Les jours qui avaient suivi le soir de Noël s’étaient déroulés dans une torpeur étrange qui, avec le recul des derniers jours, avaient des airs de calme avant la tempête. La tempête leur étant tous tombé dessus la nuit du 15 Janvier.
Robin avait toujours l’évènement en travers de la gorge, et ses conséquences aussi –notamment parce qu’il s’en sentait responsable, en partie. Il avait eu des échos concernant l’enfant alice russe que les deux armées s’étaient disputé, et l’histoire ressemblait trop à celle qu’on leur avait servi avant de leur ordonner d’attaquer le croiseur, l’autre fois, avec sa classe. Ça le rendait malade, et les décisions injustes quant aux récompenses et aux punitions distribuées arbitrairement aux élèves qui n’avaient pas été réunis dans l’hôpital ne faisaient que nourrir sa rage un peu plus.
Surtout quand ses proches faisaient partie de ceux qui n’avaient pas eu de chance.

Alors plus que jamais, Robin avait besoin de ces rendez-vous improvisés qui s’étaient instaurés entre lui et Gabrielle, de manière un peu flou –à l’image de ce qu’il se passait entre eux, alors que rien n’était officiel mais que les cœurs battaient quand même. Savoir qu’il la retrouvait dès la fin des cours lui donnait un peu plus de courage pour endurer les journées où l’hypocrisie de façade des adultes et des élèves qui leur mangeaient aveuglément dans la main le pesait trop. Savoir qu’il pouvait aussi être là pour l’aider à se remettre de l’injustice qu’on lui avait fait subir le faisait se sentir utile, aussi.
Mais la veille, il n’avait pas trouvé Gabrielle là où ils devaient se retrouver.
Il l’avait attendue, longtemps, et lui avait envoyé quelques messages un peu inquiets auxquels elle n’avait pas répondu, avant de baisser les bras et retourner dans sa chambre avant que le soleil ne tombe tout à fait pour éviter les remontrances –en ce moment, moins il voyait les figures d’autorité, mieux il se portait.

C’était donc avec le cœur un peu plus lourd qu’hier, que Robin s’était aujourd’hui rendu en cours pour y suivre des leçons sur lesquelles il n’arrivait pas à se concentrer et rester assis sur une chaise pendant trop longtemps. Dernièrement, tout ce qui n’impliquait pas de retrouver sa belle ou ses amis l’ennuyait plus encore qu’avant car les relents nauséabonds qui empestaient l’air de l’Académie l’empêchaient de faire le point sur quoique ce soit.
La dernière sonnerie de la journée retenti, et l’adolescent prit son temps pour ramasser ses affaires et quitter les lieux, un peu abattu par toutes les tourmentes qui lui agitaient le cerveau.
Et sur le pas de la porte, le cœur rate un battement quand les lèvres désirées lui effleurent la joue.
Il répondit à la bise de Gabrielle, mais les pensées qui n'avaient encore de cesse de le tarauder rendirent le geste plus distant et machinal qu'il ne l'aurait souhaité.

« Coucou! T'es sorti tard, la plupart des élèves sont déjà passés.
— Ah euh…ouais déso’ !
— Désolée pour hier, je me sentais pas super bien.
— Ah, d’accord… »

Robin se trouvait un peu bête à ne pas savoir quoi répondre sur le moment, car tout ce qui lui venait à l’esprit avait des airs de reproches –t’aurais pu me prévenir, et autres jérémiades– et il ne voulait surtout pas avoir l’air d’être en colère contre elle ; car peut-être que depuis quelques temps, il s’était maladroitement mis en tête de ne plus jamais laisser peser ses émotions sur elles.
Gabrielle brisa le silence lourd au-dessus d’eux d’un rire qui sonnait un peu faux, mais l’air ne lui semblait pas plus respirable même une fois la chape de plomb fissurée, comme si c’était tout l’oxygène de l’école qu’on avait vicié.

« J'espère que je t'ai pas trop inquiété.
— Un peu quand même haha, fit-il en se passant une main derrière la tête dans un geste un peu nerveux, presque désolé, je t’ai envoyé des messages mais tu m’as pas répondu, t’as fait la sieste toute la fin d’aprem’ ? »

Il sentait dans ses tripes que quelque chose n’allait pas, et que ça ne devait pas avoir grand-chose à voir avec des maux de ventres ou une migraine, et s’il mettait un point d’honneur à lui laisser l’ouverture nécessaire pour en parler d’elle-même, il n’empêche que Robin se sentait étrangement nerveux –et pas dans le bon sens du terme.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? Ça va mieux ? »

Son cœur s’était serré dans sa poitrine quand le nom d’Ace franchit les lèvres de Gabrielle, et peut-être bien que ça s’était peint sur son visage, l’espace d’un instant –cet élan de douleur difficile à expliquer et qui laissait des creux béants dans l’estomac et des pâleurs blêmes sur le visage, rien qu’une seconde, le temps d’encaisser les mots et de se reprendre. Mais Robin n’avait rien dit, l’avait laissé parler tout son saoul, et sa figure s’était adoucie alors que la jeune fille lui ouvrait les vérités de son cœur comme s’était arrivé quelques fois auparavant.
Devant la fontaine et puis
le soir du bal.
Il chérissait trop cette honnêteté fébrile pour laisser les bribes volatiles de colère en lui l’effacer, alors comme toujours lorsque ses émotions s’emballaient, l’adolescent refoula tout dans un coin de lui-même, ferma la porte à double tour, et jeta la clé ; Robin ne s’autorisait pas à ressentir autre chose que de l’amour aux côtés de Gabrielle, parce qu’il craignait trop de la blesser dans ses emportements incontrôlés.
Quand elle eu finit de parler, Robin marqua une pause un instant, et leva une main vers sa propre joue pour saisir les doigts fins qui étaient venus s’y échouer.

« Je préfère quand tu me parles que quand tu ne dis rien, fit-il d’un ton mesuré. »

Même si c’était un peu dur à entendre, Robin préférait se sentir utile plutôt qu’un fardeau à qui on épargne la vérité à grand recours de silences ou de mensonges habiles.
Tendrement, il déposa un baiser fugace au dos de la main de Gabrielle, puis sans la lâcher, il l’attira à sa suite pour remonter le couloir.

« Viens, c’est pas ouf le couloir pour parler tranquille ! »

Il ne savait pas trop où aller, songeait juste à quitter le corridor impersonnel où d’autres élèves allaient et venaient encore, alors son pas était modéré et idéal pour continuer à parler tout en marchant.

« Moi ça fait des années que je suis en colère contre l’école alors je sais ce que ça te fait, fit-il d’un ton plus bas pour qu’elle seule puisse l’entendre. »

Malgré que leurs situations soient différentes –elle avait le privilège d’avoir évité la classe dangereuse et les inconvénients qui allaient avec– Robin avait longtemps gardé en son cœur l’espoir que l’Académie soit malgré tout ce qu’elle lui infligeait, un endroit où le bien-être des élèves primait sur tout le reste, car c’était plus simple de s’accrocher à un espoir fou que d’affronter la terrible réalité.
Du moins, c’était ce qu’il avait longtemps pensé.
Aujourd’hui, Robin trouvait l’espoir plus lourd que la résignation, alors pour ce qui concernait ce lieu maudit, il l’avait abandonné.

« C’est pas débile, d’être en colère pour ça. »

Sa main se resserra légèrement autour des doigts de Gabrielle.
C’était peut-être bien la première fois qu’il ne diminuait pas l’importance de ses convictions d’un revers d’auto-dépréciation, en disant qu’il était trop bête pour comprendre vraiment les choses. Sa colère, il la savait aussi tangible que l’amour qu’il éprouvait pour Gabrielle, et c’était pourquoi il la savait légitime et véritable.

« Tu veux qu’on se pose quelque part en particulier ? Si tu veux on peut aller dans ma ch— »

Il avait pensé à sa chambre car c’était le plus pratique, mais réalisa la portée de cette proposition et l’image de lui que ça pouvait donner alors il s’interrompit en pinçant les lèvres, de légères rougeurs habillant ses pommettes.

Et pour la réponse à sa question, il attendait d'être seul avec elle.

« Dans ta chambre, c'est ça ?
— Non mais je voulais dire euh–
— Ça rentre dans les éléments de réponse qu'on doit se donner, je crois.
— Hein ? »

Il n’était pas certain d’avoir compris.
C’était donc un Robin rouge comme une tomate et au visage perplexe qui s’était cette fois presque laissé entraîner à la suite de Gabrielle sur le chemin qui menait jusqu’à la porte de sa chambre, au premier étage ; le reste du trajet s’était déroulé dans un silence pesant qui n’avait pas aidé l’adolescent à calmer ses nerfs. Comme à son habitude, son cerveau et son imagination débordante lui induisaient dans la tête mille et uns scénarios quant à la suite, et s’en suivit de sacrés conflits d’intérêts interne entre les différentes part de lui. Il ne revint sur Terre que lorsque Gabrielle brisa le silence qui s’était installé, et qu’elle lui lâcha la main.

« Tu sais, c'est pas parce qu'on va dans ta chambre qu'on est obligés de... faire autre chose que parler.
— Je pensais pas à… il s’empressa d’abord de préciser, plus par crainte de passer pour un obsédé qu’autre chose, mais il s’interrompit de nouveau quand elle reprit la parole.
— Mais si jamais…, elle avait levé les yeux vers lui pour les vriller dans les siens, et Robin avait d’un coup très chaud et le cœur qui battait à cent à l’heure, c'est toi qui choisis.
— O…Ok. »

Il déglutis difficilement, et ne précisa pas plus que ça sa réponse car il ne savait toujours pas où il en était ; c’était un peu beaucoup d’un coup et il ne s’y était pas préparé –Robin n’était pas toujours très doué pour improviser.
Il leva le bras, clé en main, pour déverrouiller la porte de sa chambre, mais l’image du désordre qu’il avait laissé derrière lui en se rendant en cours ce matin lui revint en tête au bon moment.

« AH ! Attends deux minutes !! Il s’écria en se retournant vers l’adolescente, lui faisant signe de ne pas bouger. J’ai rien rangé ! »

Et comme une fusée, il s’élança dans la pièce et ferma la porte dans son dos pour faire disparaître le bazar de la manière la plus efficace possible –sous son lit gisaient bientôt chaussettes sales, tee-shirts froissés et emballages de gâteaux qui n’avaient jamais atteint la poubelle, tandis que les draps était pour une fois correctement étendus sur le matelas au lieu d’être roulés en boule dans un coin.
Ironiquement, ce bref moment seul lui permit de faire redescendre un peu la tension qui s’agitait en lui depuis quelques minutes, et ce fut avec un sourire aussi amusé qu’embarrassé qu’il ouvrit la porte à Gabrielle.

« C’est bon tu peux rentrer ! »

Il s’écarta pour la laisser s’installer.

« Pose-toi où tu veux, fais comme chez toi. »

C’était parti d’une bonne intention mais il se mordit l’intérieur de la joue en réalisant qu’il venait peut-être de remuer le couteau dans la plaie qu’était la perte de sa deuxième étoile.

« Du coup euh… ahem. »

Robin était hésitant, ne sachant pas vraiment quel sujet il valait mieux aborder en premier.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé avec Ace, exactement ? »

Gabrielle s’était installée au bord du lit, alors naturellement, Robin avait tiré la chaise de son bureau et comme à son habitude, s’y était assis à l’envers, les coudes croisés sur le dossier, pour pouvoir la regarder en face quand elle lui parlait.
Peut-être qu’aussi c’était une façon subtile de fuir une proximité nouvelle qui l’intimidait.

Il écouta sa réponse le cœur battant à tout rompre, appréhensif de ce qu’elle pouvait lui annoncer –pas qu’il n’avait pas confiance en elle, mais plutôt que puisque rien n’avait été défini, entre eux, il était compliqué de poser des limites et dire si elle avaient été dépassées. Gabrielle faisait durer le suspense à l’aide de questions rhétoriques auxquelles il répondit par l’affirmative d’un hochement de tête, et Robin se sentait fébrile.
Rien du tout.
C’était plus fort que lui ; ça le renvoyait à des insécurités si bien enfouies qu’il avait beau creuser, s’acharner pour tenter de les déraciner de là, leurs pieds étaient trop ancrés dans sa chair pour qu’il puisse y faire quoique ce soit.

« Oh, et il m'a dit qu'il m'aimait aussi. »

Robin cilla, surpris ; un ricanement amer, léger comme un souffle lui échappa, accompagné d’une remarque à peine soupirée qu’il ferait peut-être mieux de garder pour lui.

« C’est pas trop tôt. »

Il s’était toujours senti menacé par l’ombre d’Ace pour ce qui concernait Gabrielle ; peut-être même depuis le premier jour où il lui avait demandé son numéro de téléphone, et que la méfiance qu’il avait ce jour là mis un peu au hasard sur le compte de son complexe d’infériorité avait eu des bases valides et encore inconscientes. Mais l’un des rares avantages que Robin avait eu jusqu’ici, c’était qu’il n’était pas avare d’amour, qu’il le donnait presque un peu trop aisément contrairement à Ace qui semblait souvent n’aimer personne à par lui-même –et encore.
Alors quand Gabrielle précisa que rien de physique ne s’était passé, ça ne changea rien au tumulte qui s’agitait dans sa poitrine.
Une expression étrange se peignit sur son visage ; un peu lasse, un peu piquée, un peu perdue, un peu tiraillée –Robin était fatigué de se sentir si petit quand paradoxalement, son cœur semblait si grand et si lourd qu’il l’étouffait.

« Je sais pas ce qu’on est Gab’, il avoua après un instant de silence. C’est la première fois pour moi, je sais pas… Je sais pas exactement comment ça marche. »

Je crois qu’on est censé se dire qu’on s’aime avant de mettre de vrais mots dessus
et toi tu ne me l’as pas encore dit.

« Tu m’as demandé d’attendre alors j’ai attendu. Et j’attendrais encore si tu me le redemandes. »

Ses yeux avaient pris des douceurs mélancoliques qui disaient « tu sais très bien pourquoi ».

« Mais j’ai besoin que tu me dises ce que tu attends de moi. »

Parce que je ne suis pas Ace, ma douce. Quand les choses ne sont pas claires et délimitées mes angoisses en roue libre s’infiltrent par tous les interstices pour me ramener à cette idée qui me hante depuis toujours ; Robin indésiré, Robin dispensable, impossible qu’on le hisse au rang du premier choix.
Quand les choses sont claires, il n’y a plus de doute dans lequel se réfugier pour fuir.

« Je peux pas deviner si tu me dis pas. »

Et si tu ne me dis pas
je ne peux pas gagner.

Malgré tous les sous-entendus volontaires et accidentels qui avaient été fait plus tôt
Robin n’avait rien vu venir.
Ça avait été presque trop soudain, cette façon dont Gabrielle n’avait eu pour toute réponse que de se hisser à sa hauteur et fondre sur ses lèvres avec une passion –une fureur presque– à laquelle il n’était pas préparé. Il lui fallut un instant, peut-être deux, pour réaliser ce qui était en train de se passer et dans ses émois d’adolescent transi, il s’était laissé emporté par la première vague de désir qui s’était emparée de lui.
Les paupières closes, et les gestes fébriles, il répondait du mieux qu’il le pouvait aux caresses de la jeune fille. Une chaleur intense irradiait dans sa poitrine, et dans le creux de ses reins, son cœur battait la chamade et l’air lui manquait presque –mais qui pouvait bien avoir besoin d’oxygène quand on avait Gabrielle O’Brien au bout des doigts et des lèvres ?
Cette scène, il en avait rêvé maintes fois –qu’il fusse endormi ou non.
Et pourtant malgré les frissons, la chaleur, les caresses éparses qu’il avait tant fantasmé auparavant,
quelque chose n’allait pas.
Comme une dissonance, une fausse note dans la partition censée être parfaite ; elle l’avait attiré sur le lit et commençait déjà à faire tomber leurs vêtements tandis que Robin lui, cherchait son regard sans jamais réussir à le croiser.
Fais-moi oublier, lui avait-elle demandé.
Mais oublier quoi ?

Dans un élan égoïste, Robin refusa d’abord d’entendre ces bourdonnements désagréables en arrière plan ; il préférait faire la sourde oreille et déposer une myriade de baisers dans le cou de sa belle, et –il n’en revenait pas trop lui-même d’oser autant– jusqu’à la naissance de sa poitrine.
Mais Robin n’était pas de ceux qui savaient bien se mentir, et plus il s’entêtait, plus la tension poisseuse qui l’accablait devenait lourde, et l’air tout bonnement
irrespirable.
Ses gestes ralentirent, et un soupir résigné vint s’échouer dans le cou de Gabrielle.
Pardon, mais tout ça –je n’y arriverai pas.

Alors il se redressa, suffisamment pour pouvoir la surplomber –s’écarter de sa peau– et regarder son visage, et il luisait dans ses yeux une mélancolie terrible mêlée au désir encore brûlant.
Un sourire sans joie se dessina sur ses lèvres.

« Pourquoi on fait ça, Gabrielle ? »

Pourquoi on s’entête à fermer les yeux alors qu’on a déjà vu la vérité ?

« Désolé… il s’éloigna un peu plus, s’assit à ses côté pour retrouver son souffle. »

Désolé de ne pas pouvoir répondre à ton souhait ; mais tu ne me regardes pas. Tu ne me regardes pas et j’ai beau être stupide, je sais ce que ça veut dire.
Il se pinça les lèvres, incertain de ses prochains mots, mais s’était promis d’être toujours vrai avec elle.

« J’ai l’impression qu’on fait pas ça pour les bonnes raisons… »

Il y avait, dans la réaction initiale de Gabrielle, une absence terrible qui balaya aussitôt les braises encore allumées au creux des reins de Robin. Un frisson glacé lui remonta l’échine comme s’il venait de subir la pire douche froide de sa vie et son cœur sembla lui tomber dans l’estomac, lourd comme du plomb, alors qu’il l’observait sans un bruit –sans un souffle presque– se redresser et s’effriter sous ses yeux tout à la fois.
Merde, merde, merde, merde—
qu’est-ce que j’ai encore fait ?

Il attendait comme un idiot qu’elle réagisse, qu’elle s’anime, tout en repassant le film des dernières secondes dans sa tête –avait-il vraiment fait une erreur en disant cela ? était-ce si important pour elle que de sauter ce pas là avec lui ? aurait-il dû passer outre ses doutes et continuer ? Peu importe comment son esprit affolé tournait et retournait ces questions, Robin se sentait coincé, comme si aucun choix possible n’aurait été le bon car il n’y avait devant eux aucun chemin qui évitait les larmes.
Et pourtant, quand celles de Gabrielle roulèrent enfin le long de ses joues, et qu’elle éclata en sanglots devant lui, il avait l’impression d’avoir crevé l’abcès–
dans la petite bulle de sa chambre, l’air semblait enfin circuler.

« Gab’, fit-il dans un souffle incertain. »

Il l’observa un instant, encore interdit et puis il secoua la tête comme pour se reprendre. Doucement, il se pencha vers elle pour glisser une mèche de ses cheveux derrière son oreille dans ce geste tendre qu’il avait pris l’habitude d’avoir avec elle. Maladroitement, il s’agita pour dégager le drap de sous son poids et le passa ensuite autour des épaules de la jeune fille ; puis timidement, il vint l’enlacer de ses bras pour la ramener contre lui et lui offrir une épaule –les deux même, et tout ce qui se trouvait entre elles– pour pleurer, à défaut de savoir trouver les mots.
C’est fini, il songea un moment en fermant les yeux ; il le savait sans avoir besoin de le dire mais la peine dans les larmes de Gabrielle lui semblait infiniment plus douloureuse que celle que lui évoquait la fin de leur presque idylle sans nom.

« Hé, c’est pas grave, d’accord ? fit-il aussi calmement qu’il le pouvait tout en la berçant légèrement. C’est pas grave si on n’y arrive pas. »

Le sexe, l’amour, ou quelque chose de plus viscéral encore qu’il n’osait pas songer à deviner ; il ne savait pas vraiment de quoi il parlait, peut-être d’un peu tout à la fois, mais pensait chaque mot prononcé.

« Je t’ai dit que je préférais que tu me parles plutôt que tu ne me dises rien, mais on n’est pas obligé de parler maintenant si tu préfères. »

Robin préférait encore le silence aux mensonges ; et les larmes elles, aussi muettes soient-elle, ne mentaient pas.

Robin n’aurait pas su estimer combien de temps ils avaient passés comme ça ; Gabrielle en larmes dans ses bras, à pleurer comme il n’avait encore jamais vu personne pleurer jusque là, et lui la berçant doucement, glissant parfois un baiser fugace sur sa tempe ou le haut de son crâne. Le temps dans la chambre semblait s’égrener à son propre rythme, et chaque inspiration semblait durer de longues, longues minutes.
Dans un silence religieux, le regard vague et l’esprit calme, Robin attendait l’accalmie.

Quand Gabrielle brisa enfin le silence de plomb qui leur était tombé dessus, Robin cilla mais ne baissa pas les yeux. Il senti son cœur se serrer à sa voix éraillée par les sanglots, et puis aussi à ses mots. Il l’avait écoutée, toujours sans rien dire, et sans sourire non plus car celui-ci s’était fané au moment où il avait compris que c’était terminé.
Il laissa s’écouler quelques instants –même pas pour trouver ses mots mais simplement pour s’extirper du vide léthargique dans lequel son esprit s’était terré.

« Tu parles comme si tu m’avais fait du mal, Gab’. »

Là, il s’autorisa à poser le regard sur elle.

« Je regrette rien tu sais ? Au moins on a essayé. »

Il avait sincèrement aimé chaque instant passé à ses côtés, chaque regards complices, chaque mains tendues, chaque étreintes et chaque baisers ; la douleur de ne pas être le véritable élu de son cœur lui semblait bien moindre en comparaison du bonheur qu’elle lui avait déjà apporté –à vrai dire, il la sentait à peine, cette douleur, comme si son cœur était encore à moitié anesthésié.
L’orage pour lui, viendrait plus tard ; quand il se retrouvera seul avec ses souvenirs et son chagrin ; mais pas tout de suite.
Il inspira pour rajouter quelque chose mais l’air resta bloqué dans sa gorge, comme s’il avait subitement changé d’avis. Robin aurait voulu lui demander pardon, pardon d’avoir rendu ses choix plus difficiles à faire, pardon d’avoir été la cause de certains de ces tourments, mais les mots lui semblaient inadéquats, et surtout inappropriés, car au fond de son cœur il n’en n’était pas vraiment désolé.
Robin était un peu fatigué de toujours se blâmer pour ses élans d’égoïsme ; et le mot qui lui vint à l’esprit était encore plus simple à dire que les premiers.

« Alors merci, fit-il en enfouissant le nez dans ses cheveux comme pour la retenir contre lui encore un peu. »

Quoiqu’en fusse leur intensité, il acceptait les sentiments de Gabrielle, les prenait au creux de lui-même et les chérirait ; en silence et de loin, désormais.