tapis au fond d'une gorge à gronder sans se montrer, c'est le propre des animaux blessés d'agoniser dans leur coin. gangrène de chagrin, sans saigner la moindre larme elle se contente de creuser un trou profond comme un abysse dans les entrailles - coupe l'appétit - galope insidieuse dans les veines elle rend celles-ci bleu morose et grouillantes d'un sang malade.

c'est la faute à la peine qui s'infiltre sournoise par les coins de murs, ronge la maison au goutte à goutte, elle affaiblit les fondations. l'entourage et l'environnement, bancals depuis quelque temps, et les plafonds ronds alourdis d'eau qui menacent de crouler, Felix ne veut pas voir, non - préfère se dérober aux lamentations générales.

n'aime le salon que lorsqu'il vibre d'agitation, si c'est sourdement de plaintes on n'a pas envie d'entendre. pas envie de rejoindre Victoire alors que c'est important de se répéter qu'on forme une famille quand même, pas envie de croiser Colline malgré leur colère toujours au diapason à la moindre injustice. si l'on se terre au creux du silence sous les combles on n'a pas à dire au revoir à voix haute - alors c'est un peu comme si Anaël était encore là.
à part au fond de son lit aux heures vides, lorsque Felix se met à se demander
si le collier de pâtes qu'on lui avait fait avec Victoire
était dans sa valise quelque part.

et il ne voulait pas vérifier aujourd'hui ce que cet ami dérobé avait laissé derrière lui. leurs portes presque voisines, sa chambre à lui a des allures d'autel ou l'on honore sa mémoire, et admirer les vestiges du lieu lui semble mortifère. le pire, ce serait d'y voir des fleurs en y passant, alors on évite.

on évitait, jusqu'à entendre sangloter le plâtre. appose la tête contre la paroi la plus proche de la source, Felix écoute, spectateur un moment et puis, se lève finalement. il avait enjambé le capharnaüm de sa propre piaule pour en sortir, émerger dans le couloir, il a l'espoir idiot de retours imprévus, imprévenus comme les départs. alors il traverse, rompt la distance qui sépare jusqu'à sa porte entrebâillée, y pose la main pour finir d'ouvrir. tombe nez-à-nez avec un autre revenant.
Léonard assis là, qui pleure comme un enfant. c'est dénué d'animosité, noyé morose dans un peu d'hypocrisie - c'est faux, Léonard, c'est juste qu'on n'était pas bien loin. et maintenant qu'il est là, maladroit mais pas au point de demander bêtement si ça va, Felix reste planté dans l'encadrement un instant, avant de s'avancer sans un mot. s'assoit à coté presque au bord du lit sans un regard.

il ne sait pas quoi te dire Léonard,
il ne sait même plus se plaindre ces derniers temps,
mais on peut partager du silence si tu veux,
Felix en déborde en ce moment.

c'est mystérieux le pays des larmes, à la diplomatie nébuleuse, on ne sait jamais trop si c'est acceptable de s'en tenir à la frontière et encore moins d'y voyager. que Léonard concède à rester triste au grand jour rassure paradoxal - signifie qu'on a encore le droit de s'admirer dans les pires états - les expressions chaotiques toujours offertes, on se les réserve.

et Felix redoutait les s'il était là, formule funèbre qui souligne les départs, ne fait qu'appliquer de travers des semblants de pansements, car ce ne sera jamais l'ami parti qui soignera pour nous. des points de suture pour autre chose - la chimère de nous qu'on forme avec toi, lacérée tu raccommodes - ça fait esquisser une risette maladroite. ouais, sûrement. acquiesce et s'accorde une œillade, ton visage à l'angle du champs de vision jusqu'à maintenant, et puis les yeux reviennent à ses mains.

courbé nonchalant les avant-bras posés sur les cuisses, nerveusement les doigts se nouent, s'y incarne le chaos qu'on porte en dedans. sourire et puis rictus, retour des traits tirés comme s'il n'avait pas le droit de lâcher du leste indéfiniment. il te dirait que tu perds ton temps à jouer la veuve éplorée dans une chambre vide...
c'est un personnage qui ne te va pas Léonard, ta vulnérabilité bouleverse dérangeante tant elle sonne trop juste. elle prendra fin un jour, et alors Anaël aura véritablement quitté les lieux - on ne pourra plus compter sur lui comme une excuse pour s'asseoir à coté de toi. et il dirait qu'on ferait mieux d'être en paix avec soi - mais faire la paix Felix ne connaît pas - il dirait ... que j'ai été le pire des cons avec toi l'autre fois.
même si c'est effrayant de l'admettre, car on préfère les ressentiments à rien du tout - pour ça que les condoléances et les désolés, Felix les frôle
mais pas tout à fait.

c'était pas... sensé être marrant. pas dans les contresens que tu lis, à travers ses répliques et ses manies. mais c'est que Felix est maladroit et qu'il s'est aventuré titubant sur des terrains qui ne vous ressemblent pas. ces contrées familières où l'on va déterrer les sourires de l'autre à main nue, la langue déliée, sûrement qu'il n'a pas le droit d'en franchir la lisière. après tout, il l'a dit - scandé, même ! - on n'a jamais été des amis. alors Felix se tient là immobile, à l'orée de toi Leonard ; il n'y a qu'un soupir qu'on s'accorde. je suis pas venu pour ça.

ne la sens-tu pas dans l'air ? l'absence de fragrances belliqueuses. ici, il n'y a que les vestiges du dernier occupant qui imbibe les lieux, et l'on n'a pas envie d'agiter ces eaux tristes. pas d'humeur non plus, pour vos déluges et ses vagues terribles. les ondées chagrinées sur tes joues sont déjà trop de mauvais temps - Leonard, on voudrait des accalmies, tout simplement.

c'est étrange comme on n'y arrive pas avec toi. forcer le printemps en illuminant les visages hallucinés et puis faire éclore des bouquets au creux des cœurs, c'était pourtant facile. mais sans qu'on sache pourquoi, en ta présence, c'est un leurre qu'on se refuse depuis toujours. peut-être que tes autels adolescents remuent trop Felix malgré lui pour qu'il commette l'affront de les fleurir pour de faux - personne ne croit aux chrysanthèmes artificiels - c'était de violents printemps ou rien. Leonard tu le bouleverses et ça le terrifie, au fond, que les parterres soient envahis de ces herbes folles. on n'a jamais connu de jardins où les saisons restent dociles - elles dégénèrent systématiques.

reste un peu, quand même. parce qu'on voulait te dire, avant de s'en aller. j'essayais juste de te dire pardon. on peut te laisser seul si tu veux.