Vent qui secouait ses cheveux secs, vagues de blondeur devant ses yeux clos.

((Respirer))

C’était si dur, parfois. L’air était pesant dans cette forêt close.

((Inspirer))

Un rire léger fuse à sa droite, un rire cruel fuse à sa gauche. Elle ne faisait plus la différence désormais. Une petite main dans la sienne, elle se retourne. Zélie était là, et Zélie avait le plus beau sourire.

Yeux pleins d’innocences, Léonor aurai dû avoir honte. Mais Léonor n’a jamais honte. Alors Léonor lui rendit ce sourire. Aujourd’hui, c’était la grande escapade.

La grande aventure.
Le grand frisson
Le grand rire.

Alors ensemble, elles avaient précautionneusement remplis les sacs, les provisions plein les poches. L’âge n’a jamais été perturbant pour Léo, car Zélie était comme ça. Peut-être quand elles seraient plus vieilles…

Zélie la détesterait
Zélie comprendrait que quelque chose ne tournait pas rond en elle
En elles.

Peut-être qu’un jour, les ombres seront trop épaisses. Et que ce souvenir sera perdu. Mais ce n’était pas le cas. Aujourd’hui était aujourd’hui ! La rivière serpentait entre les arbres, tandis que Léonor retirait lentement ses chaussures :

-Zélie ! Faudra mettre les pieds dans l’eau. Je vais te montrer les poissons.

Riant un peu, elle lui fit une pinchinette sur le nez. Tête penchée, regard rieur. Le soleil était absent mais l’air était chaud. Lourd, humide. Pas une belle journée, mais quelque chose dans l’air rendait le monde beau.

-Si tu mets tes pieds dans l’eau, ils vont venir et te manger les petits peau de ton pied. Même ça fait même pas mal. Genre comme des chatouilles !

Joignant le geste à la parole, Léonor enfonça ses pieds dans l’eau clair. Une armée de petits poissons prit d’assaut ses pieds nus. C’était adorable,comme si ils étaient heureux. Un peu à manger pour ces pauvres êtres.

-Viens Zélie ! Regarde les, ils sont tellement mignons.

Sourire engageant, oui, peut être qu’elle peut laisser Zélie glisser un tout petit peu entre son coeur et l’écran qui le protège.

Les gouttes d’eau étaient les symboles d’un temps tendre. D’un temps qui appellerait très bientôt la nostalgie, la peine, le bonheur d’un temps simple. Le temps où on jouait et qu’on pardonnait. Le temps où on se blessait et qu’on ne pleurait pas parce que ça nous semblait pas grave.

On ne peut pas détruire l’enfant, oh non.
On ne peut que détruire l’adolescent qui va arriver.

Léo ne le savait pas, parce que tout était beau autour d’elles. La rivière, les poissons qui semblaient revêtir des couleurs irisées. Tout était l’image d’une existence perdue, une existence douce. Mais, ça, elle s’en fichait.

Parce que Zélie était là, parce que Zélie lui donnait sa petite main. Parce qu’elle voulait la repousser et l’embrasser, cette main d’enfant. Bouche d’enfant pour une main d’enfant, amour qui se voulait dégoût, peur qui se voulait soin.

Elle avait retiré ses chaussures, l’avait rejoint. Ses yeux étaient plein de l'émerveillement pur, si pur, si translucide. La rivière pouvait être jalouse, sa limpidité a été volée. Elle s’exclame, s'esclaffe de ses pieds toujours présents.

On ne se refait pas, alors, petit rire. Chatouillis en approche dans le son de sa voix :

-Bien sûr que tes pieds ne vont pas disparaître Zélie! Les poissons sont très gentils, sauf si ils sont verts. Les poissons verts sont très méchants, ils font disparaître les coudes.

Ton de la confidence, un peu de mystère. Mais le rire de Zélie emporte celui de Léonor. Et les voilà ensemble à rire à gorge déployé dans ce lieu onirique. Un voyageur pouvait venir, et voir deux enfants rire ainsi. On pourrait les prendre pour des fées, des créatures d’un autre temps. C’est l’éternité de l’enfance, ce temps où rien n’est dit mais que tout est à faire.

Continuant dans les cris de Zélie, Léonor renchérit. Trempant son uniforme dans l’eau, elle prit de l’eau dans ses main en le lançant sur Zélie, criant comme pour apeurer les poissons qui pareussement traînait autour d’elles, comme fatigués par leurs émois.

-Tu es belle! L’eau est belle ! On est immortelles ici!

Les arbres frémissaient doucement pour approuver ce cri du coeur, car oui, les bois se souviendraient d’elles. Petit sourire malicieux, et Léonor s’approcha de Zélie pour lui mettre une algue sur les cheveux.

-Regarde bien, je vais te montrer mon alice.

Un petit effort et hop, l’algue est devenue tresse épaisse d’algue, une sorte de décoration primitive. La plaçant doucement sur la tête de Zélie, cela fit une petite couronne.

-Après tout, ici, je suis la fée et toi, tu es la princesse!! La princesse des poissons!

Impératif innocent, ça sentait le jeu. Oui, il fallait jouer sinon le temps ne se tiendrait plus.

Aimer, ne pas Aimer
Détester, ne pas Détester
Ce sont des choses dont la nuance échappe à Léonor, peut être qu’elle était trop enfant pour être adulte, ou trop adulte pour être enfant. Et, elle tente de jouer encore, elle tente de recréer ce qu’elle voulait revivre. 11 ans, c’était jeune. Si jeune, un bébé devant les vieilles jeunes de 40 ans.

Puis, voilà, c’était amusant d’être avec Zélie. C’était amusant de jouer avec elle, c’était amusant de faire comme si, ou de faire pour de vrai. Zélie était elle, un peu comme une princesse qui savait pas comment sourire sans mettre les dents.

Ses yeux s’illuminent devant sa magie basique, devant ses tours de son Alice. Et c’était assez pour Léonor. Faire rêver, projeter sa légende, projeter son ombre éternelle. Et c’était ce qu’elle voyait dans les yeux de Zélie. Ce monde qui l’appelait, ce monde qui voulait l’avoir en entier.

Mais chaque pas, chaque approbation lui rappelait encore plus à ce qu’elle ne pouvait pas fuir. Alors, elle souriait et les poissons verts fuyaient très loin devant ce monde heureux. Un peu d’eau sur son visage, elle riait encore plus.

Alors Léonor prit un peu d’eau

Baptême de la princesse des poissons
Et lui mit dans les cheveux.


Ce n’était que de l’eau, mais c’était l’eau béni par petite Zélie et son algue. Puis, le rêve continua. Zélie était encore plus belle, princesse des princesses, Léonor pouvait l’imaginer sur un bâteau dans ces eaux faussement tumultueuses. A chasser le rêve avec elle, le compliment alla droit au coeur de Léonor quand même. Être un rêve, c’était d’une douceur sans équivalent. Il est vrai.

Puis la bombe.

Aimer pour toujours. C’était si long toujours. Son visage resta impeccable, sourire. Pouvait elle aimer être aimée pour toujours ? Pouvait elle comprendre le monde infini que Zélie lui offrait ? Car oui, Léonor le savait. La vérité a été dite, Zélie l’aimerait toujours. Cette Zélie, ce moment qui demeurait une éternité.

En faisant mine de réfléchir, pour cacher sa pique au coeur.

((Car Arté aurait dû l’aimer pour toujours))

-Toujours, c’est long, tu sais  ?

Riant encore plus, elle courra dans le sens de la rivière éclaboussant un peu sa compagne de jeu. Elle se retenait, retenait de dire que Zélie ne connaissait aucun toujours.

-M’aimeras tu quand tu seras plus une princesse ? M’aimeras tu quand la rivière ne coulera plus ?

Pointant la rivière, apercevant un petit poisson argenté esseulé :

-M’aimeras tu assez pour que je ne sois jamais comme le poisson ?

Se retournant pour faire face à Zélie, elle eut un sourire large, un peu carnassier, bien malgré elle :

-Moi, je t’aimerai comme un rêve. Car tu es mieux qu’un rêve. Tu es Zélie.

Car, c’était ce qu’elle pensait, au fond de sa chair.

Oh pourquoi le monde n’était pas simple ? Pourquoi ne pouvait-elle pas balayer cette crasse héritée en dehors de son cerveau ? Chasser Arté aussi facilement qu’Arté avait chassé Léonor de son coeur.

Parce que son être souffrait, son être était dans une agonie délicieusement horrible. Les yeux humides, d’une autre teinte que les gouttes d’eau ruissellantes sur cette enfant mouillée. Peut-être oui, que si Zélie avait été Arté, tout aurait été plus simple. Les rires, les jeux, les pleurs, l’amour, la chair liée par le sang.

Parce que Léonor comprenait, un peu plus. Léonor sentait le vent froid entre ses cuisses. C’était le changement. La douleur nouait encore son coeur, le deuil était animal rapace. Il venait et partait, impétueux et irascible. Dans les yeux jolis de Zélie, elle voyait cet amour absolu, un peu niais de l’enfant qui trouvait le bonheur. Et Léonor était une enfant. Une enfant était par nature maladroite.

Elle continue de sourire, sourire amer. Mais, Zélie se rapproche. Zélie envahit ce monde, Zélie fait fuir le poisson argenté. Zélie appose sa petite main, comme un sceau tendre sur son bras

Et, l’humidité envahit les yeux de Léonor aussi.
((ça fait longtemps que quelqu’un ne l’a pas aimé ainsi))

Instinct, elle ne la repousse pas. Appuie sa chair contre la sienne, elle sourit un peu moins. Léonor apprend, comprend. Zélie est ainsi, Zélie est une chair tendre, un effort constant vers le ciel. Cela serait que violence et cruauté de l’écraser, donner à sa persévérance un aspect pervers.

Oui, ce n’était que douleur, amertume.
Léonor n’avait pas le droit.

Zélie parle, doucement. Ton rythmé. Elle la rassure, la console. Peut-être que les âges étaient inversés, que Zélie lisait dans ses tourments. Sa peur de la porte claquée, de l’abandon, de la nuance absolue.

Etre aimée, être haie.
être désirée, être rejetée.

Peut-être que Zélie perçoit cette notion absolue ? Peut-être qu’elle l’a subie aussi ? Elle mordille ses lèvres, plus de sourire sur son visage printanier. Amour qui déborde des mots de Zélie, comme une potion interdite dont Léonor mourrait de désir de tremper ses lèvres. Léonor était Zélie, une ancienne Zélie. Ses mots sonnaient comme les siens. Zélie ne devait pas être une Léonor, pas cette douleur, pas cette peur.

Puis couronne sur ses cheveux. Comme celle que Arté lui mettait, les mêmes mots. Les mêmes peines. Léonor aurai tué pour les entendre, les faire sien. Elle s’est modelée pour les recevoir. Quelle douceur, quel ange. Elle pleure dans son fort intérieur, petite Léonor qui n’atteint pas encore l’adolescence violente.

Zélie se sacrifie pour les autres, Zélie est comme un rêve tenace. Un fantasme sur le point de se réaliser, une danse précieuse pour la réalité. Alors, Léonor lui prit sa main dans la sienne, lui serra un peu. C’était plus fort désormais, l’instinct de préservation disparaissait dans cette rivière humide.

(Car, Zélie ne devait pas disparaître)

-Les rêves, ça dure une nuit mais ça influence une vie entière. Repense à tout les gens qui ont rêvés des Dieux, des princesses, des anges, des démons. Tu es immortelle comme un rêve.

Passion dans sa voix, Léonor n’était qu’un chaud-froid permanent. Elle ne voulait pas de sacrifice en son nom, elle ne voulait pas de cadavres à ses pieds. Impétueuse et coulante, paradoxe. Mais, un accord a été trouvé en son sein, la couronne encore porteuse des cheveux fins de Zélie.

-Je note tes promesses, Zélie. Tiens moi le petit doigt, regarde moi dans les yeux et promets le moi encore une fois. Dans les yeux. Et je te promettrai de toujours exister pour toi. Toujours être là. Ca sera la promesse du poisson argenté!

Un peu de mysticisme, un brin de cette ambiance perdue. Et dans la folie de ce temps tendre, elle remit la couronne sur les cheveux de Zélie, plissant ses yeux emplis de l’eau des émotions :

-Elle te va bien mieux qu’à moi, je rappelle que tu es la princesse!

Vérité qui avait le goût de jeu.