le lit qui grince un battement la porte qui claque deux battements
gwen a le tournis pose la main sur le matelas miteux pour être certaine d'être au bon endroit —
soupire et ressent l'ankylose des hanches aux pieds
la douleur des bleus à ses poignets
pose son regard céruléen sur le lit les draps le tas de vêtements au sol elle est bien là dans le grenier le taudis aux allures de paradis pour qui la liberté est chère au cœur

elle se lève avec difficulté;
l’envie n’y est pas mais le froid est bien là, alors elle saisit au sol un débardeur une culotte — entreprend un détour stratégique devant la glace, remettre ses cheveux son maquillage en place
le rouge carmin aux lèvres et les allures de guerre, la peau porcelaine constellé de bleus gwen se tient fière
elle est celle qui désire cette violence ce manque de proximité
que les gestes fassent écho à la colère qui bout en elle — la tendresse, c’est bon pour ceux qui aiment

elle se penche une dernière fois, le corps endolori avec la seule envie de retourner dans son lit, pour ramasser un pantalon quand

toc toc
le buste qui, lentement, se redresse, le sourcil arqué
((qui))
l'autre qui a oublié son caleçon un cirque répété ça suffit bon sang, gwen ne laissera pas passer
elle regarde brièvement le parquet — repère les endroits discrets — s'avance à pas de chats vers la porte l'ouvre sans sommation et

non tu n'as pas oublié ton caleçon gros co-

l'air qui quitte les poumons asphyxie
laisse place à l'eau gwen se noie soudain submergée par l’émotion la stupeur qui
paralyse ses pieds
se raccroche à la seule chose qu'elle maîtrise encore, à défaut des sentiments de la situation de lui, gwen

des fleurs ? vraiment ?

s’offusque, l'air blasé
derrière le regard, le ciel commence à se voiler;

« occupé. »
elle s'énerve presque en parlant, des années à le côtoyer, à ne que trop comprendre l'implication des mots prononcés
mais comme toujours, le jeu a déjà commencé alors gwen rêvetit un sourire — presque tendre — et récupère les roses;
se note mentalement que trois mois, c'est bien assez pour réaliser que jamais il ne tiendra à toi. elle ouvre la porte, ferme celle de son coeur, et lui fait signe de rentrer,
je ne voudrais pas que les gens te voient, ô Stelian, dans le grenier des minables.
le cacher loin des regards loin des tentations  — si elle pouvait, mais gwen ne s'est presque jamais voilé la face; le brun n'a pour seule limite que son ambition.

parce que tu n'as pas d'autres distractions que moi, peut-être ? réprimer la jalousie, garder l'air détaché. on se réchauffe comme on peut par ce froid glacial, on n'a pas tous une chambre deux étoiles.

des petites piques, alors qu'elle arpente sa chambre à la recherche d'un vase de fortune; à défaut d'avoir su prendre soin de leur relation, elle pouvait bien prendre soin de fleurs —
finit par se résigner en réalisant l'austérité de sa chambre, les dépose sur sa table de chevet

elle s'assied sur le lit, jambes croisées, observant stelian de la tête aux pieds. songe un instant que le masque de l'amant lui sied
((trop))
parfaitement.

c'quoi qui t'a fait le déclic après tout ce temps ?
sans t'en soucier, qu'elle évitera de prononcer.
je t'aurais bien dit "tu m'as manqué", mais après trois mois, j'suis plutôt tentée de dire "va chier, enculé".

alors pourquoi
l'as-tu laissé rentrer ?

le sourcil arqué, l'air absolument pas convaincue —
woah, j'y croirais presque.
elle détourne le regard, déterminée à ne pas céder ne pas se perdre s'égarer de nouveau ; l'observe retirer sa veste et serre le poing dans ses draps les souvenirs divaguent elle
si c'est comme ça que t'appelles tes nouvelles conquêtes, moi aussi j'fais que du business.
se braque, tire la couette sur elle. gwen se sent soudainement à découvert, nue, et elle déteste ça. elle attrape une rose, maigre bouffée d'oxygène dans l'air de la pièce qui s'alourdit, s'alourdit —

gwen réfléchit un bref instant, si bref, et se surprend à songer à la chevelure châtain, l'air crétin; rien à voir avec le plan cul ayant quitté sa chambre sans délicatesse, rien à voir avec stelian et les ténèbres dans l'ombre de ses pas,
((non))
elle arrache une pétale puis deux puis

tu l'connais pas. c'quoi la vraie question, tu veux savoir s'il est meilleur au pieu que toi ?

le sourire taquin et le regard mauvais, avec pour seul désir d'attiser le feu ; il est sur son terrain de jeu, la jalousie, la frustration, tout ça, gwen ne le connaît que trop. elle repose la fleur — en prendre soin — et jette enfin son regard céruléen dans le sien

peut-être que j'en avais marre d'être celle qui vient, qui fait le premier pas ?

elle passe la main distraitement sur un de ses nombreux bleus et claque la langue
gwen est une fille simple;
pas besoin de tendresse et de sentiments,
la colère lui suffit presque amplement.

Le regard qui s’assombrit, ses yeux océans croisent ceux d’ébènes ; gwen se déteste d’avoir le souffle coupé devant son assurance, l’air narquois – tiraillée entre lui arracher des lèvres d’une gifle ou d’un baiser
la blonde se sent perdre mais refuse de capituler, pas aussi vite –
pas encore

contrairement à toi, je cherche pas à savoir avec qui tu couches.

maigre répartie mais gwen s’agrippe aux arguments qu’elle peut pour ne pas se perdre dans les abîmes du brun ;
elle le sait, elle reconnaît les mauvaises habitudes de stelian, guider la conversation dans une direction sans difficulté, où il est maître roi de ce qui se dit et se fait.
alors, lorsqu’il saisit sa main pour la baiser,

tu as rejoint les nova, à ce qu’il paraît.

elle la retire aussi sec. elle l’observe de haut en bas, écœurée de ne plus y voir qu’un étranger ; l’apparence est la même, le regard félon –
le sourire la posture –
((tout est pareil))
sauf l’espace entre son cœur et le sien
elle ne comprend pas pourquoi – à portée de mains pourtant – stelian est déjà bien loin ;
d’un mouvement assuré mais au goût de désespoir, gwen dépose un baiser sur ses lèvres
en douceur – comme bien rarement entre eux – le rompt aussitôt
cherche dans les yeux ténébreux une lueur, une étincelle, quelque chose.

félicitations, fayot. pourquoi tu voudrais mon pardon, quand tu peux juste me passer les menottes dorénavant ?

réalise qu’elle n’y verra probablement plus jamais rien et que c’est mieux ainsi. qu’autrefois, elle l’aurait félicité avec sincérité – la première à l’encourager, un pas de plus vers son ambition

mais aujourd’hui, gwendoline est juste fatiguée.