il ne fait jamais vraiment chaud, à stjørdal. enfin, ce n'est pas comme dans le grand nord, pas comme quand il y a un sas d'entrée pour éviter de faire rentrer les blizzards. ici, la neige fond dès mars et parfois j'ai trop chaud dans mes vestes. mais moi, ça va encore ! si vous voyiez papa, avec son bel uniforme, et les jolies étoiles sur son col, et son båtlue bien droit. moi, je vous dis, j'ai chaud pour lui.
et chaque matin avant qu'il parte, maman s'assure qu'il a tout avec lui. vous savez, papa n'oublie jamais rien, mais je le vois de temps à autre enlever sa gourde de son sac, ou alors son calepin, ou encore son couteau suisse, et je crois qu'il le fait exprès, parce que quand maman lui rend ses affaires en disant tu as failli oublier ça, hé bien il l'embrasse un peu beaucoup "pour dire merci".
c'est un truc qu'ils aiment bien faire, ça. s'embrasser. je sais pas si c'est juste les miens ou les adultes en général.
moi, pour le moment, je trouve pas ça très intéressant.
enfin, sauf si on parle d'ida.
mais ça compte pas, parce qu'ida elle est vraiment jolie, et en plus elle a des tâches de rousseur, et ses cheveux ils sont pas blonds comme les autres. même qu'elle m'a offert une figurine de macareux en bois, et je crois que c'est parce qu'elle m'aime bien et qu'on va à la piscine ensemble. mais surtout parce qu'elle m'aime bien. en plus elle rougit quand on est juste tous les deux et je me dis qu'elle a sûrement les mêmes histoires dans la tête que moi.
et puis il y a trigg aussi, on dirait vraiment un loup sauf qu'il est beaucoup plus sympa, je l'ai dépassé il y a quelques années mais quand il se met sur ses pattes arrières pour qu'on se fasse un câlin, il me fait tomber sur les fesses. maman, elle aime pas trop ça, mais moi ça me fait rire, et j'ai la tête dans ses poils, et on roule dans la neige comme si on allait jamais arrêter.
je devrais sûrement parler de trym, et de preben, et de fredrik, et de comment on regardait tous les avions de la base avec des yeux plein d'étoiles, et de comment on essayait d'apprendre à trigg de faire le mort, et de comment on faisait semblant d'avoir des pistolets et de sauver la colline avec une forme de triangle des aliens, et de comment on s'est fait confisquer nos talkies-walkies parce que ça brouillaient les signaux, et alors de comment on a décidé de faire semblant de se parler sans rien (et de comment ça réussissait souvent).
j'ai dit au revoir à tout le monde. à trym, à preben, à fredrik, à trigg, à ida, à maman, à papa. c'était triste, mais ça va. on s'enverra des lettres, ils ont dit, mes copains, et ida m'a donné un bec-croisé perroquet en bois, et trigg il m'a pas renversé il a juste aboyé, et maman et papa je sais qu'ils se sont disputés qu'ils ont un peu crié et que ça n'arrive jamais et ils disaient que ce n'était pas possible que ce n'était pas dans la famille et moi, vous savez, je ne comprends pas trop ce que disent les parents.
maman elle m'a pris par les épaules, quand j'étais à côté de ma valise, et elle m'a dit que ça allait aller. c'est vrai, ça, maman ? j'ai pensé, et je crois que j'étais un peu paniqué, et que ça devait se voir, parce qu'elle a recommencé à pleurer, et on est parti pour l'aéroport, et papa il avait oublié plein de choses (sa gourde, et son chapeau était pas droit, et son col était plié) mais maman ne lui a rien dit, et moi non plus. je voulais pas qu'il m'embrasse pour me dire merci.