À la mémoire du temps d’avant
à la mémoire du sang qui brûlait ses veines a l’affront de la majesté qu’il se vantait être la fierté démesurée chevillée au corps glacé et raide
Stelian O’Cesair petit bâtard du clan sans pêché de chair simple défaut de sang et de naissance, au patronyme originel inconnu tellement ancré dans ses convictions que la traîtrise est gravée déjà dans son nom. Celui qui ne voit que par le prisme doucereux du nom chantant de Laëstiel, ses intentions sont impures et tout est dans la sphère publique, malgré les dénégations et les révoltes de ce qui s’assimile à des troubles affectifs.

À la mémoire de tous ces temps où Stelian paraissait inaccessible inatteignable du haut de sa tour d’ivoire avec pour seule reine Juno-Bianca en haut de son échiquier sans jamais se croiser - quelques détours quelques baisers volés qui ne subsistaient jamais trop longtemps dans le plan de son empire.
Puis Gwendoline sa douce sa trop chère sa si tendre Gwendoline qui lui avait offert le bonheur parfait sur un plateau d’argent. Le souvenir de ses doigts autour de son visage son cou jusqu’au bas de son dos le fait frissonner encore - et voilà son bonheur arraché.
Enlevé.
Aboli par on ne sait quel décret quel roi quelle reine et abus de pouvoir - c’est le souffre entre ses doigts pour seule fragrance de leur amour avorté.

Et Juno-Bianca, elle n’y est pour rien.
Elle n’aurait jamais pu faire ça.
Pas après leur dernière fois, leur dernière intimité, l’entrevue secrète et interdite où dans leurs silences respectifs ils avaient avoué leur haine
Leur haine de soi
Un peu d’amour de l’autre dans la forme la plus laide de leur monstruosité.
Elle n’avait pas pu.

Et puis tout le monde au réfectoire, chacun à sa place, les habituels dérogeaient aux horaires imposées, et Stelian n’en avait rien à foutre.
Mais il s’était promis, de sceller le destin de Chandresh Dwight au sein de l’académie, surveiller le moindre fait et geste délictueux - et voilà que Dwight est aux abonnés absents du repas de ce soir.
Alors discrètement Stelian se lève, glisse un mot une excuse à Dimitry à ses côtés
à la table des trois étoiles
pour couvrir une absence remarquée
et s’extirpe du repas du soir pour traquer le contrevenant - ça serait acte de zèle pour les NOVA.

La pluie l’orage le temps tout était si romantique ça se prête même au tragique et il sait que certains raffolent de ce genre d’ambiance - même son cœur finalement retrouvé se serre mais sa rage est plus forte alors il déambule à un rythme acharné autour de l’académie, les jardins les fenêtres des dortoirs scrutés les lumières qu’on pourrait apercevoir au détour des allées
et puis les silhouettes
les silhouettes si poétiques de Juno et Chandresh qui se profilent
le sourire de Stelian qui s’étire - parce que faire souffrir n’était jamais bien loin de la source de plaisir

Et tant pis si Juno-Bianca était le dommage collatéral.


▬ Mademoiselle Rhodes, Monsieur Dwight.

Il patiente le temps que les regards se redressent vers lui
S’extirpent de la romance idéale qu’ils avaient sans doute imaginé au pied de la fontaine dans un temps hors de la réalité
Une pause parmi tout le reste

▬ Tout le monde est au réfectoire, sauf vous, je vous apprends rien en précisant que... c’est pas bien vu au regard du règlement.

Les mains dans les poches Stelian passe une main pour gommer les gouttes de pluie qui perlaient sur son front
Devine le mépris sous les yeux clairs de Juno-Bianca
Et la colère qui gronde au creux de Chandresh.

▬ Comme c’est mignon, ces retrouvailles en amoureux.

Et là le sourire s’étire.
Quand il plonge son regard dans celui de Juno-Bianca.

▬ Absolument, on peut rien te cacher, Dwight. Cette même table où trônent Ace, Dimitry, Jason, Laëstiel... Et Juno-Bianca Rhodes aussi.

Dans la voix de Stelian flotte une douce arrogance, un peu amère, d'avoir été reléguer sans sommation au rang de spectateur. Mais plus encore, l'idée de leurs étreintes amoureuses où quelqu'un comme Juno était impliquée, lui renvoyait en pleine gueule l'échec de sa propre idylle.
Ça le dégoute.

Et il crache son venin sans sourciller, lance un regard plus affable sur la reine des coeurs qui lui rappelle la nostalgie de leurs liens particuliers - et ça étire son sourire. Juno-Bianca Rhodes si belle, si désirable, entière majesté d'un royaume en cendres, un parfum de vulnérabilité en plus, de fragilité sous-jacente qui la rendait plus forte, et que Stelian avait pu contempler il n'y a pas si longtemps.

▬ Désolé beauté, c'est pas toi qui m'intéresse ce soir, j'avais pas vraiment prévu de te croiser ici pour tout te dire. Ne t'inquiète pas, y aura pas de baiser dans deux jours non plus.

Sa voix donne quelque chose d'étonnamment glacial et la joute verbale et visuelle ne dure qu'un temps infime.
Le temps de dire en sous-texte.
Qu'on avait pas prévu de te voir là, loin de nous, loin de lui.

▬ Et puis ce soir-là, c'était un peu plus compliqué.

Ce soir-là ça fait mal d'y repenser, et on se dit, malgré le rire soufflé entre ses lèvres à demi-closes
Si seulement ça avait pu se limiter à leur danse volée.
Alors O'Cesair s'avance, à distance égale des deux amants, le dos droit les traits durcis par le mépris qu'il porte.
À tous ceux qui s'aiment.
Tous ceux qui ne portent pas son nom à elle, elle qui n'est plus entre ses bras.

▬ Je te trouve bien agressif, pour quelqu'un à qui j'ai sauvé la vie.

J'aurai peut-être dû te laisser crever cette fois-là.
Les yeux ne mentent pas, trahissent sa détestation certaine, absolue et absolument gratuite.

▬ Ton pote a gagné une étoile alors que toi t'en as perdu une. Quelle ironie.

Et dans une autre vie.
Stelian aurait voulu être celui qui offre à Chandresh Dwight l'ascension aux greniers.
Et ça le heurte un peu, de pas avoir été le premier à lui ôter l'insigne si précieux des étoiles.

▬ J'espère que tu t'es bien remis de ta blessure.

J'espère
Que tu es prêt
Totalement prêt
Pour les prochaines.

derrière le silence affiché et son attitude absente, Stelian s’était apprête à dégainer les mots les plus vils les plus acerbes les plus violents dont il était capable dans la monstruosité de sa colère sourde.

Ses sourcils se froncent il ne laisse pas l’aigreur transpirer de son être quand Chandresh affiche sa défaite - à lui - sur un secret qui ne lui appartenait pas : il était celui de Juno-Bianca seule, et Jason un peu aussi.

Ses prunelles sombres dardées sur Chandresh Dwight glissent quelques secondes sur Rhodes, et ça le surprend, ces attaques pleines d’une rage sous-jacente qu’elle savait contrôler mieux que personne mais qu’il savait bien réelle - et en écho à leurs heures secrètes de vulnérabilité, il tairait l’affront signé.

▬ Je ne me battrai pas pour toi.

Stelian laisse l’écho de sa voix se fondre entre eux trois, un ton plus solennel en seule mélodie, et des épaules décontractées l’air de rien.
on rime à rien
Il se souvient.

▬ Si tu es assez stupide pour considérer Juno-Bianca Rhodes comme un simple trophée, t’es vraiment plus con que t’en as l’air.

C’est facile, il le sait, alors il attaque sans vergogne et ne laisse plus la retenue retenir ses coups.
Il n’est pas le premier à avoir dégainer.
Chandresh non plus.
Cette fois c’est la reine qui a tiré à bout portant la cible en plein cœur.
Alors il s’incline en invisible devant elle et reporte son attention éphémère sur ses courbes divines, elle en qui il venait de trouver une alliée inédite - malgré ce qu’il croyait encore.

▬ Je comprends pourquoi t’as rien dit à personne, alors et repasse à la ciblée première de son assault, droit dans les yeux quand on voit ce que certains sont capables de faire de l’information.

Un silence de trois secondes précises.
Les bons sentiments offerts sur un plateau d’argent, un script parfait pour un rôle endossé sans douleur.

▬ Tu vois, essayer de me heurter parce que tu pues la défaite, ça prouve bien que t’es plus intéressé par ta petite personne que par les sentiments des autres.

Tout ça sous la couverture de la fausse bienveillance, celui qui sourit perfidement sans que les lèvres ne l’affiche, entre deux sifflements ironiques pour signifier sa propre victoire.

▬ Ouais, je sais. Ça fait mal de se regarder en face.

Tant pis si c’est pas vrai

▬ Et tu seras gentil d’arrêter de me faire passer pour un monstre, ça deviendrait presque vexant.

Bye bye jolie petite histoire.

Il y a l'orage qui gronde la pluie qui tapisse le décor idyllique et tragique le son des gouttes qui couvre les éclats des voix et des coeurs - Stelian est acteur et spectateur à la fois d'un spectacle qu'il ne pensait pas voir de sitôt : la chute de leur amour rêvé, l'amertume de n'avoir su le piétiner pour accélérer le déraillement des espoirs vains de Chandresh Dwight.

Stelian sait la laideur qu'il porte en accroche-coeur et les ravages de son expression.
La haine viscérale depuis l'enfance qui se fait écho à chaque turpitude laissée sur son passage.
Et le sourire qui s'écorche dans un geste qu'il n'attendait pas.

Une décharge violente qu'il n'avait pas anticipée et qui le met à terre presque, le fait reculer tout du moins, le poids de la détestation réciproque qui le porte trois pas en arrière.
Ça fait trembler tout son corps en dedans.
Ça réveille ce qu'il reste de vivant.
Ce qui s'animait entre les baisers de Gwendoline, les regards de Laëstiel, la fragilité ardente de Juno-Bianca.
Et la haine de Chandresh, de sa gueule d'ange à son existence merdique.

Il voudrait lui cracher un peu plus de vérité en pleine gueule
La leur, qui les lie tous les trois,
Les monstres en dedans qu'ils disent - et Stelian se confond à rendre leurs hasards simplement humains.

L'égo grandiose froissé pour la première fois, l'affront de violence contre son corps rigide et vibrant, le voeu de le voir brûler en enfer - serment partagé sans le moindre doute d'une fierté abîmée par les émotions trop grandes.
Et Stelian se redresse, s'avance des pas qu'il a réduit sous le choc, crispe ses mains mais n’esquive pas le débordement qu'il contient en dedans.

Le Nova s’approche davantage, tend son bras droit pour agripper le col miteux des sans-étoile - dans une seconde le retour et tout qui explose
mais
se fige quand Juno-Bianca s’interpose, laisse son parfum amplifié par l’orage adoucir ses ardeurs et entend sa propre rage crier entre les lèvres de la douce.

▬ Retourne croupir avec les rats, Dwight.

O’Cesair sent les doigts de Juno glisser contre sa joue, et ça le ralentit
Alors avec toute la douceur du monde à ses pieds il saisit la main fine de Rhodes dans la sienne et enferme ses doigts lentement sans violence un peu de tendresse
Celle dissimulée qui n’existe que dans leurs moments volés et secrets.
Et baisse doucement les armes, entraînant la main de Juno avec les siennes, sans la regarder ouvertement plus d’une seconde
Le mépris mué en haine
La haine dans le regard braqué sur Chandresh Dwight

▬ T’inquiète pas, j’te ferai regretter tout ça.

Tout regretter jusqu’à me supplier de te pardonner :
Avoir souiller Juno-Bianca Rhodes de ton affection pauvre et vaine ;
Faire trembler ses mains et prendre ça pour amour acquis ;
Bafouer les honneurs de ceux qui s’aiment honnêtement ;
Le coup dans la gueule ;
Secouer la fierté dégoulinante ;
Jusqu’au jour merdique de ta putain de naissance.

Ne dis rien, s'il te plaît. Tu seras en colère plus tard si tu dois l'être.
De toute façon, il n'y avait plus rien à dire. Les mots s'étranglent dans sa gorge, il ravale toute sa fureur et serre le poing pour seule trahison de son ressentiment, sent le visage de Juno contre son épaule et là le seul mouvement qui réveiller sa carcasse figée par la rage.

Le regard encore dardé sur la silhouette maintenant disparue de Chandresh, il n'entend que la colère sourde qui ravageait ses tripes et brûlait ses veines.
Les sursauts à peine visibles de Juno quand elle pleure l'extirpent de cette torpeur silencieuse, sans un mouvement autre que celui de ses yeux maintenant vers elle, il hésite sur le bon geste à faire.

Et c'est elle qui réagit plus vite une fois encore, réitère le geste de douceur qu'on attendait plus de sa part, et reprend constance dans le chaos qu'il avait lui-même instauré en s'immisçant entre Rhodes et Dwight.

Les syllabes sont des sons à peine audibles.

▬ Ouais... À ma fierté.

Le visage fermé et interdit, il saisit à nouveau la main de Juno-Bianca dans la sienne et attend les secondes nécessaires à leur solitude pour se retrouver.
Pas eux deux ensemble.
Se retrouver l'un et l'autre avec eux-mêmes.
Enfiler le masque impeccable de ceux qu'ils sont avant de rentrer.

Pour que sur leurs visages rien ne s'inscrive rien ne se devine.

▬ Viens. On y retourne.

On va essuyer les plaies et panser les ravages des derniers instants - lui plus indemne, mais l'horrible sentiment d'être vivant
Ressentir
Mais se contenir encore
Retenir les faux-semblants du bout des doigts, ceux qui enferment encore la main délicate de Juno-Bianca Rhodes.
Et leurs dernières oeillades avant de reprendre leur place sur l'échiquier.

À leurs yeux qui déclarent silencieusement
Plus rien n'est grave.