Les allers-retours à l'hôpital, les pleurs de maman, les colères de papa, les disputes avec les frangins ou la grande sœur trop protectrice; c'était la galère mais on se marrait quand même. Les soirs d'été on dînait souvent dehors, et quand tout allait bien, que maman n'était pas épuisée par le travail et que papa rentrait à l'heure de sa longue journée au tabac -il est buraliste- on s'amusait pendant touuuuut le repas c'était le pied ! On rigolait si fort que ça gênait les voisins, alors papa finissait souvent par les inviter et on passait de sept à douze dans notre petit jardin tranquille. Mais le mieux vous savez, c'était l'hiver, parce que même si c'était la période la moins facile de l'année, mes parents tenaient à ce que tout à noël soit parfait. Une tradition à entretenir malgré le manque de cadeaux. Y avait le bon repas du réveillon, un peu de saumon et de foie gras, le filet mignon trop bon de maman et les émissions à la con qui passaient à la télé. Au début c'était bien, probablement parce qu'on était p'tits, on se rendait pas compte et puis y avait bien moins d'argent balancé pour le repas aussi. Avec les années ça a changé, tout est doucement devenu plus tendu mais bizarrement, ce fameux soir de réveillon et même si la journée et la veille avaient été catastrophiques, ça se passait bien. Papa mettait l'ambiance, maman préparait à manger avec Teresa pendant qu'Artus, Loren et Jazz s'occupaient comme ils pouvaient. Moi ? La plupart du temps j'étais punie ou alors je cherchais la bagarre -une façon comme une autre de dire à mes parents que je voulais des bisous et à Artus qu'il était chiant.- C'était un noël de famille modeste quoi, un truc lambda et au calme.

Pour le dernier j'avais dix ans et une semaine avant j'avais cassé le bras -encore- de Loren pendant une bagarre pour savoir qui aurait le dernier shokobon du paquet. J'm'en souviens parce que du coup c'est Teresa qui l'a mangé pendant que maman retenait papa de me filer une rouste en criant toute une série d'injures à l'encontre de je-ne-sais-qui. Finalement elle s'est foulé le poignet aussi et on a finit à l'hôpital avec Artus en pyjama piquant une crise parce qu'on l'avait emmené au meilleur moment de sa série -il déteste les rediffusions, c'est la merde. Bref. On habite à Dublin alors on n'est pas très loin d'ici et j'avais entendu parler de cette académie à l'époque. L'académie pour les surdoués, qui donnait plein d'argent pour les familles qui y envoyaient leurs enfants. Je suis vraiment très nulle à l'école, mais je suis partie le lendemain de Noël.

Vous savez, j'ai l'impression que toutes les grandes décisions de ma vie se prennent à noël.

Aujourd'hui je n'ai aucune idée de comment vont mes parents ni de si ils ont reçu cet argent que je voulais leur offrir. Je suis ici avec vous tous, enfermée dans une école plus fourbe que je ne l'aurais cru et toutes mes tentatives d'évasion on été un échec. Mes parents me manquent, Teresa, Loren, Artus et Jazz me manquent. Aucune nouvelle, aucun courrier. Rien. Nada. Que des regrets, des demandes et des excuses à formuler. Des "j'aurai aimé avoir plus d'attention", des "pourquoi tu cris toujours maman ? Pourquoi t'es si fatigué papa ?" ou des "et vos sourires, c'est le loup qui les a mangé ?" que j'ai à peine pu murmurer avant mon départ. Que des bribes de rires et de voix qui s'effacent. Je me souviens à peine de leur visage à tous, et dire qu'ils ont grandit en plus pendant ce temps !

Ça m'énerve.
Ça me frustre.

Le pire.

Le PIRE.

C'est que leur brochure de rêve c'est n'importe quoi et je déteste ça. Ce système est pourri, cette école est à chier. Qu'ils aillent tous se faire foutre, et vous aussi si vous le soutenez.

Je vous emmerde.
J'vais tout casser.