Jour,
Nuit.
Jour,
Nuit.(me tapez pas)Paupières closes, tantôt entrouvertes,
Paysages changeant à chaque miles parcouru
Chemin d’asphalte menant à un nouveau toit.
Tes prunelles dansaient sur les reflets de la vitre du véhicule, cachant celles-ci de temps à autres. Le regard morne, tu restais avachi au fond de ton siège, tes mains arpentant le cuir de la portière. Cherchant une occupation aux longues heures à venir.
Tu étais las, si jeune et déjà las de tout cela. De nouvelles figures prendraient le titre de parents. Une fois de plus. Tu ne disais plus rien, laissant le Temps faire son oeuvre, jeune enfant que tu étais. Tu avais cessé de compter. Pour le peu que tu te souviennes, tu as commencé ces voyages sans fin dès l’âge de deux ans.
Parce que tes parents s’occupaient mal de toi, t’avait-on dit. Tu le savais. Feignais de ne pas le savoir. Alors tu alignais les figures étrangères. Sans cesse ballotté d’une famille à une autre. D’un centre à un autre, gamin difficile que tu étais derrière ce visage calme.
Tu ne comprenais guère toi-même, pourquoi toutes ces réactions. Ton corps et tes émotions ne t’obéissaient jamais.
Pas comme tu voulais. Et tu devenais cette tornade indomptable, mots et coups fusant. Si bien que nombreux furent les faciès à tourner le dos face à tes comportements. Ne saisissant guère.
Ou trop usés d’essayer de t’atteindre. Te calmer. Par delà ce mur de pierre finement assemblées. Tu laissais tes doigts glisser le long de la vitre, adieu insignifiant à ces terres qui t’avaient vu naître. Tu délaissais les paysages grisâtres de St Just in Penwith pour la nature à l’état sauvage de l’Irlande. Tu ne comprenais pas vraiment pourquoi cette famille-ci en particulier, dans un autre pays.
Tu n’avais pas envie de comprendre, toi qui comprenais chaque chose que trop bien.Toi qui, quand tes émotions te laissaient respirer observais un monde que tu attrapais d’un souffle.
Peut-être comprenais-tu trop vite. Peut-être les autres étaient-ils plus lents que toi? Une énième problématique à ce dossier déjà débordant qu’était le tien. Un calvaire pour ces figures, impassibles et neutres, qui te demandaient chaque semaine si ça allait. Pour griffonner ensuite pendant de longues minutes sur leur carnet, leurs regards perçants te déshabillant. Tu en devenais muet comme une tombe, choisissant d’observer.
Savourant ces uniques moments où tu ne te noyais pas en ton for intérieur, fracassé contre les rochers par les violentes vagues de ton esprit.
L’Irlande te changeait. Peut-être était-ce la raison de ton arrivée dans cette famille précise. Des hectares de nature à perte de vue. Loin du brouhaha britannique que tu avais pu connaître.Pour autant toi, tu ne te corrigeais guère. Restais toujours esclave de tes émotions.
De ton esprit, machinerie déraillante, peinant à garder ses rouages en place. Tantôt violent, tantôt subitement silencieux. Peignant les murs d’amarantes. Puis ta carne. Gravant leurs silhouettes, à ces têtes familières. Un danger pour eux, ces camarades comme pour toi.
Colères explosives. Silence morbide. Tu n’avais jamais d’entre deux.
Suspendu sur un fil, funambule dont la barre penchait trop d’un côté. Toujours trop d’un côté. L’autorité te faisait ni chaud ni froid, du haut de tes six ans, tu tenais déjà tête, en agaçant plus d’un. Puni, tu le fus plus d’une fois. Plongeant un peu plus dans l’incompréhension tous ceux qui te croisaient. Image d’un enfant curieux et intéressé. Image brisé d’un enfant blessé et hanté par des souvenirs qu’il enterre tant bien que mal.
Tu étais un miroir, Al. Reflétant ce que le monde voulait voir de toi. Puis te jetant brusquement face contre terre pour voler en éclat, en recherche de sensations pour taire cette boule omniprésente qui s’accrochait à tes tripes. Un tableau singulier, noir et blanc.
Sans nuances de gris.Puis elle entra dans ta vie, celle qui deviendrait ton ombre. Inséparable acolyte. Sa mère était une artiste. Les O’Ryan eux, adoraient l’art. Et pouvaient aisément s’en procurer. Toi, brume effacée, tu observais leurs échanges. Écoutant d’une oreille distraite leurs demandes à la grande dame. Ce qui t’intéressait était derrière elle.
Une silhouette, pas plus grande que toi, d’une jeune enfant aux traits gommés, simple statuette accrochée au bras de sa mère. Ce fut ta première rencontre avec Charlie. Il ne vous fallu guère longtemps pour sympathiser et devenir deux petits trublions faisant tourner en bourrique leurs figures parentales.
Si tes dérapages se faisaient plus présents, avec elle, tu les oubliais. Tu ne pensais qu’à faire l’idiot. A simplement t’amuser et ennuyer ton monde.
Avec elle, tu oubliais cette bulle, ce fossé permanent que tu traînais derrière tes souliers depuis ton entrée à l’école.
Cette année fut de courte durée, un changement se profilant au loin à l’horizon de ta septième année. Tu ne connaissais rien des Alices, que de vagues dires et paroles que tu ne prenais point pour vérités.
Tu découvrais les Alices comme tu te découvrais l’être. Une claque sans préavis, d’un réveil violent où tu avais cru perdre ta voix. Si cauchemarder était devenu une habitude tant pour les O’Ryan que ta personne, celle de te voir les fesses lovées au sol d’un lit t’ayant subitement lâché était une autre. Plus encore quand tu te rendais compte que quelque chose avait brûlé le matelas et tout ce qui se trouvait entre. Corrosion.
Tu clignais du regard, perdu. Assommé d’avoir saisi une chose que tu aurais préféré ne jamais comprendre. Assommé d’une vérité s’abattant sur ton cou, épée de Damoclès attendant son heure.
Et eux, te défiguraient. Sans que tu ne saches le pourquoi. Eux se reculaient, s’échangeant des regards inquiets sans jamais poser leurs prunelles sur toi. Ce fut la dernière fois où elles venaient te détailler. Sentant tes émotions t’échapper, tu fuyais.
Te demandais ce qui ne tournait pas rond pour qu‘ils aient ce regard. Un regard que tu ne voulais plus revoir. Cessant ta folle course nette devant un des larges miroirs du couloir, la nouvelle te sautait à la gorge.
Que t’était-il arrivé? Tu glissais lentement tes mains dans ta tignasse. Autrefois ébène et à présent d’un blanc des plus saints. Si pur que tu avais l’impression d’avoir mis la tête dans la neige. Tu restais un instant sans voix, n’osant croiser ton propre regard. Rubis naissants des saphirs que tu possédais. Seule ta peau, quoique plus laiteuse semblait inchangée.
Qui détaillais-tu dans ce miroir? Ce n’est pas toi.
C’est un étranger. La boule à la gorge, tes jambes te portèrent là où elles pouvaient, miroir brisé que tu étais, les phalanges peinte de safran d’une mosaïque te montrant une vérité que tu ne pouvais tolérer.
Tu finissais chez elle, les mots se bousculant dans ton esprit. Tes lèvres scellées par ce flot incontrôlé d’émotions en tout genre.
Tu essayais. Tu essayais avec toute ta joie usuelle de lui dire. Parce que cela se voyait.
Parce que ce n’était plus toi.Qu’allait-il t’arriver?
Qu’allait-il vous arriver?
Un soulagement. Quand elle t’annonçait ce qu’elle était. Quand le masque tombait. A la fois blessé de ne pas savoir, à la fois honoré de ne pas te sentir mis à l’écart. De nouveau isolé dans cette bulle qu’elle avait éclatée par sa présence.
Charlie te comprenait. Charlie seule, savait tout de toi. Alors vous réfléchissiez, appreniez l’existence d’une Académie dans le coin. Une école pour aider les cas perdus comme toi. Comme elle. Comme vous. Une école qui peut-être vous donnerait une chance.
Tu voulais fuir. Connaître le monde. Le découvrir. Après tout, n’avais-tu pas fait que cela? Que d'enfreindre les règles. Repousser toujours plus loin les cadres et limites. Uniquement pour te sentir vivre.
Pour te savoir présent dans un monde qui te cause bien du souci. Présent dans un monde à qui tu causes bien du souci. Tu décidais de partir. De prendre les choses à revers, avant qu’elles ne viennent à toi.
D’aller trouver cette Académie. Gamins fugueurs que voici, laissant derrière eux des visages pour qui ils n’étaient que des fardeaux. Poids indésirables dont ils ne voulaient plus.
Peut-être avaient-ils déjà contacté cette Académie. Peut-être s’en fichaient-ils simplement. Vous ne pourriez jamais la rejoindre en l’état des choses. Alors tu proposais à ton acolyte de vous faire remarquer. Remarquer comme vous ne l’aviez jamais fait, durant cette courte exode qui était la vôtre. Quelqu’un finirait bien par appeler ces gardes tout droit sortis de Men In Black pour vous emmener, non?
Vous étiez partis avec quelques affaires, gosses heureux et téméraires de partir à l’aventure pour de courtes heures. Vous vous étiez même procuré un caddie, emprunt à durée indéterminée pour vous amuser, feignant d’ignorer les voix rouspéteuses des adultes vous pourchassant.
Et vous, vous riez. Sourires colgate accrochés aux lippes, vous vous sentiez vivants. Loin de tout cette misère qui vous incombait. Si tu ne savais pas en quoi consistait ton pouvoir, ton amie elle, faisait des débuts de merveilles. Tu l’enviais un peu de déjà savoir faire un peu de choses avec ses mains. Toi, tu risquais tout bonnement de la blesser ou de vous tuer.
Tu en avais un peu peur, de ce pouvoir.Cette opinion changea avec ton arrivée à l’Académie. Les bonhommes du MIB n’avaient pas traîné et aussitôt vous avaient-ils aperçu, aussitôt vous partiez pour un endroit qu’aucun de nous ne connaissiez.
Tu repensais encore à vos rires sur la banquette arrière, à questionner longuement les deux figures de marbre. Vous étiez rudement joyeux pour des gamins quittant toute une vie pour une prison.
Ou peut-être était-ce la prison qui allait regretter votre venue. Ton comportement ne changeait point, toujours pris entre deux feux, destructeur et chaleureux. Très vite tu retrouvais ta routine usuelle que d’être constamment suivi par des professionnels, ceux-ci pointant un trouble de l’humeur important chez toi.
Qui n’allait guère en s’arrangeant. Très vite tu finissais muselé, restreint dans ton don par un bracelet.
Tu étais dangereux. Incontrôlable et imprévisible. Tu en avais blessé plus d’un de tes petits camarades. Volonté ou non. Tu t’étais blessé plus d’une fois, découvrant avec stupéfaction que même ton sang était corrosif. Que même blessé, aux portes de la mort, tu pouvais encore prendre tout le monde avec toi en enfer.
Et les années passaient. Avançaient, le Temps comptant tranquillement ses minutes, faisant de toi un jeune adulte aussi irrévérencieux que le fut le jeune garçon. Faisant de toi cette tête brûlée et bornée, ne vivant que pour elle. S’amusant de son don comme elle pouvait malgré ce poids sur son poignet droit, vieil ami d’enfance.
Tu l’avais nommé Roberto ce bracelet. Charlie lui avait même dessiné une moustache et un joli sombrero. Le plus fabuleux de tous les bijoux de restriction. Ainsi commençaient les aventures palpitantes de Charlie et Alastair accompagné de leur fidèle acolyte, Roberto.
En salle le 11 Septembre.
A venir voir en famille, juré.