C'est l'histoire d'un petit garçon banal, qui vivait seul avec sa maman dans une grande ville canadienne. Il allait à l'école, jouait au hockey avec ses copains et rentrait tôt pour ne pas inquiéter maman. Maman travaillait beaucoup mais elle trouvait toujours le temps de lui faire un goûter. Généralement, c'était de la tarte aux pommes ou des beignets, parce que Phineas adorait ça. Un jour, il décida de faire le dessert préféré de sa maman, pour son anniversaire. Il profita qu'elle était au travail pour investir la cuisine et créer les plus beaux cupcakes du monde. Ils étaient très moches en réalité, car si Phineas savait bien cuisiner pour un enfant de sept ans, il n'était pas très doué pour l'esthétique de la chose. La pâte était pâlotte, la crème dégoulinait de partout, et la déco glissait ; un des cupcakes perdait un œil, l'autre semblait boiteux. Mais ce n'était pas l'apparence qui comptait, n'est-ce pas ? Peu importait qu'ils soient moches, car Phineas y avait mis tout son amour.

C'était ce qu'il pensait avant qu'ils ne s'animent et se jettent sur les couteaux de cuisine.

Quand la maman de Phineas rentra à la maison, Phineas courait pour échapper à un cupcake qui essayait de l'assommer avec une planche à découper. Un autre se mit en travers de son chemin pour le faire trébucher à l'aide d'une spatule pleine de chocolat. Le garçon s'étala sur le sol et vit en se relevant que sa maman était devenue la cible des cupcakes mutants.

"Maman ! Noooooon !"

Maman hurla de concert et donna un grand coup de sac Metro dans le tas de cupcakes. Elle s'échappa par la porte de derrière et Phineas n'entendit plus parler d'elle jusqu'au lendemain, où la voisine vint le chercher pour l'emmener chez elle. Il avait passé la nuit au sous-sol, au milieu de la buanderie et des toiles d'araignées, s'endormant finalement après trois heures de veille à entendre de tous petits cris barbares exprimer leur mécontentement. Traumatisé par cet épisode, mais plus encore par l'impact qu'il avait eu sur sa mère, Phineas se jura de ne plus jamais cuisiner. Quelques semaines plus tard, sa maman sorti de l'hôpital où elle avait passé un séjour en psychiatrie. Phineas n'eut ni l'occasion de lui rendre visite, ni de la revoir à sa sortie ; entre-temps, des recruteurs de l'Académie Alice avait rendu visite à sa voisine, la très gentille (mais très sénile) Mrs Fogg et ses six chats. Phineas partit donc pour cette école dont il ne connaissait rien, si ce n'était que sa mère disait que c'était là qu'avait étudié son père. Il n'avait pas connu son père, ça lui faisait une belle jambe.

Son alice s'était déclenché assez tard, il entra directement en primaire A et passa une année plutôt calme. Phineas était discret, plus motivé à travailler et à observer qu'à parler de lui ou de son alice. Il fit de son mieux pour l'utiliser le moins possible, même s'il n'avait pas toujours le choix, et enfoui tout au fond de lui ses envies de cuisine. Parce que Phineas était doué pour ça, il avait eu un très bon professeur. Mais c'était un souvenir qui n'amènerait rien de bon. Il prit confiance l'année suivant, en classe B. Phineas était alors le genre d'enfant qui avait tendance à brutaliser les autres avant qu'ils ne le brutalisent lui, pour se faire respecter plutôt qu'écraser. Pour cette raison il perdit une étoile. Au collège, il développa son sens critique et se montra de moins en moins enthousiasmé par les activités imposées, comme le bal de Noël ou le festival culturel, véritable foire pour les futurs employeurs de l'élite, auxquels il ne s'identifie pas du tout. Heureusement, on lui a appris que son alice était lié à l'enfance et qu'il y avait de fortes chances qu'il diminue, voire disparaisse, une fois qu'il serait adulte. Phineas attend avec impatience le moment où il pourra enfin partir, laissant derrière lui tout ce qui le rattache à ce pouvoir pourri, non satisfait non remboursé.

Conscient que son avenir repose sur ses résultats scolaires davantage que sur sa capacité à maîtriser son soi-disant don, Phineas se fait plus sérieux dès le lycée. Il écoute les professeurs et respecte ses camarades pour ne pas perdre sa dernière étoile, parce que vivre sous les combles, c'est quand même bien naze. Il travaille énormément pour que ses notes soient satisfaisantes. Il ne vise pas le haut du panier, la moyenne lui convient, d'ailleurs il ne le crie pas sur tous les toits mais il passe beaucoup plus de temps à la bibliothèque que sur le stade. Même si, avec son régime alimentaire, il devrait parfois faire le contraire. Phineas déteste courir en rond, la piscine lui convient mieux. Parfois, il fait la planche et sieste dans l'eau. Ça lui permet de laisser les devoirs, les examens et le stress scolaire de côté pour réellement penser. Phineas évite de songer à ce qu'il fera l'an prochain, ou après l'Académie, parce qu'il ne sait pas où aller. A-t-il le droit de revenir à la maison après toutes ces années ? Sa mère ne sera-t-elle pas déçue, fâchée ou effrayée ? Elle lui a écrit pourtant, dès le premier jour, pour le rassurer. Elle lui a dit qu'elle l'aimait et qu'elle était fière de lui. Elle n'a jamais cessé de lui envoyer des lettres ; une par mois, un cadeau pour Noël et son anniversaire. Elle ne s'offusque même pas que Phineas ne lui réponde pas. Il y a longtemps qu'il ne les lit plus.