Quel film tu veux voir ?
N'avait-elle pas pu trouver plus ridicule comme question ? Dans un soupir de frustration elle avait lancé son portable sur le lit avant de se prendre la tête entre les mains. Il n'y avait que toi pour lui attirer aussi rapidement ce genre de réaction. Il lui fallut quelques secondes pour souffler, un œil aux aguets d'une quelconque vibration qui signifierait une réponse de ta part sans que rien ne vienne. Une minute, puis deux, à la troisième elle avait cessé d'espérer et s'était levée pour se préparer. Elle avait enfilé sa paire de bottes à talons haut et son perfecto en cuir qu'elle affectionnait tant. Ce fut vêtue d'ébène de la tête aux pieds qu'elle avait fait un détour par le frigo pour prendre sa meilleure bouteille de vin avant de quitter son appartement. Elle avait dit dix minutes.

Dix minutes et elle se trouva face à ta porte à l'instant même où son portable vibra, alors elle avait lu ton message, soupiré encore avant de toquer deux coups rapides comme à son habitude. Tu buvais déjà et la moue embêtée qu'elle afficha lorsque tu pointas le bout de ton adorable petit nez pour lui ouvrir parut plus froide qu'il ne le faudrait. Pourtant Sinead avait le sang chaud et le coeur qui battait à toute allure. Elle avait le visage froid et le coeur bouillonnant, et tu ne t'en doutais pas, mais elle était contente que tu ais pensé à elle. C'était sa façon à elle de te le montrer, cet air un peu fermé et contrarié dont l'esquisse peinait à ne pas s'étirer.

« Sale ivrogne, t'aurais pu m'attendre au moins. »

Boire à deux c'était toujours mieux, non ?

« J'ai amené la suite, fit-elle en levant la bouteille de blanc qu'elle tenait, en souriant un peu. »

Entre vous deux ça avait été un temps et puis c'était devenu bizarre, fonctionnant au gré de tes envies. Ça lui allait à Sinead, bien qu'elle ait toujours fait au mieux en espérant que tu pardonnes un jour ses erreurs, elle souffrait sans t'en parler parce qu'elle se savait coupable d'avoir trop insisté. Alors elle avait décidé d'être celle dont tu te servirais dès que tu en éprouverais l'envie, en guise de rédemption.

« C'est parce que tu commences toujours avant moi. »

Dans la plupart des cas c'était vrai, la pensée la fit sourire un peu -c'était léger mais bien présent tandis qu'elle prenait la tête du chemin à l'intérieur de ton appartement, sa bouteille à la main. Toujours plus de vin blanc. Bien sûr, et si c'était pour te faire plaisir alors, elle irait chercher tes alcools préférés au bout du monde Samael. Seulement là, pour une soirée prévue à la dernière minute c'était un peu compliqué. La prochaine fois sûrement.

Sinead suivait les lignes de ce lieu qu'elle connaissait si bien, s'engouffrant dans le salon comme si elle se trouvait dans le sien. D'un regard rapide elle avait observé la pièce, des encas disposés sur la table basse, passant par la fameuse bouteille de vin bien entamée pour aller glisser sur cette décoration particulière qu'était la tienne. Ce cocon te représentait bien, et à chaque fois qu'elle posait les pieds ici elle ne pouvait s'empêcher un sourire, même éphémère de naître sur ses lèvres. Elle se sentait chez toi aussi à l'aise que dans son propre nid et ça lui réchauffait un peu le coeur.

Sa veste posée sur le dossier, elle s'était laisser tomber tranquillement sur le canapé, jambes croisées en t'écoutant parler. Aujourd'hui tu étais vide d'énergie, oh bien sûr qu'elle voyait ce que tu voulais dire -mais pensiez-vous à la même chose ou bien elle était la seule à sentir son coeur s'affoler d'inquiétude ? Un jour elle en ferait une syncope.

« Ménage toi, tu sais bien qu-, mettre ce sujet sur la table est une très mauvaise idée oui. Bref, euh. Juste repose toi, ok ? »

Parce que t'es pas immortelle.
Je supporterai pas de te perdre si tôt.
Ça avait déjà faillit arriver, la fois où elle s'était enquit de ton passé et elle ne souhaitait plus que ça arrive avant très très très très longtemps. Jamais serait pour le mieux mais elle se contenterait d'un très longtemps pour cette fois.

Elle avait bu de grandes gorgées de vin sans sourciller après ça, comme pour balayer ses sombres pensées d'un revers de manche -mais sans la manche- avant de soupirer. Maintenant qu'elle y prêtait attention, c'est vrai qu'elle était fatiguée elle aussi.

« Sinon, la journée c'était comme d'habitude, dit-elle en jouant avec le liquide de son verre, des cours où trop peu d'élèves écoutent réellement et quelques courses poursuites dans les couloirs pour chopper les plus récalcitrants. »

Ça l'avait fait rire un peu parce que dit comme ça on avait l'impression qu'elle vivait un film d'action, alors qu'en réalité elle n'avait pas couru mais s'était assurée d'attraper les dits élèves de façon à ce qu'ils ne puissent pas lui échapper.

« Les pires c'est les plus jeunes, vraiment. On était pareilles à leur âge tu crois ? »

Sûrement pas Sinead, non.