Elle avait eu un sourire, Amélie. Personne ne l'avait aperçu car elle savait se faire discrète -il y a des choses qui ne se montraient pas, qu'elle ne souhaitait pas partager et ce sourire, si naturel qu'elle en avait eu la respiration coupée l'espace d'un instant, elle avait souhaité le cacher; mais il était bel et bien apparu. Une esquisse singulière, un mélange de satisfaction presque de douceur avec une touche indescriptible, plus sombre. Grisant.

Alors, lorsque les cours furent terminés elle prit le temps d'aller se changer. Une tenue classique, et ses cheveux qu'elle avait attachés en un joli chignon tressé -elle ne le faisait pas souvent, seulement au plus clair des journées lorsqu'il fallait s'entraîner en dehors du club avec d'autres personnes, d'autres univers. Avec toi, Diane. Une façon pour elle de trier son esprit, une routine qui ne lui déplaisait pas. Tranquille et détendue elle était arrivée, une bouteille d'eau à la main et l'autre qui t'adressa un signe léger. Un sourire à peine, un signe de tête pour te saluer -c'est qu'elle ne savait pas trop encore comment dire bonjour autrement, selon les gens- avant qu'elle ne pose son bien au bord de la piste où il ne pourrait être renversée pour débuter à son tour quelques étirements.

« Diane ne t'inquiète pas pour tout ça, je te l'ai dis non ? elle l'avait dit, oui. Je serai là pour toi. »
Aussi longtemps qu'elle le voudra.

Amicale Amélie, rassurante au rire léger qui fend l'air après ta remarque. Malgré tout ce qu'elle peut penser et la façon dont elle te considère, elle t'apprécie un peu. Alors pour l'instant elle continuera à s'assurer que tu sois bien en sécurité à ses côtés.

« Se dépenser n'est jamais une corvée, au contraire. »

La lueur dans le regard n'y est pas mais les mots sont sincères, presque doux. Le sport a toujours prit une grande place dans sa vie après tout, tu n'as pas tort de le remarquer.

Elle baisse son buste doucement, les bras tendus dans le vide afin aller toucher ses pieds, rien de plus simple étant donné sa souplesse.

« Ne voudrais-tu pas essayer ? »
De le faire plus souvent.
Avec d'autres, avec elle.

Toujours baissée, elle lève néanmoins la tête aussi haut qu'elle peut pour tenter de capter ton regard mais la rebaisse bien vite face à l'échec cuisant. Apparemment, même ici on ne peut pas tout faire en même temps.

Pas vraiment, ça me gêne.
Elle n'avait rien ajouté, même si il lui était incapable pour l'instant de comprendre la contradiction qui la poussait à faire cet effort malgré la gêne, elle avait jugé approprié de ne se taire pour te laisser continuer. Amélie restait perplexe cependant, mais tout ça était probablement du au fait qu'elle ne connaissait pas ces sensation. La gêne, la honte. Était-ce si effrayant que ça ?

« Tu ne devrais pas te sentir coupable pour ça, souffla-t-elle sans pouvoir en expliquer les raisons. »

Pour Amélie rien était plus simple que de prendre lorsqu'elle le désirait, une habitude vieille de l'enfance où malgré les barrières sociales et l'éducation de la haute on lui avait transmit une liberté qu'elle ne souhaitait pas voir abrogée. Alors, forcément, la culpabilité n'avait jamais vraiment eu de place dans sa vie -et ce qu'elle trouvait fascinant chez toi, Diane, c'était cette faculté que tu avais d'être à la fois si attirante et si peu sûre de toi. Tu hésitais à chaque seconde de ta vie, et Amélie parfois avait l'impression même que tu regrettais ces chaque secondes que l'on t'offrait.

Elle n'avait pas de réponse aux pourquoi mais cela n'importait pas.

Et déjà tu t'échappes, enchaîne d'autres mélodies en débutant sur la piste. Amélie te suit tranquillement, te rejoint rapidement pour rester à ton niveau. Aujourd'hui ce sera à ton rythme, autant dans les pas que dans les aveux. L'ombre d'une esquisse qui s'étire, elle se veut douce et prévenante tout comme les mots qui franchissent ses lèvres juste après.

« Ne te force pas à rejoindre ce club si tu n'es pas à l'aise, il ne faut jamais se forcer à faire ce que l'on ne veut pas faire si c'est pour ne pas y arriver. Cependant je serai ravie de t'accueillir si l'envie te prends. Ou de t'aider à t'entraîner peut-être ? N'hésite pas à faire appel à moi. »

D'ailleurs pendant que vous discutez elle remarque quelques erreurs de mouvement, rien de bien grave mais c'est assez pour la faire accélérer un peu. À peine plus loin devant toi elle se retourne pour te regarder, court à reculons avec une aisance surprenante à l'égard de ceux qui n'en avaient pas l'habitude.

« Colle un peu plus les coudes contre ton corps, mais ne sers pas trop non plus. Tu pourras tenir plus longtemps, te confie-t-elle comme un secret. »

En légende de ses explications elle te fait signe avec son corps pour t'aider à te positionner plus correctement, et une fois ceci fait elle reprend sa place en marche avant, près de toi.

« Dans quel club t'es-tu inscrite ? »

Simple curiosité,
Habituée à changer bien trop souvent de sujet.

Au club de baseball ?
Surprise elle hausse les sourcils un instant, les abaisse bien vite lorsque tu approfondies tes propos. Étrangement Amélie se dit que c'est un poste qui te convient bien car quoique l'on puisse dire de toi -et quoique tu puisses en penser, tu as des qualités indéniables qu'elle a pu remarquer assez vite. En faire profiter le plus grand nombre n'était pas une si mauvaise chose. La pensée lui arrache d'ailleurs un très léger sourire, qui s'efface doucement après tes derniers mots.

« Je ne comprends pas vraiment ce que cela veut dire, être gentil. »

Elle en connaît simplement la définition du dictionnaire et la signification que lui apportent ses recherches, seulement quelque chose l'avait toujours gênée dans tout ça sans qu'elle ne puisse apposer un nom dessus. Peut-être était-ce le fait qu'elle soit capable de lire au travers d'énormément de personnes et que la plupart de ces personnes ne répondaient finalement pas à cette définition connue de ce qu'est la gentillesse.

Peut-être était-ce que, comme elle-même ne semble pas l'être, elle est destinée à ne jamais en comprendre le sens -et la chute sonne comme un glas à ses oreilles qu'elle ne veut pas entendre alors elle secoue la tête, un peu comme toi plus tôt.

« Comment sont-ils exactement ? »
Quand ils sont gentils ?

Sont-ils comme toi, Diane ?

Il y a souvent eu cet espèce de questionnement dans les iris d'Amélie, car de la vie elle ne comprenait pas tout, des désirs humains, des perceptions et des sentiments elle n'y comprend toujours presque rien. C'est étrange pourtant, car après plus de dix années de recherches et d'expériences, la voilà toujours au même carrefour avec l'envie d'avancer et la sensation adorablement agaçante de ne pas y parvenir. À chaque nouvelle certitude qu'elle se fait une autre bouscule et tout s'effondre, alors les notes deviennent caduques mais les informations ne s'effacent jamais. Dans sa tête, à mesure qu'elle ralentit le rythme afin de t'offrir toute son attention, c'est la débandade, une organisation au millimètre près de toutes ces données qu'elle se doit de reclasser.

Amélie analyse la matière, pourtant parfois elle préférerait analyser les sentiments en se disant qu'un tel alice pourrait la faire accéder à un panel de science bien plus grand encore que ce dont l'Humanité avait connaissance. Et puis d'autres fois elle se dit que ça n'est pas plus mal comme situation, qu'au moins elle ne sera pas déçue de la monotonie du Monde si celle-ci s'avérait être plus réelle qu'elle ne voudrait le croire. C'est un dilemme permanent auquel elle a arrêté de prêter attention, depuis le temps.

« Hm..., elle semble réfléchir tandis que tu mentionnes Ulysse. Cela veut dire que la gentillesse est un concept abstrait et... Qu'il est calculé ? »

Il faudrait qu'elle prenne le temps de se poser pour analyser ces nouvelles informations, mais plus tard. Pour l'heure elle se contentera de courir à tes côtés et de t'écouter, véritablement curieuse. Pourtant lorsque tu la mentionnes son visage s'interroge réellement, et au-dessus de sa tête c'est un point d'interrogation invisible qui s'invite au moment ou le pouce de sa main gauche vient se poser contre ses lèvres.

« Le suis-je vraiment ? ...Je ne fais toujours que ce dont j'ai envie après tout. Je ne crois pas faire ça par gentillesse. »

Comment le pourrait-elle alors qu'elle n'en saisit même pas le sens profond ?

« Je suis ici car j'en ai pris la décision après notre conversation... Quelles sont les qualités requises pour être ainsi, d'après toi ? »

Voilà un problème bien épineux.

« Nous devrions ralentir, pour ton asthme. »

« ... Tu crois ? »

Amélie y réfléchit sérieusement, elle se demande ce qu'elle pourrait bien ressentir si tu tombais maintenant à cause de ton asthme -à cause d'elle qui l'aurait probablement provoqué dans le seul intérêt d'apprendre ? Mais aucune réponse ne lui vient alors elle ne mettra pas en doute ton affirmation, ne réalise pas que sa seule envie de ne pas te faire chuter pourrait bel et bien être la réponse à cette question qu'elle pose innocemment.

Être gentil ne veut pas dire qu'on se sacrifie, et elle détourne les yeux pour fixer le parterre qui défile à mesure de vos foulées. Il n'y a pas de sacrifice et pas de calculs à faire, ou peut-être parfois mais de ce que tu lui racontes, de ce qu'elle parvient à comprendre même difficilement c'est que ça a l'air beau, la gentillesse.

Seulement plus tu lui en parles et plus elle comprend que ça n'est pas pour elle, tout ça. Vouloir du bien aux autres ? Chez Amélie ça dépend des jours, tout dépend des heures et des instants cruciaux que peut offrir la vie. Amélie par exemple, ne désirait que le chaos en janvier -de quoi la divertir et fournir à sa science plus d'expériences qu'elle n'en aurait eu en dix ans ici. Pourtant en contre exemple viennent se dresser les traits délicats de Liu et les précieux souvenirs de leurs pas dans la salle aux milles reflets.

Un sourire à ses lèvres, plus sincère que jamais.

« C'est vraiment difficile, la gentillesse. »

Difficile à comprendre, difficile à exprimer, difficile à ressentir. Elle est complètement perdue Amélie, tout ça lui donne envie d'aller encore plus loin.

« Et toi, Diane, le regard qui se tourne à nouveau vers ton visage. Crois-tu être gentille ? »

C'est important pour elle de le savoir, de savoir si sa perception de toi n'est pas erronée.

« Moi je pense que tu l'es. »
Bien plus que je ne saurais l'être, en tout cas.