Tu t'étais saucissonné dans le plaid avec le soupir du bienheureux aux lèvres, Aglaé. Enroulée dans cette matière qui tenait le corps, rassurée, tu respirais. C'était une habitude étrange à laquelle tu n'avais jamais réellement réussi à donner d'explication. D'aussi loin que tu t'en souviennes, t'as toujours eu besoin de sentir quelque chose sur toi, autour de toi, pour te détendre, pour te réchauffer, pour te sentir en sécurité. Le poids est un calmant, raison pour laquelle tu étais bien incapable de dormir sans couette. Adossée contre une surface solide, une cuillère dans la bouche, un pot de glace déjà bien entamé entre les mains, tes yeux suivent l'écran où se joue l'un des épisodes d'Umbrella Academy. Tu as du mal à te concentrer, Aglaé, la faute à ton don légendaire pour trouver rapidement le sommeil devant une vidéo, mais la voix d'Elior te rappelle souvent à la conscience et le froid de la glace aussi.

« Je suis sûre c’est lié à ses cachets. »

Tu théorises avec sérieux, parce que tu adores théoriser, Aglaé. De l'invitation d'Elior, tu ne sais pas trop quoi penser. Ça avait été spontané, d'un coup d'un seul, sans que tu aies eu besoin d'esquisser le moindre geste. Ça t'avait d'autant plus surprise venant de sa part qu'il avait largement de quoi s'occuper cette dernière semaine. Une occupation bien spécifique, qui t'avait fait sourire et sortir un peu de ton humeur morose. Une occupation du nom d'Elyas. Qu'il ne soit pas là, avec vous, avait éveillé des soupçons désagréables. Qu'Elior n'est pas prononcé son nom une seule fois depuis que tu avais passé la porte n'avait fait que renforcer une inquiétude déjà bien présente. Tu connais suffisamment le language chill pour savoir traduire une soirée Netflix et crème glacée en besoin d'un back up émotionnel de toute urgence. S'était-il passé quelque chose entre eux ? Une dispute peut-être ? Tu savais qu'ils avaient tous les deux leur caractère et que… Tu te doutais qu'une relation si étoffée que la leur devait avoir son lot de complication à gérer. Passer d'amitié à amour devait être compliqué. Était-ce un cocktail explosif qui ne pouvait que mal tourner ?

Tu ne pouvais pas t'empêcher de faire le rapprochement entre toi et Felix. T'avais pas osé rentrer dans les détails, écouter leur histoire. T'avais l'impression que ce serait te donner de l'espoir quand tu ne devais penser qu'à le tuer. Et pourtant, plus les jours passent, moins tu te calmes Aglaé. Ça ne veut pas partir. Le visage de Felix se grave à chacun de tes pas un peu plus en toi, le besoin de le voir et de le sentir contre toi aussi. Tu rêves de ses lèvres le soir et tu t'en veux. Tu voudrais tuer ton cœur, Aglaé, t'hypnotiser avec ta propre voix et te convaincre que ses sentiments n'existent pas. Tu avais dit à Robin que ce n'était qu'un crush passager, a Dexter que ça allait. Pourtant, tu avais le sentiment que ces sentiments amoureux étaient bien différents de ceux que tu avais connus jusqu'à maintenant. Aglaé, t'avais peur de comprendre ce que ça faisait de réellement tomber amoureuse pour la première fois. Parce qu'avec Felix, l'imposture de ton alice n'existait pas. T'avais peur de comprendre que tu avais été amoureuse d'Alec, mais que cet amour n'était en rien comparable à ce qu'on appelait le premier amour. Et ça te fait peur, Aglaé, parce que tu as entendu dire qu'on n'efface jamais son premier amour de son esprit.

Tu fourres un morceau glacé de brownies dans ta bouche.

« T’sais que théoriquement, je pourrais le faire ça ? » Lances-tu dans une tentative désespérée d’éloigner tes pensées de Felix. « Pas les rumeurs, mais suffisamment hypnotiser une personne pour la persuader de quelque chose. Ça me demanderais sûrement un travail au corps assez long et fastidieux, mais je pourrais. Quand quelqu’un est fou de toi, le manipuler c’est plus tellement une difficulté. » Tu pourrais être une super héroïne, Aglaé. Ou une grosse pute, au choix. « Mais t’as raison sur un point. Achille n’a pas besoin de mes services. »

T’avais suivit de loin les évènements sans pour autant connaître les détails, Aglaé. Mais les interrogations filaient et l’air ronchon d’Elior acheva d’activer tes signaux d’alertes.

« Dis, tout va bien ? »  Tu te permets de te pencher pour faire pause. « Il s’est passé quelque chose avec Elyas dont tu veux parler ? Cette soirée… Tout ça… Vous vous êtes disputés ? »
 

@Elior Demaury + Chambre d'Elior (elle va toutes les faire) + Septembre 2019

« Oui, Elyas et toi, pas son début de calvitie. » Le rire sonore qu’il te livre apaise les bannières de guerre que tu avais déjà dressées. « Pourquoi, ce n’est pas le cas ? »

Dans ce cas, Aglaé, tu ne comprends pas. Il rit, Elior, comme ci, il s'agissait là d'un fait tout bonnement improbable alors qu'une semaine plus tôt lui-même était au bord du gouffre. À son rire, t'as l'impression qu'il ne s'est jamais rien passé, oublié le passé, les houles de la mer déchaînée. Entre eux il n'y avait plus que calme et tranquillité, comme s'il ne s'était jamais rien passé. Un brusque retour à la normale. Non, à une situation meilleure. Pour lui, pour eux. Quand tu les voyais, tu te disais que tout n'était peut-être pas irréparable. Ils t'inondaient sans le vouloir d'un espoir coupable, Elior et Elyas. Celui que peut-être, un jour, tout retournerait à la normale, peut-être même à quelque chose de meilleur. Pour Felix et toi.

Tu n'avais pas l'habitude de faire tourner ta vie autour de tes problèmes. Tu jettes, t'enchaînes, mets tout sous scellé pour ne plus jamais y toucher. Parce que tu n'aimes pas parler, on ne t'a jamais appris à le faire, Aglaé. Que ce soit avec ta mère, que ce soit à ton arrivée, tu avais toujours considéré que les gens forts n'avaient pas à parler. Et forte, tu l'étais. Tu pensais l'être. Tu n'en étais plus tellement sûre à vrai dire. C'est parce qu'il y avait eu Elyas et Felix pour bousculer ta vie que tu en étais venue à te confier. À baisser les armes, soulever le heaume de ton armure pour te laisser apercevoir. T'avais appris à communiquer et à aimer à leur contact. Mais ça restait un exercice difficile, même encore aujourd'hui, et tu avais une certaine pudicité dans tes sentiments, Aglaé. Qu'Elior te mette face à une vérité que tu essayais désespérément de fuir te fit replonger nerveusement ta cuillère dans ton pot de glace. Tu te tends, Aglaé. Tu prends de plus en plus conscience de ta propre fragilité.

« Les nouvelles vont vites. »

Tu ne sais pas qui a cafter. Robin ? Dexter ? Peut-être même Felix lui-même ? T’en sais rien. Ce n’est pas tellement la question en vérité. T’as un rire désabusé pour toi-même alors que tu viens cueillir un morceau sucré de ta cuillère.

« T'sais en général, j'en aurais eu rien à foutre. J'veux dire, regarde-moi, de nouvelles rumeurs sur moi sortent tous les jours, je me suis teint les cheveux en rose juste pour faire rager une pétasse qui me traitait de Barbie et j'en suis même venue à exposer ma sexualité et à jeter le flou sur tous mes potentiels coups juste pour faire jaser davantage et faire prendre ces cons à leur propre jeu. » Tu fourres ton morceau de glace dans la bouche, comme pour te détendre, on t'a dit que le sucre aidait à gérer le stress. « Mais là… Là, avec lui, je ne sais pas. Quand c'est lui, je n'aime pas qu'on en parle. »

L'idée que votre relation puisse devenir un poids, une charge à porter te dérange et te terrifie Aglaé. Quand les mots touchent tes habitudes, ta personne, ton apparence, tu n'as aucun problème à encaisser les coups. Ton armure prend le dessus et tu sais qu'il n'y a que bien peu de personnes en ce monde pour la briser. Mais quand les mots se perdent sur d'autres, s'attaquent à des choses devant lesquelles tu t'es dressée pour les protéger, alors rien ne va plus. Un soupir meurt sur tes lèvres, Aglaé, tu ne sais pas quoi faire, quoi penser. C'était peut-être ridicule d'autant en faire pour des sentiments nés d'un baiser fugace sous des gradins. Ça l'était sûrement, Aglaé. Mais les gens oubliaient bien vite le revers de ta médaille à toi, le prix de ton alice. Aimer, pour toi, pour Felix, c'était fatalement compliqué, c'était fatalement se heurter à quelque chose d'inconnu, d'effrayant et de potentiellement mortel. Parce que la vérité, Aglaé, c'est que sous cette armure il y a un être fondamentalement brisé, écorché, doté d'un équilibre bancal. Un être qu'on pourrait, d'un claquement de doigt, briser en mille morceaux.

« Je ne sais pas, Elior. Des fois, je t'avoue, je me sens en décalage avec les gens. Ça a l'air tellement sain, viable, simple d'aimer pour vous. Alors que pour Felix et moi… Comment expliquer ça… Tu sais pourquoi j'arrive à enchaîner les relations, les plans culs, les histoires sans aucun souci ? Parce que je sais qu'une partie de ce que je vis avec les gens est faux. » C'est un peu flou, t'en est consciente, comment expliquer ça posément. « J'influe naturellement sur l'attirance et les sentiments des gens à mon égard. Alors même si c'est involontaire ou minime, je sais pertinemment qu'une partie de ce qu'on ressent pour moi est faussé. C'est comme une couche de maquillage, involontairement mon alice gomme ou accentu certains traits. Que ce soit avec Elyas, toi, Gabrielle, Alec, rien n'est 100% vrai. Ça ne m'empêche pas de vous aimer sincèrement et à 100% mais je sais que si mon alice venait à disparaître, les choses ne seraient pas les mêmes entre nous, je serais peut-être moins brillante pour Gabrielle, moins drôle pour toi, je ne sais pas. Ça aide à garder la tête froide. »

Tu lui offres un sourire désolé, à Elior. Tu sais que ce n’est pas quelque chose de facile à entendre ou à accepter. Ce faussé creuser naturellement entre toi et les gens. Mais c’est un fait, ta réalité, la vôtre avec Felix. Celle qui vous a détruite et détraquée. Celle qui vous a réunie aussi.

« J'arrive à gérer, parce qu'au final personne n'a une vision 100% objective de moi. Sauf Felix. Comme on est insensible aux phéromones de l'autre, on a toujours pu construire quelque chose de… Vrai, ensembles. C'est la personne qui me connaît le mieux au monde et qui a la vision la plus honnête de ce que je suis. Alors quand il me dit qu'il m'aime, je le crois, parce que je sais que ce n'est pas mon alice qui parle pour lui. Mais là… Là je sais plus quoi faire. Pour la première fois de ma vie j'ai l'impression que… Que j'ai mis une bombe à retardement entre nous et ça me fait peur. »

Tu ne sais pas quoi faire.

« Je veux dire… J’ai déjà été amoureuse avant, enfin je crois. Je ne sais pas comment interpréter tout ça. J’ai juste… Peur de le perdre. C’est mon meilleur ami, mon équilibre et… Je me sens tellement... Fragile. »

 

@Elior Demaury + Chambre d'Elior (elle va toutes les faire) + Septembre 2019

« Un peu c’est déjà pas mal. C’est plus que la plupart des gens. »

T'en demandes pas tant. Tu ne veux pas en demander plus. Parce que tes demandes sont des exigences et que tu ne veux rien leur exiger. Dans le meilleur des mondes, tu n'aurais pas à obliger et contraindre. Dans le meilleur de monde, on te dirait oui en toute conscience et non en toute honnêteté. Seulement le monde n'est pas meilleur et tu penses en être la seule a blâmé. Tu ne sais que retourner ta colère contre toi-même et ton père Aglaé. Parce qu'il est facile de blâmer l'absent et facile de se blâmer, sois. C'est bien moins culpabilisant, bien plus légitime aussi. Après tout, c'est toi que ta mère regardait avec souffrance derrière ses sourires et ses mots doux. Après tout, c'est toi que regardait Felix, les sourcils froncés, parce que tu ne savais pas oublier les contrariétés passées, Aglaé.

Et il comprend oui, peut-être même plus qu'un peu Elior. Il comprend très bien, même, mais tu ne le lui dira pas. Tu as la sensation que ce serait brisé quelque chose, tu veux respecter sa délicatesse, la recherche de ses mots, l'énergie qu'il met à te répondre, à poser les mots les plus honnêtes possibles, les plus authentiques possibles sur le voile dont tu entoures les gens malgré toi. Tu repousses ta glace, Aglaé, après une dernière cuillère. La tête sur les genoux. Le cœur lourd d'un sentiment contradictoire que tu peines à maîtriser.

« Je ne veux pas perdre mon meilleur ami. Mais l’idée de le voir au bras d’un imposteur, ça je veux pas non plus. » Et ça te tue, ça te dégoute cette possessivité, ce besoin de te l’accaparer. Tu trouves ça mal, toxique, bancale, ça te donne l’impression de toucher du doigt ce qu’il a été, un jour dans sa vie, cet inconnu qui t’as donné la vie. Et ça te dégoûte d’autant plus, lui que tu détestes encore plus que l’académie. « La vérité c’est que je pourrais disparaître s’il me le demandait. Je préfère une vie malheureuse sans lui qu’une vie où lui ne sourit pas. Mais à côté de ça, rien que d’imaginer que ça ne puisse pas être moi, ça me trou le cul. C’est terrible la jalousie. » Et tu te déteste pour ça. « Je sais pas si je dois rire de ma connerie ou pleurer de ma stupidité. Ce serait tellement plus simple d’être juste la crazy bitch que les gens voudraient que je sois. »

T'as essayé pourtant. Essayée si fort de coller à leur fantasme, d'être tout ce qu'ils détestent, tout ce qu'ils te hurlaient dans la lâcheté de tes absences. Tu es devenue, en apparence, tout ce dont ils se moquaient, juste pour le plaisir de les prendre de court, juste pour ne pas te laisser faire. Pour leur montrer qu'Aglaé Silphie Lynch n'était pas n'importe qui. Pour leur montrer que tu étais plus forte, plus puissante, plus intouchable qu'eux tous réunie. Tu as aimé une fois par curiosité et envie et ça, c'était mal finit, depuis tu avais jeté la petite fille aux oubliettes pour devenir la reine rose bonbon qui regardait de haut le monde. Pour ne pas s'encombrer, pour ne plus jamais flancher. Être forte et libre, comme tu devais l'être, parce qu'on harcèle les petites filles, mais respecte les reines. Pourtant, face à Felix, t'étais rien, rien qu'une gamine en pleure qui supplie qu'on ne l'abandonne pas. Face à Felix, tu perdais tes moyens. Face à Felix, tu ressentais tout le besoin d'attache que tu trompais entre les draps et les gémissements derrières les cabanes. Face à Felix, tu ressentais ce besoin d'exclusivité qui te rebutait parce que tu avais peur de finir comme elle, victime, ou d'être comme lui, bourreau.

On t'a toujours dit que la famille apprenait un modèle à suivre. Mais ton modèle, c'est un père qui engrosse et fuit sans donner d'explication, qui trompe au grès de voyage en promettant monts et merveilles pour disparaître. Et surtout, ton modèle, c'est une mère qui certains jours ne se levaient pas. Trop fatiguée, trop épuisée par des sentiments trop forts qui lui avaient tout pris. C'est une mère, qui, quand elle se levait, avait beaucoup d'amour sur le visage, de tendresse dans ses gestes, mais la mort dans ses yeux, comme-ci en te voyant toi, elle le voyait lui. T'en étais arrivée à te dire que le reste aurait été à l'image de son regard s'il n'y avait pas eu ton alice. Comment on peut savoir ce que c'est d'aimer correctement avec de tels parents ?

Mais heureusement, il y a Elior. Doux Elior, qui n'a probablement aucune conscience du baume qui passe sur ton cœur, de la pommade salvatrice dont il enduit ton esprit. Doux Elior qui parle, qui rassure, qui promet ce qu'on ne peut pas promettre sans savoir, avec une telle assurance que tu meurs d'envie de le croire. Que tout ce que tu as bâtis ici ce n'est pas du vent. Que sans ta voix, tu existerais encore, que Felix n'est pas l'exception, que tu n'étais pas si seule, au final, que même avec Elyas pour le combler, Elior resterait là. Que même avec Elior pour le combler, Elyas serait toujours là. T'as envie d'y croire, c'est si doux comme pensée que de se dire qu'on a sa place, qu'elle ne bouge pas, qu'elle n'est pas due au hasard ou à la magie, que tu peux être aimée au-delà de tes chants qui hypnotisent.

Un sourire timide sur tes lèvres, Aglaé. C’était bon de se dire qu’on avait besoin de toi. C’était bon de se dire, qu’on n’était peut-être pas si laide au final.

« C’est bien vrai, ces boloss ont bien de la chance. » Tu tournes la tête vers lui. « Comment ça se fait qu’on ne se soit pas rencontré avant ? C’est pourtant pas dans mes habitudes de passer à côté des perles rares. »

Tu prends ton pot de glace prends une cuillère pour chasser tout le reste.

« … Merci Elior, vraiment. Vous êtes vraiment des triples A Elyas et toi. »

 

@Elior Demaury + Chambre d'Elior (elle va toutes les faire) + Septembre 2019