tard à ce moment là.
Le coup de couteau qui lui porta au cœur lui sembla si réel.
Si profond.
Si glacial.
Entre les mots durs qui l'agressaient.
Et ce regard qui ne la voyait.

Je voulais pas venir.

Il fallut un temps avant qu'un rire, finalement, ne vienne secouer ses épaules. Un petit rire, léger, cristallin, résigné.


Elle ne veut pas le dire à voix haute.
Elle ne veut pas le dire à voix haute car se serait accepter cette réalité.
Au même titre qu'elle ne dit jamais à voix haute qu'elle a peur d'aimer.
Au même titre qu'elle ne dit jamais à voix haute qu'elle a peur de mourir.
Au même titre qu'elle ne dit jamais à voix haute qu'elle a peur d'être oubliée.

Mais elle ne contrôle déjà plus ni ses sentiments ni ses dires. Il est des choses, des douleurs qu'il lui faut exprimer. Alors, par respect pour lui, par respect pour elle, par respect pour tous ceux qui tiennent à elle, elle ne souffrira pas de garder tout ça pour elle.

Parce que plus que tout, Rouge a peur de souffrir.


Elle ne pleure plus.


Elle ne rit plus.


Elle sourit.

Lui qui sait et lui en qui elle a tout la confiance du monde.
En ce Colline qui ment.
Peut-être la connaît-il.
La réponse.

« halloween »

Colline dit des choses bizarres, et fait des choses bizarres.

C'est ce qu'il a toujours fait, Rouge en était au point où elle n'était plus bien surprise, mais elle ne pouvait empêcher ces sourcils lourds de larmes encore un peu retenues de se froncer. Rouge ne sait plus trop.

Quand elle ne sait pas, elle rit.
Elle rit, elle sourit, elle se rappelle que c'est la chose la plus simple au monde.
Et que c'est aussi sa seule béquille pour se maintenir encore debout.

Mais, encore et encore, Colline s'entête à mettre des coups dans cette béquille. Beaucoup de petits coups pas très puissants, mais le nombre commencent à venir à bout.

D'elle.
De Rouge.
De la béquille.
De cette relation.

Elle se prend même la folie de se demander pourquoi -alors que ''pourquoi'' n'a jamais eu de réponse avec lui- il s'amuse tant, ou se torture tant à agir ainsi. Souffrir pour se souvenir qu'on est vivant, c'était une phrase qu'elle avait lu un jour, et elle s’inquiète que, lui aussi, en soit arrivé jusque là.

Comme si sa présence n'avait pas été suffisante, et son soutien inutile.

Elle sourit.


La glace dans sa voix la fait frissonner bien plus que le vent et la pluie.

Non, ça n'avait rien de marrant mais...

Que pouvait-elle faire d'autre ?

Tout ce qu'elle avait essayé avait échoué, visiblement. Et c'était là qu'ils en étaient, tous les deux. Tristes, trempés, trompés.

Perdus.

Rouge devait être la seule à être perdue, songe-t-elle, car Colline savait où il allait et ce qu'il voulait. Et il ne voulait pas être là. Rouge non plus, ne voulait pas être là. Rouge voudrait être en ville, être dans ses bras, être dans son cœur. Mais Rouge n'est que dans le reflet de ses yeux, troubles, lointain. Un reflet qui s'effacera quand, las d'être là, il tournera les talons et l'abandonnera.

Rouge ne veut pas être abandonnée.
pas encore


Le sourire fait place à la colère.


Son poing se serre. Elle retient dans sa force l'envie à nouveau de le frapper. Rouge exècre la violence, plus encore si elle se sent l'envie de la retourner sur celui qu'elle aime. Mais plus encore qu'une envie, il semblerait que ça lui soit un besoin.

Le faire souffrir comme elle la faisait souffrir ?


de nous ?

Cette supplication reste bloquée dans sa gorge, car de nouveau, le rire veut se fondre en larme. Mais elle a décidé qu'il ne les méritait plus pour l'instant, alors elle les retient, ses lèvres pincées et son nez retroussés maintenant sa dignité à grand peine.


répète-elle.

Car s'il ne voulait pas répondre, s'il avait peur de ce que ces interrogations pouvait lui faire dire ou penser, il ne pourra pas s'échapper sans avoir apaisé son cœur.

Ou sans l'avoir détruit.

« halloween »

Ça ne veut rien dire.
Pour Rouge, tout ce babillage ne fait aucun sens.

Elle l'entend, elle le voit, mais elle ne comprend pas un mot de ce qu'il dit, elle ne comprend pas cette expression que prend son visage.

Rouge n'est toujours pas l'outil le plus aiguisé du lot, pas plus qu'il y a cinq minutes, pas plus qu'il a six mois. Alors Rouge n'arrive pas à faire le tri dans ce flot de paroles et d'informations. Elle n'arrive pas à comprendre pourquoi Colline, qui parlait d'habitude si peu, déversait aujourd'hui ce tsunami.

moi avec toi, mais c'est comme ça que c'est censé aller, c'est comme ça que tu es censé supporter.
rattraper les ratés, ça ne veut rien dire.
corriger, ça ne veut rien dire.
la guerre, ça ne veut rien dire.

Il n'y a pas de fatigue, pas de plus en plus. Pour Rouge il n'y a rien de tout ça. Rouge aimait et était heureuse ainsi, elle qui s'était toujours protégé du moindre attachement. C'était lui qui l'avait sortie de sa bulle, sortie de ses peurs, sortie de cette chambre. Lui qui avait brisé sa cage et ses limitations pour que, main dans la main, ils puissent partir sans le moindre regret.

Lui qui était censé la comprendre mieux que personne.
Elle qui était censé le comprendre mieux que personne.

Mais elle ne comprenait pas.


commence-t-elle sans réussir encore à poser de mots sur ses pensées tremblantes.

Une moue d'incompréhension et de colère se dessine dans son regard alors qu'elle n'ose déjà plus croiser le sien.


Le dire à voix haute lui faisait comprendre, et elle n'aimait pas ce qu'elle comprenait. Elle aurait voulu restée stupide, ignorante. Elle aurait voulu, comme ça avait toujours été le cas pour elle, ne pas réussir à résoudre cette équation.

L'incompréhension et la colère se mélange au désespoir et à la peur.

Tout ce temps qu'il avait passé ensemble, toutes ces choses heureuses qu'ils avaient partagé.
Combien parmi elle avait une autre version ?
Une version triste qui avait voulu ''corriger''.
A quel point leur vision de cette relation était différente, lui qui avait pour chaque passage où ''ils ne se font pas la guerre'' un passage où la guerre avait eu lieu.

Est-ce qu'aujourd'hui aussi, c'était une correction ?

Trop d'informations.
Trop d'inquiétude.
Pour elle.
Pour lui.
Pour tout.


Elle n'avait pas tout à fait fini de penser, pas tout à fait fini de souffrir, mais il décide quand même de l'achever.

Ça valait mieux.


Elle fixe ses doigts glacés qui jouent entre eux, puisqu'ils n'ont pas été autorisé à jouer avec ceux de Colline. Il n'y a déjà plus ni paillettes ni larmes qui pour faire briller ses iris. Il n'y a plus rien.

Elle aurait dû s'y attendre.


pense-t-elle
à voix haute
sans s'en rendre compte.

« halloween »