Au milieu des tensions et du désordre demeurait Isis-Mae, effacée et silencieuse.
Depuis son arrivée, elle ne s’était jamais intéressée aux politiques de l’Académie, s’était bouché les oreilles et caché les yeux pour ne pas ajouter à ses propres démons les possibles –probables– vices du monde dans lequel elle évoluait. Pendant longtemps, elle s’était, sans jamais l’avouer, convaincue qu’elle ne quitterait jamais l’enceinte de l’Académie Alice car il n’y avait rien qui l’attendait au-delà des grandes portes de l’allée principale ; pendant longtemps, elle n’avait même pas pensé à ce qu’elle choisirait comme études après le lycée car la certitude inconsciente de ne pas y survivre l’avait retenue de rêver d’un avenir plus radieux en dehors des murs.
Qu’importe si elle dormait dans une chambre mal isolée sous les combles ; elle avait dormi dans un lit de luxe petite, et ça ne l’avait pas rendue plus heureuse pour autant.
Alors au milieu du chaos, Isis se parait de son plus beau déni, s’effaçait des grands tableaux pour continuer d’avancer à petit pas dans le fond du décor.

Elle s’était faufilée dans l’enceinte de l’hôpital, cette fois sans bleus ni blessures aucune pour justifier sa présence ; rien qu’un petit sachet coloré dans son sac, et le cœur agité de tressautements saccadés.
Que ce soit dû à sa discrétion ou au fait qu’on l’avait tellement vue rôder dans les couloirs de l’hôpital depuis le début de l’année qu’on ne la remarquait plus quand elle y allait et venait, personne ne sembla faire fit de sa présence. Comme si elle était chez elle, elle déambula en glissant sa tête dans l’encadrement d’une porte ici et là, sans jamais trouver ce qu’elle était venue chercher —elle s’était même autorisé la petite folie de s’inviter dans la salle de repos du personnel en vain.
Finalement, ce fut devant la salle de consultation où elle s’était déjà retrouvée auparavant qu’elle trouva son bonheur ; et il lui suffisait d’un tout petit coup de main de son alice pour ressentir la présence toute entière de Krystian de l’autre côté de la porte close.
Il était seul.
Elle s’invita sans attendre de réponse de sa part après s’être annoncée de trois petit coups, et un sourire espiègle s’esquissa sur ses lèvres en creusant des fossettes joyeuses dans ses joues quand elle posa les yeux sur lui, la porte désormais close dans son dos.

« Je te dérange ? »

Isis se sentait portée par une joie légère et dérisoire qui pourtant l’apaisait énormément ; il y avait une magie étrange dans cette légèreté qui papillonnait au plus profond d’elle même, c’était comme si elle se trouvait presque heureuse de pouvoir à nouveau ressentir la gaieté, aussi petite soit-elle, sans avoir besoin de trahir ses sens et sa conscience au moyen d’aides variées –substances douteuse comme alices trompeurs.
Ce qui s’ébattait tout doucement dans sa poitrine et qu’elle avait cru mort pendant si longtemps lui appartenait pleinement ; rien qu’à elle, et peut-être aussi à ceux avec qui elle voulait bien le partager.

Quand le compliment résonna, soudain, dans la pièce, ses joues rosirent l’espace d’un instant puis elle se fendit d’un ricanement amusé devant l’air de Krystian qui semblait aussi surpris qu’elle.
Isis n’avait pas l’habitude qu’on lui fasse ce genre de remarques, aussi elle se trouva embêtée de ne trop savoir quoi lui répondre. La politesse hypocrite aurait certainement voulu qu’elle rétorque qu’il l’était lui aussi, mais ça n’était pas vrai, elle le voyait, et elle s’était promis qu’elle ne ferait plus de mensonges devant lui.

« Merci. Elle pencha sa tête sur le côté en détaillant sa figure et un sourire un rien mélancolique se dessina sur la sienne. Toi tu l’es moins que d’habitude. »

Son sourire se fit un peu plus enjoué néanmoins quand il parla de bonne nouvelle. D’un pas un peu plus vif que celui qu’on lui connaissait, elle s’approcha du bureau et posa négligemment son sac sur l’un des sièges qui lui faisait face.

« Une bonne nouvelle ? Elle fit mine de réfléchir. Hmm, si tout va bien cette nuit ça fera officiellement une semaine que je dors plutôt bien, je crois que j’arrive un peu mieux à lire qu’avant et j’ai pas manqué un cours depuis trois semaines. »

Quand elle leva les yeux vers lui, elle eut un air à la fois un peu dépité et amusé, car si ses progrès pouvaient sembler désuets et énoncés sur le ton de la blague, elle savait en vérité, tous les efforts qu’il avait fallu pour en arriver là –et Krystian pouvait en témoigner.

« J’ai presque pas bu depuis le mois dernier, fit-elle cette fois d’un ton plus bas en baissant un peu les yeux. »

Elle avait beau avoir fait la paix avec l’idée que le processus de guérison serait long, les rechutes la terrifiaient et chaque fois qu’elle s’y était abandonnée, c’était un morceau tout juste recollé de sa confiance en soi qui s’émiettait.
Son regard se fit vague le temps d’un battement de cil, et elle se reprit aussitôt, se penchant sur son sac pour y chercher le paquet mal emballé.

« Ah et j’ai fait ça au club de cuisine hier ! »

Elle lui tendit le paquet et ne parvint pas à soutenir son regard plus d’une poignée de seconde, embarrassée des couleurs chaudes qui s’installaient sur ses joues contre son gré.

« C’est juste des cookies hein, mais c’est la première fois que je les réussis bien comme ça alors… c’est pour toi. Pour dire merci, elle ajouta en triturant nerveusement le bout de ses doigts. Ils ont gonflé bizarrement mais de base c’était en forme de pingouin… »

Elle se pinça les lèvres parce qu’elle commençait à trop parler pour masquer son embarras inexpliqué et leva les yeux vers lui.

« T’avais besoin d’une bonne nouvelle ? »