La situation était nouvelle, pour lui.
S'il développait une habitude à revoir Juno-Bianca tous les matins, vu qu'il lui apportait désormais son petit déjeuner et que ça le forçait à se lever plus tôt le matin, c'était bien à l'intérieur de sa tête que tout se bouleversait.
Il serait naïf de nier le sentiments de Jason pour elle, même lui n'était pas suffisamment dysfonctionnel pour ne pas s'en rendre compte.
L'inconvénient dans tout ceci, c'est que ses sentiments ne faisaient que prendre de plus en plus de place dans sa tête et enserraient son cœur avec suffisamment d'insistance pour provoquer, de temps en temps, des crises de panique.
Jason arrivait à s'en défaire en envoyant une multitudes de messages à son ami Kagerou, n'ayant pas encore avoué tout ceci à Ace, mais ce n'était au final pas pour lui déplaire.
Voir le sourire de Juno-Bianca chaque jour avait quelque chose de satisfaisait et son regard avait cette capacité à le galvaniser, lui donner un peu plus confiance en lui.
Il lui arrivait même de sourire lorsqu'il arpentait les couloirs, même si cela restait bien entendu parfaitement invisible aux yeux de ses fréquentations ou du reste des élèves.
Certains pourraient même dire que c'était à cause de son rang major, qu'il se sentait désormais aussi bien.
La vérité, c'est que sa définition actuelle du bonheur avait une chevelure flamboyante et qu'elle portait des talons d'une taille qu'il avait encore du mal à identifier.

Jason rentrait des cours mais avait malgré tout respecté les consignes de sa reine : c'est à dire ne pas fermer la porté à clé.
Raison pour laquelle il pressait le pas, il se demandait bien ce qu'elle pouvait faire dans sa chambre.
Est-ce qu'elle y était toujours, d'ailleurs ?
Ouvrait finalement la porte de sa chambre ― qui ressemblait d'ailleurs plus à un appartement qu'à une chambre, mais passons ― pour constater avec un plaisir un peu coupable qu'elle était toujours présente.
Ce n'était d'ailleurs pas la seule nouvelle chose dans le paysage : ses cartons déballés, la pièce semblait d'un coup bien plus vivante.
C'était d'ailleurs la première fois qu'il voyait cette chambre autrement que comme une énorme pièce vide.
Peu importe, son regard ne saurait quitter la silhouette de Juno-Bianca.

« ― Je marche vite. »

Jason ôtait son veston pour le déposer sur son avant bras, alors qu'il s'approchait de Juno-Bianca.
Est-ce qu'il avait le droit d'être aussi d'elle, d'ailleurs ?
Physiquement.
Il aurait pu la remercier pour ce qu'elle avait fait dans sa chambre ― remettre en ordre ses affaires ― mais préférait s'abstenir pour deux raisons.
Premièrement, il avait bien compris que les remerciements avaient tendance à la mettre mal à l'aise et que la plonger dans ce genre de situation serait au final la pire manière de la remercier.
Deuxièmement, parce qu'elle n'en avait probablement rien à faire, elle faisait simplement les choses par envie.
Son regard parcourait la pièce, désormais bien plus agréable, avant de se planter dans son regard.

« ― Il y a un peu plus de vie, d'un coup. »

Le veston toujours déposé sur son avant bras, il grattait nerveusement l'arrière de sa tête pour reprendre, l'air un peu timide.

« ― Ça va mieux, ta hanche ? »

Tout était si paisible, avec elle.
Cela semblait tellement surréaliste, selon le corbeau.
Il avait toujours été seul, pendant tellement d'année, et en l'espace d'une simple semaine tout avait tellement changé.
Les retrouvailles malencontreuses avec ses parents, leur arrestation.
Sa promotion en major.
Son rapprochement avec Laëstiel.
Juno-Bianca.
S'il pouvait lui arriver de se demander s'il méritait réellement toutes les choses qui lui arrivaient en ce moment, il se questionnait aussi sur la durée dudit moment.
Et si tout cela parvenait simplement dans le but de lui exploser au visage un peu plus tard ?
Certainement qu'il toucherait vraiment le fond, cette fois-ci.

Cependant, toutes les questions qu'il se posait n'avaient aucun poids devant sa chevelure de feu, son rouge à lèvre carmin, tout ce qui la composait.
Tout ce qui faisait d'elle sa reine, en cet instant.
Et peut-être au prochain.
Avait-il le droit de simplement profiter, pour une fois ?
En tout cas, ce droit, il avait décidé de se l'accorder.
Souriant lorsqu'elle avait désigné ses talons, visiblement destiné à ne jamais vraiment la dépasser en taille, il se concentrait un peu plus lorsqu'elle lui tendit la main.
Arrivé à sa hanche, son cœur se mit à tambouriner de nouveau dans sa poitrine, menaçant d'exploser à tout moment.
Mais ce n'était pas comme lors de ses élans de panique, c'était une sensation bien plus chaleureuse.
D'être peut-être enfin à sa place, avec quelqu'un.
Détache sa main de la sienne, il se débarrasse de son veston qu'il laisse tomber négligemment à même le sol.
Car s'il en avait été capable, certainement qu'il aurait déjà déposé toutes ses possessions à ses pieds.
Enlève les gants de ses mains, parce qu'il ne commettrait pas l'affront de considérer la peau de la reine à travers un filtre.

Jason attrapait ensuite ses mains avec douceur, les remontaient jusqu'à son visage et à l'arrière de sa tête, pour qu'elle le délivre de ses chaînes une nouvelle fois.
Plonge son regard dans le sien.

« ― Libère moi et mets moi à genoux, encore une fois. Le monde dehors est beaucoup trop froid, Juno-Bianca. »

Le masque frappait le sol pour la deuxième fois, s'écroulait devant ce qu'ils ne pouvaient se cacher.
Son visage ne lui paraissait même plus un secret, il assumait chaque aspect de lui face à elle.
Elle avait rendu agréable ce qu'il redoutait tant, cette liberté qu'il n'osait caresser que lorsqu'il se trouvait dans une pièce vide de toute présence humaine.
Les lèvres se confondent et elle mène la danse, comme il l'avait réclamé.
Son contrôle était agréable, d'avoir enfin quelqu'un à qui demander la route sans en connaitre la destination.
Ne pas simplement la suivre mais l'accompagner.
Ses mains l'invitaient à descendre dans un mouvement qu'il jugeait lourd de signification et il s'y pliait, aussi tendrement que docilement.

Son visage parcourait son corps lors de la chute inéluctable, car il se laissait engloutir dans la tempête.
Le cœur frappait la cage thoracique avec force, une excitation encore inconnue s'emparait de lui et dans la fièvre ses lèvres voyageaient le long de ses courbes enfermés par un tissu aussi maudit que son masque.
Ses genoux frappaient le sol pour la deuxième fois mais c'était cette fois-ci dans une promesse bien différente de celle d'une excuse.
Par ce geste il ne s'excusait pas, il réclamait.
Qu'elle habille sa vie comme elle l'avait fait pour cette chambre.
Qu'elle lui fasse oublier ce monde froid et hostile auquel il était confronté à chaque fois qu'il devait traverser cette porte.
Ses lèvres brûlaient de mille question.
Pourquoi moi ?
Pourquoi pas quelqu'un d'autre ?
Pourquoi toi ?
Pourquoi nous ?
Mais n'insulterait pas les sentiments de Juno-Bianca en faisant la demande d'une quelconque explication, il était parfois mieux de taire les angoisses que de les embrasser.
Il débarrassait maladroitement sa hanche blessée du tissu qui la recouvrait, le relevant simplement sans vraiment l'enlever, car il ne prenait pas le temps d'y réfléchir.
Ses lèvres ne se scellaient pas par mutisme mais par amour et c'est de ce même amour qu'il vint marquer sa peau de baisers aussi brûlants que les questions à leur sujet.

Levait les yeux pour la contempler, espérer apaiser son cœur comme il apaisait sa hanche par ses bonnes intentions.
Pas la promesse d'être le meilleur homme auquel elle pourrait rêver.
Pas la promesse d'être toujours habile, sociable et généreux.
Pas la promesse d'être quelqu'un d'autre que Jason O'Cesair.
Mais la promesse d'être toujours à genoux devant elle.
De lécher ses plaies lorsqu'elle n'arriverait plus à les panser.
De souffrir avec elle et pour elle.
Car n'imaginait pas de douleur plus douce et belle que Juno-Bianca.

Et pourquoi ?
Pourquoi se limiter à un instant qui pourrait être perdu dans la valse des souvenirs ?
Jason ne voulait pas considérer Juno-Bianca comme un simple passage, le début de quelque chose, d'une évolution.
Ne ferait pas d'elle un chapitre.
Elle serait l'histoire complète, aussi longue que ce qu'elle autoriserait.
N'imaginait personne d'autre qu'elle, à qui il s'était ouvert.
Ouvert pour la première fois.
Juno-Bianca qui faisait trembler les couloirs de l'académie, donc les lèvres enflammées avaient fait fondre la glace.
La réanimation d'un cœur dans l'obscurité d'une pièce vide de toute décoration, il y a de cela trois jours.
Tellement nouvelle pour lui et pourtant si importante.

Elle relevait son visage, demandait à ce qu'il la fixe, mais il n'écoutait pas.
L'ordre parvenait à ses oreilles, le son infiltrait son esprit et pourtant, il entendait.
Mais n'écoutait pas.
Car la fixer était de toute façon la seule manière de lui communiquer la profondeur de ses sentiments, ce dont il avait cruellement manqué depuis sa naissance.
Jason n'était pas comme les autres.
Et ça tombe bien car elle non plus, n'était pas comme les autres.
« Déshabille moi »
Aucune réponse à cela.
Si ce n'est ses doigts qui se débarrassaient véritablement des tissus.

Se relevait pour être à sa hauteur.
Capable de la vénérer à genoux mais, ne saurait l'aimer autrement que face à elle.
Ses lèvres se déposaient contre les siennes, embrasaient l'âme.
Les mains n'étaient plus tremblantes, Jason n'avait pas peur.
Ou alors il n'avait plus peur.
Faisait tomber une à une toutes ses protections, pour l'observer dans son entièreté.
Dévorer Juno-Bianca de ses yeux autant que du cœur.
Déposer sa marque.
Juno-Bianca à nu.
Juno-Bianca à lui.

Car quelque chose lui disait qu'il n'était pas le seul à s'offrir pour la première fois, aujourd'hui.

Il serait difficile de décrire précisement la manière dont il s'était senti, pendant tout ce moment.
Jason avait découvert des sensations nouvelles, une forme de symbiose en compagnie de Juno-Bianca.
Le sentiment de n'avoir plus aucune honte, libéré du poids de tout ce qui le retenait normalement loin des gens.
Se pensait normal, pour une fois.
Peut-être que c'était le cas, d'ailleurs.
Normal.
Le corps encore brûlé, épuisé par les ébats, il gravait le moment dans sa mémoire.
Juno-Bianca et le mouvement de ses doigts, si précis qu'il serait sûrement encore capable de le reproduire pendant plus d'une semaine.
Le miel de ses lèvres, sa peau contre la sienne.
Elle se redressait, lui faisait l'honneur d'un regard profond et sincère.
Jamais il n'aurait pu imaginer telle douceur chez elle.
Pourtant, même s'il n'avait pas été capable de l'imaginer, il le savait.
L'avait déjà vu.
C'était peut-être ça, la certitude qu'il avait.

Son regard dévalait ses courbes, certainement un peu voyeur, mais pourquoi s'en priver.
Sa prochaine phrase allait en revanche fait naître chez lui un profond sentiment de panique.
« Je ne veux pas que tu sois mon secret. »
Jason affichait un visage tout aussi surpris qu'angoissé, dans un premier temps.
Premièrement car il ne se sentait pas à la hauteur d'un tel honneur, il était capable de l'aimer de tout son cœur mais pouvait-il simplement changer pour devenir plus acceptable socialement, pour elle ?
Comment pouvait-il exister, dans ses bras, sans entacher la réputation de Juno-Bianca ?
Faut dire qu'il sait pas ce que ça mange, une Reine.
Mais l'angoisse disparaissait rapidement.
Après courte réflexion.
Il savait, il l'avait comprit dans tous les regards qu'ils s'étaient échangés.
Elle ne lui demandait pas de changer, pas de s'adapter à sa réputation ni au regard des autres.
Le seul regard qui comptait, c'était le sien.
Et il partageait son opinion.

Affichant un large sourire, il roulait sur le côté du lit ― l'emportant avec lui ― pour s'approcher de la table de chevet qu'il ouvrait pour en sortir plusieurs objets.
Premièrement, il lui donnait un mascara waterproof qu'il avait acheté à central town en même temps que les viennoiseries du matin.
A cela s'ajoutait un livre, dont il venait d'ouvrir la couverture pour inscrire sur la page de garde au stylo : « on pourra se tenir la main ? »
Lui offrait le livre.
Les Voix du Silence.
Drôle d'ironie.