Le grenier était un endroit absolument immonde où s'accumulait la poussière et les nuisibles.
Les nuits y sont glaciales, en hiver on aurait presque l'impression de mourir.
Enfin ça, c'est si notre charmant personnage n'avait pour habitude - et réputation - de s'infiltrer dans la chambres des différents étudiants pour profiter des bienfaits d'une nuit reposante dans un étage supérieur.
Avait tendance à importuner Siobhan à l'occasion, de toute façon il avait pas vraiment d'ami à squatter en temps normal.
On ne pouvait même pas dire que Siobhan était son amie, elle était plutôt la victime des lubies de l'homme en jaune qui trouvait plus de plaisir dans le fait d'emmerder quelqu'un que la situation en elle-même.
Pourtant cette fois, il s'était décidé : aujourd'hui serait un jour de grâce, un jour béni des dieux.
Il ne s'inviterait dans aucune chambre sans y avoir été invité, s'en était terminé de tout cela !
Pour faire preuve de bonne foi, Agon s'était exceptionnellement rendu dans sa chambre, au grenier.
L'air déterminé à devenir une meilleure personne.
Utilisait sa clé, ouvrait la porte et
Sa sœur.
Milena.
Sur son lit - après l'en avoir débarrassé de toute literie pour la balancer négligemment au sol, sinon c'est pas drôle - entrain d'agiter ses pieds.
A mesure qu'elle s'adressait à lui, l'esprit du blondinet divague.
Finalement, c'était une mauvaise idée de devenir une bonne personne respectueuse de ses camarades.
Après tout, tout le monde fait comme lui.
Ou alors peut-être que le problème, c'était le sang des Skvortsova.
Il avait une théorie à ce sujet là.

Et si le fait que lui et sa sœur étaient tous les deux au grenier n'était pas tout-

« -simplement dû au fait qu'ils partagent les mêmes gènes ? »

Agon se figeait un instant, la bouche grande ouverte.
Avait mélangé le flot de ses pensées avec celui de sa parole.
Fixait le paquet de chips tendu dans sa direction.
Avant que sa voix n'explose à nouveau.

« MA CHARMANTE PETITE SŒUR QUI BALANCE MES AFFAIRES PAR TERRE COMME SI C’ÉTAIT DES TORCHONS, QUEL PLAISIR DE TE VOIR. Papa et maman ne t'ont pas apprit à ne pas t’introduire dans les endroits où tu n'es pas invitée ? MOI NON PLUS, HAH. »

Agrippait le paquet de chips, l'écrasait entre ses mains, sans changer d'expression, la bouche toujours ouverte et le regard dans le vide.

« SUPER, j'adore les chips. ET J'ADORE DMITRY. J'irais lui rendre ce paquet, c'est dangereux pour ta ligne. Hihi. »

Balançait le paquet par dessus son épaule pour sauter sur le lit, écraser à moitié Milena.

« ALORS qui t'as encore traité de folle, cette fois ? »

Il l'aimait bien, Milena.

Retombait lourdement sur sa sœur, en travers du lit.
Agon ne flanchait pas devant les coups de Milena, même s'il n'avait aucun doute sur le fait qu'elle faisait de son mieux pour lui faire mal.
Après tout, elle n'était pas du genre à se retenir avec qui que ce soit et encore moins avec lui.
Peut-être que s'il avait lui aussi cet alice de poupée vaudou, il s'amuserait à lui renvoyer ses coups dans la figure.
Mais il n'avait nullement l'intention de s'impliquer dans un rapport de force avec sa sœur adorée, il lui pardonnait tout.
Sauf l'histoire du paquet de chips : ça, quelqu'un allait devoir payer.
Certainement pas elle, cela dit.
Elle fouillait dans ses poches et à cela, il n'essayait même pas de se défendre.
A la place, il laissait balancer ses jambes d'avant en arrière, le menton déposé au creux de ses deux mains.
Le sourire toujours intact, il avançait son ventre à l'aide de son bassin pour l'écraser un peu plus.

« J'ai pas l'argent pour tes paquets de chips, ma biche. MAIS SI TU VEUX je peux t'en voler. Si tu arrêtes de toucher aux affaires de ton grand frère. »

Roulait pour se retourner et se mettre sur le dos, écrase toujours Milena.
Agon se met en étoile avant de reprendre, la voix qui chante.

« TU SAIS TRÈS BIEN QUE PERSONNE T'AIME A PART MOI mais c'est pas grave tu sais, je suis bien suffisant. HAH. »

Rebondissait sur le lit pour l'écraser toujours un peu plus, enjoué à l'idée de passer un peu de temps avec sa sœur.
Comme si la situation n'avait pas évolué depuis l'enfance.
Pourtant, cette situation dissimulait seulement habilement le mal-être de cette famille.
Personne n'aime Milena ?
En tout cas, c'est ce qu'il voudrait.

« Tu veux pas arrêter d'être UNE INADAPTÉE SOCIALE ET GAGNER DES ETOILES pour inviter ton grand frère au restaurant ? J'en ai ma claque de bouffer comme un apôtre dans un livre saint. EN PLUS C'EST EXCESSIVEMENT ÉNERVANT D'ENTENDRE QUELQU'UN QUI MANGE DES CHIPS POUR CELUI QUI N'EN MANGE PAS. »

Non mais oh.

Elle le dépossédait de tous les objets dans ses poches.
A dire vrai, il ne savait pas exactement ce qu'il avait laissé dans ces dernières.
Peut-être qu'avec un peu de chance, elle trouverait de l'or ?
Comme ça ils pourraient se tirer de cette académie et fonder une société indépendante d'exploitation agricole.
Ou un truc dans le genre.
C'est vrai qu'il avait tendance à ne pas trop écouter ce qu'on pouvait lui raconter, plus occupé à faire la différence entre la fiction et la réalité qui avaient tendance à s'embrouiller dans sa tête.
Mais l'idée qu'on puisse inviter sa petite sœur au restaurant avait le don d'éveiller chez lui son instinct de frère protecteur.
Ou de malade mental en manque de violence, c'est selon.
Est-ce qu'on l'invitait vraiment au restaurant, d'ailleurs ?
Malgré tout, elle est quand même plutôt chiante, cette sœur.
Alors le fait qu'on puisse la supporter suffisamment longtemps pour profiter d'un repas en sa compagnie, ça le dépassait entièrement.

Milena attirait son attention sur le petit mot qu'elle venait de sortir de sa poche.
Un mot qu'il adressait à Ginger, il avait l'intention de le déposer dans sa chambre lorsqu'elle serait occupée à travailler au club de journalisme.
Si ce mot pouvait ressembler à un mot de menace, pour Agon, c'était tout autre.

« AH CA ? C'est ma demande en mariage. Passe le moment où je parle de lui arracher un oeil et c'est plutôt mignon FINALEMENT. »

Agon s'arrête un instant, l'air inquiet.
Comme s'il venait se rendre compte de ce qu'il avait écrit.
C'est vrai que c'était terrible, de faire une demande en mariage comme ça.
Il avait besoin de son aide, pour ça.

« Oh mon dieu... TU PENSES QUE JE DEVRAIS DIRE QUE JE VAIS LUI ARRACHER LES DEUX YEUX ? Ça serait horrible, d'être borgne. Je ne veux pas ça pour ma femme. Je vais corriger. »

Éclate de rire avant de se redresser pour lui retirer le papier des mains et le remettre dans sa poche.
Lui attrape les joues pour les étirer dans tous les sens, un sourire carnassier aux lèvres.

« TU SAVAIS QU'ILS PEUVENT COMMUNIQUER AVEC LES MORTS ? J'aimerais tellement discuter avec ton assassin, j'suis sûr qu'on a des choses en commun. »

C'était peut-être pas un sujet de rigolade mais.
Ça n'avait pas d'importance, pour eux.
Aux yeux de Agon, c'est même plutôt un bon souvenir.

Milena redevenait sérieuse.
Agon n'aime pas, dès que Milena redevient sérieuse.
Elle est tout de suite beaucoup moins amusante et il peut même lui arriver de dire des choses blessantes, faire perdre son sourire à l'homme jaune.
Alors, lorsqu'elle laissait placer un silence pesant, les yeux de Agon se perdaient dans l'espace -restreint- de la chambre afin d'y trouver un sujet de conversation.
Elle se recroquevillait contre lui et dans cette position, elle semblait tellement vulnérable.
Parfois, dans ces moments, Agon avait l'impression de récupérer cette sœur qu'on lui avait arraché pendant l'enfance.
Que ce soit Evgeny, son père, sa mère, Oksana.
C'était peut-être un peu de sa faute, à lui aussi.
S'il avait été plus réactif et qu'il avait tranché la gorge de tout ce petit monde avant que ça ne se passe, peut-être qu'il aurait eu la chance de passer un peu plus de temps en sa compagnie.
Ou alors il aurait terminé à l'asile.
L'un dans l'autre, cette académie avait elle aussi tout d'une maison de fou.
Elle évoquait le fait qu'il ait essayé de la tuer et à cela, il ne savait quoi répondre.
N'avait pas vraiment de souvenir en ce qui concerne ce moment où il s'était dissimulé dans son armoire, ne sait même plus vraiment quelles étaient ses intentions.
Peut-être que ce n'était que pour une blague, après tout.
Pourquoi pas.

Mais la théorie d'un double du futur faisait reprendre à cette conversation un peu d'animation, celle dont il avait cruellement besoin pour continuer à exister.
Élargissait son sourire à mesure qu'elle fabriquait son histoire de toute pièce, s'était surpris à imaginer que ce scénario pourrait être somme toute plutôt probable.
Il se serait tué lui-même, du coup ?
Excellent.
Devant sa dernière déclaration, il frottait sa joue contre la sienne en hurlant.

« MAIS JE T'AIME DÉJÀ, INFÂME PETIT CRAPAUD PSYCHOTIQUE. »

S'éloignait rapidement d'elle pour s'asseoir en tailleur, faisait basculer sa tête de gauche à droite dans un rythme complètement décalé.
Ses yeux brillaient d'une certaine malice.

« Tu devrais quand même faire attention à tes fréquentations. Je peux m'en occuper pour toi, tu sais. »

Brusquement, son sourire disparu.
Visage inexpressif et froid, il reprit avec un sérieux qu'on lui ignorait complètement.

« Où est Evgeny, Milena ? »