Tous les matins. Tous les soirs. Le monde est toujours aussi sale à ses yeux. Quelque chose qui s’enfonce cruellement dans son coeur. Le même poids, le même cri rauque. “Pourquoi je suis en vie ?”

Tandis qu’elle se brosse les cheveux, elle accepte qu’elle ne vit que pour Caenis. C’est son destin, sa raison d’être. Elle sait qu'elle est belle, elle sait que son reflet est admiré par les astres. Elle sait qu'elle est quelqu'un, quelque chose. Mais toujours ce bruit, cette boule noire en elle, qui susurre, l’agrippe

((Tu es personne, tu es rien.))
((Juste, la Martyr, l'extension de Caenis)).

Rhéa accepte, elle supporte. Sourire imperméable, elle tolère. Elle accepte les devoirs en plus, elle accepte la cruauté de ses amis, elle donne ses baisers comme une pluie chaude sur ce monde frigide.

Mais au fond, c’est

((Creux))
((Caenis)ou es-tu).
((Je t'ai tout donné, je dois te sauver))
((mais pourquoi, tu me sauves pas))

Pensée égoïste, éclair de terreur. Car qui peut la sauver d'elle même ?

Ce qui peut la sauver, ce qui peut l’aimer, ce sont les autres. Si l’amour rendait aveugle, alors elle prendrait les yeux de ceux qui l’aime. Pour se refléter constamment dans les iris amourachées de ses admirateurs. Les autres sont le dénominateurs et l’absolu, qui est elle si elle ne peut pas s’opposer à d’autres ? Rien, personne, Rhéa n’est Rhéa parce que quelqu’un n’est pas Rhéa. Alors, elle traque, elle joue, elle demande. Ses baisers, son corps, tout est bon pour réconforter son âme lancinante. Dans les bras d’un inconnu au visage changeant, elle se sent

((unique))
((aimée))
((puissante))

Mais quand les bras partent, quand son corps subit la froideur coutumière de sa solitude, elle comprend qu’elle se berce d’illusions. Elle aura toujours froid, elle aura toujours peur, mais rien ne l’empêche de faire semblant. Le sens de son existence n’est qu’un vaste miroir aux alouettes. Mentir pour mentir, raconter des rumeurs dans le seul plaisir que de contrôler. Le contrôle est son endorphine, car qui peut être sûr qu’elle dit la vérité ? Qui peut lui dire qu’elle triche ? Certains possèdent l’Alice de la vérité, elle s’en embarrasse pas de faire des jeux de jambes avec eux.

Mentir est pas que mentir, mentir par omission, mentir par suspicion. Rhéa maîtrise ce langage, elle ne joue pas. Elle vit, elle exerce sa cruauté angélique en susurrant ses rumeurs. Sa composition est parfaite, tant et si bien, que ses émotions sont un peu vides, se dégonfle au rythme de ses respirations.

((Dysempathie))
((Détruis moi ces larmes inutiles, ton vécu n’a pas d’importance))

Dans cette étreinte toxique, ses amitiés sont fatales. Dans ce bavardage éternel, elle retient. Dans cette générosité infinie, elle crée des malédictions. Gare à celui qui s’éloigne d’elle, car personne n’a le droit de la laisser. Personne n’a le droit de la trahir. Rhéa dévore le coeur de ceux qui ont l’audace de l’aimer car, désormais leur amour fait partie d’elle-même. Même si son corps est fragile, elle continuera à dévorer ceux qui ose tomber dans son piège doré.

((Façade blanche, obéir sans un murmure, subir sans se plaindre
((Toujours la victime, le martyr
((bourreau au visage d’ange))

Tout est gâté sous ses grands yeux, l’intelligence n’est qu’une excuse pour être putride. Mais dans cette douleur constante qui accompagne le moindre de ses pas, elle est subie autant qu’elle donne. C’est peut-être ça, la forme la plus haut de l’amour, faire souffrir autant qu’on aime. Sauf Caenis bien sûr, car Caenis est son maître, dieu et frère. Et chaque jour est une dévotion sublime pour l’aider à rayonner. Laissons ce corps magnifique se souiller par les actions concupiscentes du monde.  Plus elle est sale, plus Caenis est lumineux. Et même si, une petite parcelle d'elle veut se préserver, elle embrasse cette destruction programmée.

((Sourire, sourire
((Dis moi combien tu vaux
((Dis moi combien de gens vont venir pour t'admirer))