Porté par le désir d'une proximité avec des extérieurs aux bienfaits accomplis, mes pas m'avaient guidé jusqu'aux jardins de l'école où les présences étaient inusuelles.

Partout autour, le sempiternel travail de la photosynthèse me rappelait les bienfaits de cette doucereuse nature à laquelle nous avions tant pris—et, si la cause environnementale n'obstruait pas mes pensées quotidiennes, j'éprouvais cette contingente culpabilité à son énonciation.

De ce rideau de lumière, découlant de la voûte céleste jusqu'aux fines pétales alentours, j'appréciais l'éclat des pépites solaires, éparpillées à même mon regard. Ces vestiges de lumière me fascinaient assez pour que j'en suive la trace jusqu'à les voir s'évanouir dans un voussoir obsidienne, ombre d'une droite silhouette qui ne me berçait pas d'indifférence.

Et fièrement, il se dressait devant moi,
Fidèle à ce qu'il restait de familier en lui.

Kagerou. Cette aura de tranquillité, frontière de nécessité, semblait effleurer le désir d'apaiser les tensions, et pourtant mes prunelles colorées par les eaux renfermaient les menaces endémiques d'une rage aussi soudaine que je la savais naturelle.

Si redoutées que furent mes impulsions colériques, elles n'égalaient sans doute pas l'impétuosité de son sang—mais cette seule possibilité détruisait les éclats restants de mon amour propre. Qu'il semblait cruel de vivre de sérénité quand les démons survivants d'un irréfragable passé s’insurgeaient en moi, ébranlant les fondations de mon être.

En cette simple hypothèse se noyait les espoirs de moindre sérénité, alors que Kagerou ravivait en moi quelques unes de mes antiques angoisses.

Respiration hachée de silences apeurés (esprit bousculés d'un passé réanimé)
Ma main se porte à ma poitrine (mon regard se porte à hauteur de tes cils)

Kagerou, un souffle s'articule, faiblement audible—et il prend les formes de ce murmure ambiant que l'on pense avoir rêvé. Nos cœurs autrefois unis semblent désormais embrumés de cette incompréhension grandissante face à laquelle je n'omets pas de résistance ; il ne reste de ces braillants souvenirs qu'une vague nostalgie que la fierté étouffe, forçant nos visages dans leur navrante impassibilité.

Il y avait quelques temps que nous n'avions plus pris le temps de discuter.

La machine semble lancée, engrenage démoniaque d'une sensibilité dont j'avais toujours cherché à me soustraire. Marqué par le battement graduel d'un cœur en captivité à cette culpabilité, mes mots semblent se perdre, cette habituelle aisance de paroles, souvent empruntée à mes lectures éparses—et il me faut quelques instants pour reprendre contenance.

Nous pourrions nous réunir autour d'une tasse de thé, si le cœur t'en dit.

Ma voix est limpide, se refusant à trahir la moindre once de ces émotions virevoltantes. Face à lui, mon impassibilité trace le chemin de ma salvation.

En réponse à cette délurée demande, sa voix s'impose comme une désillusion, le rappel jupitérien de cette insondable distance qui nous sépare maintenant. Troublé, mon équilibre se laisserait presque bafouer par l'abrupte froideur imposée à sa tonalité—et aussitôt, mes pieds s'ancrent davantage dans un sol que d'anxiété, ma perception alterne.

L'incontestable rudesse d'un sol si travaillé se laisse diluer dans l'illusion d'un sable mouvant, allégorie d'une angoisse permanente ; il me faut un instant de silence, à la mesure d'une pareille réponse, tandis que mes yeux fuient vers des alentours amplement trop silencieuses. Le monde s'affaisse et la politesse assurée se laisse submerger par les serviles désirs d'une sympathie solennelle.

Je n'ose, ni ne me permets—et ce silence ascète me garde d'étouffer l'espoir de notre réunion.

Les yeux détournés, égarés vers le voûte infini qui régit la lumière—une rêverie silencieuse, comme fer de lance d'une évidente lâcheté.
La tension s'impose, appuie sa légitimité sur le socle de cette indéfectible culpabilité.
Son regard baigné d'acrimonie, sa voix comme le contact d'un sérac exempte des moindres civilités—et la dureté d'une telle réponse me renvoie à mes plus antiques vices. Ma fierté, abaissée par l'espoir, se heurte à la virulente méfiance d'un esprit trahi par la distance onctueusement installée.

N'avions-nous pas l'air de deux étrangers, pitoyables rastaquouères dont la seule richesse s'en tenait à cet absurde égocentrisme ? Ne semblions-nous pas stupides, comme dramaturges d'une pittoresque tragédie dénuée d'alibi ?

Résolu, ma sérénité se mélange à la certitude d'une pénitence méritée, la rage familière que je me prêchais tant de pouvoir contenir—hybris d'un garçon à qui la sagesse a fait perdre raison. Pour autant, le terme d'un si vif supplice ne semble pas s'indiquer, et le silence s'interrompt d'un nouvel écart : adouci par l'agréable quiétude de la flore ambiante, à n'en pas douter, Kagerou s'exprime à nouveau.

Persuadé de l'intervention de la florissante imagination de ma psyché délirante, mes iris battent la mesure de cet instant de surprise avant de se résoudre à son évident effort. Une accalmie soudaine, soulignée d'une interrogation légitime—écrasant ma poitrine de cette douloureuse mélancolie. Pourquoi attendre ? Simplicité de pensée, délirant espoir de désirs entrelacés. La réponse se forme, délicieusement relâchée entre ces lèvres mi-closes.
Le juvénile visage d'une feinte patience semble se troubler quand les mémoires affluent,
L'anxiété ravivée par cette mélancolie forcée
Ma respiration s'arrête, funambule sur le fil de l'instabilité.

Je ne sais pas, bien piètre aveu, je l'admets.

Et sobrement exprimés, derrière le confort d'une ignorance qui me sert de bouclier, les regrets s'écrasent sur les pores d'une langue asséchée. L'amertume s'impose comme monopole du moindre goût, sens troublés par un questionnement inopiné—les secondes ne se comptent qu'en dizaine depuis cette rencontre, mais nous y voilà déjà,
La vérité réclamée.
Sans plus de ces banalités dansant sur la frontière de l'hypocrisie,
Politesse balayée par un doute qui n'a que trop duré.

Je regrette notre amitié—ne vois là qu'une piètre tentative de repentir.

De rattraper l'impossible, ce que le temps a d'or et déjà dilué en
Amertume et colère, comme une trahison assumée
Au terme d'un silence si lointain qu'il en devient funèbre
Que reste-t-il d'une amitié si faible que la fierté a suffi à la briser ?

Si l'intention t'a vexé, j'en suis désolé.

L'heure n'est plus aux caprices, à l'interminable rancœur que nos désirs obtus nous forcent à adopter. L'heure n'est plus à rien, car le temps s'est arrêté il y a longtemps déjà—lorsque nos sourires sincères furent étouffés par le besoin nébuleux de couper court à cette idyllique amitié.

Je suis désolé... qu'on en soit arrivé là.