morceau d'enfant lézardé de blanc nage dans l'océan des chemises en coton - c'est taillé huit ans et pourtant c'est encore trop grand
pour lui.
on avait demandé s'il avait peur
et il avait fait non de la tête - gauche droite gauche droite - bien à l'abri dans des silences immenses après avoir entendu trop de hurlements la voix s'économise. pas même un au revoir sur le perron de la maison et on s'était agrippé à la première main qui s'était tendue vers lui sans convoitise ni déraison
la première prise de sa vie, sauvant enfin de la noyade continuelle. elle entre le monde et lui, on s'y était réfugié, ses fragrances rassurantes en première ligne, immunisée des siennes, il aurait voulu ne jamais quitter l’abri que ça offrait, la cachette que c'était derrière elle.
et forcément que les doigts s'agrippent à la blouse, serrent le tissus au creux des paumes pour retarder les départs
dire reste
reste encore un peu ça ne fait rien si l'on ne m'aime plus jamais tant que tu restes on ne m'aimera plus n'importe comment.
mais il était temps de redevenir un enfant en entier
même si c'était rassembler tant bien que mal des éclats éparpillés.

et Felix face au reflet - les blés des cheveux c'est les mêmes, les sourires c'est les mêmes
si lui était capable d'en esquisser -
reste de marbre comme effacé, le tain du miroir abimé forme une opacité terne entre
toi et lui
toi c'est
Victoire.

regard sur la main tendue - encore une
hésite sur la réaction à avoir. il ne sait plus - il n'a jamais su comment faire. instinctivement
la sienne se tend à son tour, serre une seconde, volatile,
avant de retourner dans les poches,
et la voix semble ne pas avoir servi depuis des mois tant elle peine à se frayer des chemins depuis les côtes saillantes.

... je m'appelle Felix.

et on aimerait être prêt
à aimer Victoire.

famille, ça ne va pas. le visage se froisse et on reste focalisé dessus on cogite on réfléchit on se demande
d'où ça peut bien venir. pourquoi tu dis famille - après tout tu as précisé le nom de la tienne et c'est évident qu'on n'a pas le même. il est Felix et tu es Victoire, issus de parents différent, aimés différemment, diamétralement opposé
tu assembles sur le même plan.
famille, on n'aime pas trop ce mot. tu prononces avec le sourire et ça fait écho dans des grands vides où se tapit du chaos. c'est des églises corrompues de dévotion viciée et de blasphèmes dans lesquelles on a plus envie de foutre les pieds,
et t'en parles comme d’un paradis où il fait bon de se lover, où l'on trouvera des endroits tout particuliers où tu n'emmènes pas tout le monde. il imagine
ne voit que des méandres confus où c'est compliqué de s'y retrouver, où l'on s'est perdu
avant d'être retrouvé
et les jambes refusent d'avancer dans l'inconnu de nouveau
si c'est faire parti de ta famille.

mais tu dis viens
insiste, n'aie pas peur Felix
volte-face pour vérifier s'il te suit, alors qu'on s'est à peine présenté tu n'envisages déjà plus sans lui.
et farouche on se renfrogne, tu réveilles des réactions d'enfant de son âge
qu'il n'avait pas eu depuis des lustres.

— j'ai pas peur !
... tu m'fais pas peur avec tes rollers.

tu tiens tant bien que mal dessus, l'équilibre bancal
alors non tu ne fais pas peur Victoire
et c'est peut-être pour ça que Felix emboîte le pas - quelqu'un d'autre on serait probablement resté là à attendre qu'on tire de l'eau -
arrivant à ta hauteur il se cale sur ton rythme chancelant, garde une distance
de sécurité - mais avance bel et bien à tes cotés.

échange une cage pour une autre, mais Felix comprend
le concept d'étendre les univers - au final c'est à l'identique pour lui aussi. on n'a jamais aussi bien respiré qu'ici alors que c'est entouré de grilles immenses, les barreaux des os sur les poumons semblent moins oppressants et si c'est saillant tout ça ça vit bien ; et c'est le plus important.
alors on peut y aller doucement ça ne le dérange pas, ça lui va même. explore les nouveaux territoires, un peu méfiant, redoutant que cette maison-là cache des monstres à son tour. si on en croise dans les endroits secrets Victoire ça va vraiment le mettre en colère - c'est sauvage encore cette mauvaise graine ! jamais éduquée !
mais vu comme tu titubes, tu ne dois pas être si dangereuse que ça. et lorsque tu désignes le regard, Felix lève le nez, attentif.

oui j'ai vu. mais on m'a dit y a pas de sortie avant longtemps alors ça sert à rien d’aller voir.

pas par là, la visite.
un peu désarçonné par la manière dont tu parles de la prison que c'est, ici. on dirait que tu n'as jamais été dehors.
oh - ça vaut mieux Victoire. il se dit que l'extérieur tu trouverais ça laid - rien que des horreurs derrière les barrières, si tu savais. alors on te suit, on t'observe marcher dans les graviers avec tes roulettes comme les mecs dans la neige quand ils ont plus leur ski. c'est un peu ridicule, on se connaîtrait depuis une heure ou deux de plus Felix aurait presque sourit.
mais on pense beaucoup aux grilles
et ce qu'il y a après. sur les sentiers menant à la surprise Felix a mille questions, il aime pas trop pas savoir, y a trop de choses qu'on comprend pas ici bas. alors le regard on lui fait quitter les graviers
pour le lever vers Victoire.

t'es là depuis longtemps ?
... t'étais où avant ?

tout à l'heure, c'était ta maman, mais elle semble tellement être celle de tout le monde qu'on se demande forcément,
si elle ne t'a pas arraché de griffes abominables toi aussi.

abstraction contre abstraction, au magnétisme similaire - la théorie voudrait que l'on se repousse. et pourtant
pourtant Felix maintient la distance à l'identique, ne s'approche ni ne s'éloigne de toi Victoire, l'oiseau qui n'a jamais quitté le nid. en t'entendant réciter les préceptes de l'académie il fronce les sourcils - ça sonne comme des paroles apprises par cœur et on se méfie toujours des préceptes,
on a rencontré trop de mauvais prêcheurs, c'est pas ta faute.
il a envie de demander
rétorquer pourquoi
la barrière ne protège que maintenant, après tous les assauts. mais il est trop petit pour comprendre sa rancœur Felix, trop petit pour mettre les mots dessus encore. alors on se contente d'observer les dissonances qui résonnent au creux du cœur, sans trop savoir quoi faire avec,
on file des coups de pied dans les cailloux sur son chemin.
tu es donc là depuis le début Victoire, tu dis tout savoir. sans avoir vu une fraction de ce que le monde renferme, dans le miniature de l'académie tu sembles avoir un milliard de choses à apprendre.
et on ne sait pas
on ne sait pas par où commencer, Victoire.

je sais pas quoi demander moi...

effronté d'embarras, une moue désemparée aux lèvres, tu regardes où tu vas et Felix regarde ailleurs, un point dans le vide à peu près au niveau du sol
finit par hausser les épaules, parce que c'est des interrogations qui viennent toutes seules sans que l'on comprenne trop pourquoi.

les gens ici ils sont tout l'temps sympa ? ou alors c'est juste au début comme d'habitude ?

pleins d'années tu dis - Felix observe du coin de l'œil les doigts se déplier en éventail pour compter et c'est que ça fait beaucoup si tu as besoin des deux mains. même sur une, ça lui irait, de passer tout ce temps là sans réveiller des fureurs malades et des lubies obsessionnelles,
il a l'air surpris sur le coup.
se retient de demander
on se dispute et c'est tout ? pas de cris pas de coups ? ils ne finissent pas à genoux à la fin pour supplier de pardonner des limites franchis ?
frissonnement - une, deux, trois, quatre, cinq années c'est immense,
on a jamais connu aussi longtemps sans dysfonctionnements. et ils sont à moitié rassurants les mots, parce que ce sont des termes d'enfants et que ce n'est pas bien précis. c'est comme les bientôt et les c'est plus très loin. impossible de savoir sur quelle échelle tu mesures les distances et les grandeurs, Victoire. mais Felix se sent de se calquer sur tes mesures. alors si les adultes sont chouettes.. on tachera de ne pas trop les craindre. on les provoquera, même, quand on aura repris du poil de la bête. pour voir de quoi c'est fait ces grandes personnes-là.

sous les pieds, les feuilles craquent. sortent Felix de ses pensées. tu as dis qu'on pouvait poser n'importe quelle question.

— ... on va me donner des rollers à moi aussi ? j'aurai l'droit ?

Victoire qu'est-ce que tu fais Victoire on t'a pourtant pas menacé
pas du racket - il a beau être une terreur de cour de récrée on est trop volatile encore pour faire des caprices comme avant. oh ça reviendra vite mais
l'ondée est si calme ici on redoute de la troubler. mouvement de recul, en te voyant t'asseoir et défaire les attaches des patins à roulettes.

j'ai pas dis que j'voulais les tiens ! qu'est-ce que tu fais ? j'en veux pas, crois pas que j'te les vole !

si ta mère voyait peut-être qu'elle penserait qu'on a fait du chantage, qu'on a profité de ta bienveillance, qu'on est définitivement perfide, peut-être qu'elle se dirait qu'on aurait mieux fait de pas donner la main et puis
et puis Felix aura raison - les adultes ne sont jamais chouettes très longtemps.
mais Victoire tu n'as pas peur, c'est plutôt toi qui redoute d'effrayer. les rôles inversés, Felix reste un peu abasourdi en te voyant donner sans réclamer quoi que ce soit en échange.
si ce n'est ses chaussures à lui pour ne pas fouler sans souliers les tapis de feuilles.

... mais t'as mis tes pieds et tout.

papillonnement des cils
le cou gracile s'enflamme, et l'on triture nerveusement les manches un instant,
avant de se mettre à ta hauteur
s'asseoir en tailleur dans les feuilles pour défaire à son tour les lacets. c'est des doubles nœuds, ça prend un peu de temps
mais Felix finit par obtempérer
procède à l'échange
sous les œillades farouches, s'éveillent des lueurs d'impatience candide. lance un "tiens" un peu hâtif, récupère les rollers aussitôt pour refaire les gestes dans le sens contraire
t'as raison Victoire
ça lui va
ça commence
ce qui est à lui est à toi et inversement.

et c'est un peu chancelant qu'on se relève, réhaussées de roues les jambes tremblent un peu et on attend
que tu sois debout pour s'agripper à ton épaule.

attend attend - si c’est bon t’inquiète j’sais rouler hin ! c’est parce qu’y a les feuilles ok c’est tout,
aide-moi à aller sur le sentier là où c'est lisse.

comme si une fois là-bas on arrivera à tenir droit sans soucis
on veut pas passer pour un raté - on est plus un bébé une fois sur du solide tu verras comme on fait bien, sans l'aide de personne !

les rollers aux pieds c'est lui qui devrait avoir peur de tomber pourtant Victoire tu tiens Felix et tu tiens à ce que les sentiers soient dégagés. lui, serre tes paumes sans trop oser s'appuyer encore, toujours debout tu le bousculerais il se relèverait tu sais - et puis même s'il tombe, étouffé d'orgueil on refuserait les mains tendues. là c'est juste pour faire du roller - alors pourquoi
pourquoi t'as peur comme ça ?
pourquoi t'as peur comme lui ?

ok tu sais où c'est, arrête le suspens vas-y montre, si c'est si cool.

montre - offre-lui les cachettes et les abris, les recoins auxquels tu tiens dans l'académie on veut ça, on veut voir les endroits où on ne nous trouvera jamais, dérober les refuges. tu crains que ça se passe comme ça ? oh c'est bien le genre de Felix, d'en faire qu'à sa tête. discipline ou non les cotés mesquins c'est depuis toujours. alors peut-être bien
peut-être qu'on notera tous tes bonnes adresses pour s'y rendre avec les copains quand on les aura, quand on les choisira comme il faut et qu'on fait comme il a dit lui et non comme tu dis toi.

tu veux que j'le dise à qui t'façon.

sauf que tu lâches une main
et Felix oscille, tremble sur l'autre qu'il tient plus fort tout à coup
et tu dis
tu supplies pas tu dis simplement
tu promets
comme si ça valait quelque chose, ses mots d'enfant.
appelle l'innocence, terrée loin sous les cendres, de la petite braise mourante tu souffles doucement des murmures ça réveille
Felix dévisage, sans saisir tout de suite
à quel point c'est important,
que c'est pas des sentiers à emprunter égoïstement, qu'on se fera pas des croches-pattes, jamais, on est pas là pour ça -
c'est des réciproques qu'on attend
que t'attends de lui
c'est la première fois qu'on attend ça de lui sans menacer de piller, vandaliser, laisser vide - c'est presque dire que c'est fini, le vide,
on va ensemble ou rien.

et l'équilibre incertain, on voudrait bien
aujourd'hui on voudrait vraiment, aller sans trébucher.
alors malgré les airs tiraillés, la confiance lacérée on en rassemble les morceaux les plus présentables,
hocher la tête c'est sincère
entrelacer les petits doigts c'est vital
pour tenir droit.

promis Victoire je dirai rien, personne saura à part toi et moi.

à part ce nous dont tu parles
si tu dis que ça existe
alors Felix veut bien essayer d'y croire.

on devrait pas
c'est pas normal
deux enfants qui se baladent tout seul dans les bois là où les regards ne percent plus les feuillages il n'y a qu'eux pour se faufiler sous les branchages - on ne devrait pas
laisser sans surveillance comme ça, sans personne sur nos pas pour vérifier qu'on pose bien les pieds comme il faut.
et avec les rollers c'est encore plus compliqué mais tu tiens
les roues cognent contre des racines mais tu tiens
mille craintes sous les feuilles, ces dernières pour amortir on redoute quand même, des nœuds de bois cachés dessous qui pourraient saisir les chevilles tout à coup, ou bien des loups cachés derrière les troncs d'arbre qui surgiraient pour faire claquer les crocs à la gorge si fine.
et on trébuche mais on respire, inspire expire ça sent la vie, les poumons s'ouvrent enfin c'était ce qu'il fallait c'était si oppressé depuis la naissance peut-être que ça manquait juste de se déployer un peu plus
et on s'éloigne et on se demande
jusqu'où encore
les adultes si loin derrière et devant c'est encore moins sûr d'en croiser Victoire où tu vas
où l'on va
es-tu bien certaine
que quelque chose vous attend là-bas
Felix voudrait dire demi-tour
c'est trop loin - il y a rien
rien là-bas, personne qui attend
au bout du chemin.

tortueux
il y a un vieil arbre noueux, torturé
qui pousse quand même bien haut
si haut qu'on doit lever le nez presqu'au ciel.

lâche-prise, laisse Felix qui détaille les branches immenses
qui tourne la tête pour voir d'où l'on vient - personne
qui revient à devant lui et regarde - il y a toi
qui te réfugie au cœur de l’ami des bosquets, il accueille
comme des bras grands ouverts

ouverts pour Felix aussi.

... comment ça ton arbre. c'est un arbre tout court.

mais regarde il y a ton nom.
sourcils à demi froncés Felix s’approche, s’accroche à l'écorce pour ne pas tomber il s'agenouille, revient sur Terre là où c'est stable, plonge les mains dans la mousse lorsqu'il faut se faufiler dans l'abri,
c'est petit,
y a tout juste la place pour deux, pour lui et toi enfants les jambes croisées et le dos contre les parois de bois, Felix frissonne,
c'est du contact qu'on connait pas, il regarde partout, voir s'y a pas du danger
y a pas de danger - on se sent comme
en sécurité tout à coup.
c'est calme
la forêt fait moins de bruit autour, comme si elle osait pas rentrer
après tout
c'est chez toi - il comprend le concept du toit au dessus de tête - et pourquoi pas
pourquoi pas chez vous.

tu veux qu'on dise que c'est chez nous ?

ça sonne pas convaincu mais c'est normal. c'est abstrait encore. on connait pas la définition de tous les mots. sauf qu'on ressent, on sent l'écorce contre les omoplates et le sol vivant sous les pieds, les jambes ramenées contre le buste, il observe
trouve
Victoire gravée sur le bois. silencieux, on y passe les doigts comme pour voir si c'est bien vrai - c'est creusé comme il faut
et Felix inspire doucement, croise les bras autour des genoux et y pose la tête, sans trop savoir pourquoi
on se sent bien.

... si c'est à nous y faudrait qu'y est nos deux noms du coup.

c'est une idée comme ça
c'est dit l'air de rien
mais il a levé les yeux vers toi
pour voir
si c'est gentil, comme idée.

tu dis oui
Victoire
effet miroir
le bas du visage caché au creux des bras comme si l'on était encore un peu sauvage, inconsciemment il imite et hoche la tête une fois - reflet de toi
et l'on observe attentivement car depuis toujours les mots ne suffisent pas, jamais Felix ne croit que ce qu'il voit et encore, parfois on voit le mal où il n'est pas. petit visage flegme barrés de mèches cendrées il reste immobile, bronche à peine lorsqu'on se prend des coups de pied, fronce rien qu'un peu les sourcils et puis plisse les yeux en voyant que c'est pour fouiller dans les entrailles du sac à dos.

éclat métallisé
renvoi la lumière
cliquetis de la lame - réflexe presque animal
Felix serre ses genoux contre le buste comme pour faire barrière, bras croisés les doigts s'enfoncent dans l'épiderme, serrent les coudes momentanément
première pensée
dérangée
coté vis pour réparer
coté lame pour trancher
et figé le cœur comme stoppé dans sa course
reprend des cavalcades au moment où tu tends le couteau suisse - il a tressailli malgré lui
coté manche vers Felix.
c'est lui qui fait.

sans un mot les cils papillonnent une seconde et chassent toutes les images pour se défaire des filtres qui déforment la réalité, secoue la tête une fois comme pour chasser les pensées qui s'agrippent à la psychée
elles lâchent prise et s'éclipsent, pas la place au creux de l'arbre.
et finalement Felix défait l'étreinte des bras sur les jambes ramenées à soit pour s'emparer du petit couteau
taille enfant
la prise est fébrile le premier temps et avant que tu ne regardes trop il resserre et la fait assurée.

ça pleure pas les arbres.

c'est pas toi Victoire
c'est pas ta faute tu sais
c'est rien que des instincts comme les bêtes, il faut pas se vexer quand l'une d'elle prend peur en nous voyant surgir des feuillages au détour des sentiers.

et puis
sans qu'on se l'explique c'est passé, ça n'a pas lieu d'être ici on craint pas que le cœur s'arrête on l'entend si bien battre derrière les os - du vivant au creux du vivant
lui et toi au creux de l'arbre.
il doit graver son nom.

malgré le manque d'espace Felix se redresse un peu, observe les parois de bois avant d'arrêter le regard là où c'est déjà entaillé
s'applique - mordille un peu la lèvre inférieure on veut bien faire

écrit aux côtés de

toi et lui font nous
et nous est enfin chez soi
on est à la maison.

et quand c'est fini on se rassoit sur les jambes pliées sous soi
pour admirer,
passer les doigts pour vite sécher la sève à vif et stopper toutes les hémorragies
c'est fini de saigner
Felix reporte son regard sur Victoire,
incline la tête comme pour dire
tu vois.

tu vois
qu'il pleure pas.

la présence éthérée qui voyage jusqu’au centre de la forêt
rejoint sous les arbres, se faufile au creux de l’écorce
tu avais dit que personne d’autre connaissait le chemin Victoire et pourtant Felix sent
qu’elle est quand même un peu là.
les sourcils se froncent légèrement, spontanément farouche on veut pas des adultes ici et Felix lance un regard un peu sur la défensive parce qu’on n’a jamais aimé les reproches - c’était de mauvaises augures.

et pourtant quand tu répètes ce qu’a dit maman c’est pas trop des menaces
on craint pas les représailles on sent bien
que c’est comme les mains tendues et les baisers sur le front
c’est juste pour marcher mieux, moins tituber, intimer de garder la tête droite et avancer
avancer comme il faut.

on ne sait pas bien ce qui peut arriver si l’on ne fait pas
comme maman - la tienne Victoire - a dit.
on connait par cœur comment maman faisait avant quand on se risquait à désobéir.
mais étrangement sur ces fils rouges là on n’a pas envie de tirer,
c’est pas des équilibres fragiles au dessus du vide que de les suivre comme ça a pu être avant, c’est différent,
c’est les liens d’Ariane qui ont guidé en dehors des labyrinthes jusqu’à maintenant, du chaos originel jusqu’au bruissement paisible des forêts où l’on grave enfin son nom.

et même si l’on se renfrogne Felix veut bien se montrer conciliant
incertain et titubant, les mots au bord des lèvres, on ne sait pas bien à qui les dire
c’est la première fois qu’on parle aux arbres Victoire
alors lorsqu’on prononce finalement
c’est un peu à lui
un peu à toi
sans que l’on en soit bien conscient Felix (vous) dit

hm- merci.

jamais trop tard pour croire à la magie,
et si tu assures qu’on ne risque rien ici, Victoire
alors Felix fera confiance

au mythe que c'est d'être une famille.