(murmures) « Maman, maman, s'il te plaît, ne pleure pas. Maman, s'il te plaît, regarde-moi, dis quelque chose. Maman ? Maman... ? S'il te plaît, Maman, ne me laisse pas, ne m'abandonne pas, Maman, j'ai besoin de toi, j'ai besoin de tes bras. Maman, dis mon nom, n'importe quoi. Même si tu te trompes, c'est pas grave, mais ne reste pas là. Ou pleure, vas-y, pleure, mais dis « Cassie » au moins une fois, Maman. Maman, s'il te plaît. »

Maman a le regard comme les cavernes, Maman a les lèvres scellées, Maman dans ses mains tient à peine son verre de vin, le dos courbé au fond du canapé. Quand Papa est fâché, Maman se cloître, murée très loin où on ne peut plus l'atteindre. J'ai quatre ans et mes mains cherchent à la réveiller, mais son regard a froid et le feu de la cheminée peine à la réchauffer. J'ai quatre ans et Cassidy derrière-moi me dit d'abandonner. Alors j'abandonne pour aujourd'hui, mais je reviendrai demain, Maman. Je reviendrai te réveiller.

Papa m'aime très fort il me l'a dit, il a peint le ciel partout dans mon monde pour que jamais je ne sois à l'étroit. Il m'a dit que je ne serai jamais seule et que je serai toujours en sécurité, il m'a dit un tas de mots Cassidy alors pourquoi toi il les dessine sur ta peau ?

(murmures) « Tu crois que Maman nous déteste ? Cassidy, tu dors ? Moi je crois qu'elle nous aime. Je l'ai vu hier. Elle a levé les yeux elle m'a regardée. Elle m'a regardée, Cassidy. Un jour elle dira mon nom, et elle dira à Papa d'arrêter. On sera heureux, je te le promets, on sera heureux nous deux. Cassidy ? ... D'accord, d'accord, bonne nuit, Cassidy. »

J'ai cinq ans et dans la neige du jardin on s'est fait des amis, on leur a donné des bonnets et des carottes, des écharpes pour qu'ils n'aient pas froid. Les branches en guise de mains se sont rejointes et toi et moi Cassidy on sait qu'on voudrait que Papa et Maman soient comme ça aussi, comme nos sculptures de neige qui sourient. Depuis le porche de la maison, Papa nous a appelés pour le dîner et j'ai couru à l'intérieur, les doigts engourdis et le bout du nez rosi. J'ai mis de la terre partout, mais tant pis, j'ai bousculé Papa en courant jusqu'à Maman dans le canapé, et je lui ai offert une pierre toute ronde et très jolie je l'ai laissée dans sa main mais cette fois Maman ne m'a pas regardée.

(murmures) « Maman, c'est Cassie. ... On a joué dans la neige aujourd'hui, et tu sais Cassidy il a fait un sourire au bonhomme, alors j'ai fait aussi un sourire à l'autre, ils sont heureux, Maman. Maman... »

J'ai entendu derrière des réprimandes, je suis sûre qu'elles te sont adressées Cassidy. Papa n'est jamais gentil avec toi, et quand je me tourne je vois que tu as baissé la tête. Papa a la main rouge aussi, mais lui il n'a pas joué dans la neige. Maman n'a pas bougé. J'ai serré les mâchoires, j'ai grandi la voix, j'ai sangloté à ses pieds.


(sanglots) « Maman, s'il te plaît. Maman, réagis. Maman, c'est Cassie, là-bas Cassidy a besoin de toi. Maman. Maman... »

Mon visage s'est enfoui entre mes mains sur ses genoux, et les miens sur le tapis commencent à avoir mal. L'impuissance m'enserre, m'empoisonne. Je me suis levée de colère et j'ai jeté le verre de vin par terre. Le rouge a taché le tapis mais tant pis, ma voix a grogné j'ai hurlé et j'ai espéré que Papa t'abandonne, Cassidy. Si je pleure assez fort il te laissera tranquille, alors j'ai pleuré, j'ai crié.

(cris) « Je te déteste, Maman ! Je te déteste ! Je te déteste ! Si t'étais morte ce serait pareil alors meurs, Maman, je veux que tu meures ! »

Papa est venu comme prévu et il m'a prise dans ses bras. Ce soir j'ai eu deux desserts parce que Papa n'a jamais su comment gérer la pluie. Et dans le lit, sous ta couette, Cassidy, j'ai glissé les échos de mes sanglots.

(murmures) « Maman nous aime. Maman nous aime, Cassidy. Elle a murmuré. Elle a dit « Cassie » je l'ai vu. Elle l'a dit. »

J'ai neuf ans et dans le jardin la neige me manque. La balançoire grince sous mon poids et tu es venu pousser dans mon dos, Cassidy. Je t'ai dit que je voulais retrouver nos amis avec les bonnets, les carottes et les écharpes, alors le ciel est devenu tout blanc et la neige a tapissé le jardin. Mais en été il ne neige pas, Cassidy, et on était loin d'imaginer que c'était un crime ce qu'on faisait. En tous cas Papa a crié sur toi, et ta peau a porté le poids de mes caprices. Je suis restée enfermée dans la chambre, et Papa a supplié que j'ouvre. Il dit toujours qu'il fait ça pour moi mais c'est pire encore, tu ne trouves pas ?

Le soir-même une voiture s'est garée devant l'entrée, je l'ai vue à la fenêtre, je les ai vus t'emmener. Alors j'ai couru dans les escaliers, enfin ouvert la porte de ma chambre condamnée, j'ai crié ton nom Cassidy alors qu'ils t'installaient à la banquette arrière.

(interrogations) « Papa, qu'est-ce qu'il se passe ? Il va où, Cassidy ? Dis-leur d'arrêter, il a rien fait, c'est moi qui ai demandé. Papa ? Papa ?! »

La voiture s'en va et mes jambes ne m'obéissent plus. Je cours derrière toi, je cours et Papa n'a pas réagi à temps, j'ai déjà de l'avance. Je crie, Cassidy, je ne veux pas que tu partes. Pourquoi personne ne répond à aucune de mes questions ? Je suis seule, sans toi, Cassidy, je suis morte, sans toi. Je ne suis personne si tu n'es pas là, alors pourquoi tu pars ?

Au-dessus de nous j'ai créé des tempêtes, des orages ! J'ai tapissé le ciel de ma colère, mon désespoir. Cassidy, ne pars pas, ne pars pas, je t'en supplie, ne me laisse pas là. J'ai couru mais la voiture m'a distancée, et Papa m'a rattrapée, sa main pleine de colère serrant mon poignet. J'ai hurlé, Cassidy. Tu m'as été arraché. Je me suis effondrée, j'ai hurlé du vide que tu as laissé. Au milieu de la route je me suis débattue pour que Papa me lâche, mais mon combat est vain et bientôt je retrouve les couvertures de ton lit. Sauf que sous la couette tu n'es plus là.

(sanglots) « Cassidy, tu dors ? »

Un mois a passé et j'ai l'âme fantôme. Papa essaie de me faire sourire mais il est bête si il y croit. Il m'a aimée trop fort, tant pis pour lui, moi je ne l'aime pas. A table je lui ai dit plusieurs fois « Je te déteste Papa » et il a arrêté de parler, il a baissé les yeux et il a continué de manger. Il a essayé encore mais je suis inconsolable, Cassidy. Comment vivre sans que tu sois là ? Je ne dors plus que sous tes draps mais ton odeur déjà s'efface. Papa a lavé les couvertures et j'ai crié de colère, j'ai fait trembler les murs de la maison à vouloir désespérément conserver les traces de toi. Cassidy, est-ce que je te manque comme tu me manques à moi ?

(murmures) « Maman, s'il te plaît. »

J'ai prié à ses pieds, j'ai serré très fort mes deux mains contre ses genoux. J'ai pleuré les dernières larmes de mon corps.

(murmures) « Maman, s'il te plaît, réveille-toi. »

Mais mon désespoir a eu raison de mes efforts et j'ai abandonné comme si ta voix me demandait de le faire, Cassidy. Elle a dit « Cassie » mais c'est trop tard plus rien ne me réjouit. J'ai glissé dans sa main la pierre toute ronde et très jolie, je l'ai faite accompagner d'une enveloppe scellée qui contenait des aveux. Dedans j'y écris que je créé le soleil et la pluie, je leur dis de venir me chercher car je suis une criminelle comme Cassidy.

(murmures) « Maman, j'ai besoin de toi. »

Mais Maman n'a pas réagi et je suis partie dans ton lit, pleurer encore comme tous les jours depuis un mois. Je dépéris.

Une semaine plus tard. Papa, ce soir, crie. Il crie contre Maman, c'est la première fois. Alors je descends, je ne comprends pas. A l'entrée il y a deux hommes qui sortent d'une voiture noire. Je n'arrive pas à y croire. Quand je regarde Maman qui subit la colère de Papa, elle murmure « Cassie » et un sourire naît sur ses lèvres comme sur nos amis en neige dans le jardin.

Elle a posté ma lettre, Cassidy. Elle a inscrit sur l'enveloppe l'adresse, elle a posé un timbre et elle est allée jusqu'à la boîte, glisser en son sein mes supplications. Ils m'ont emmenée, et Papa est devenu fou. Mais il l'était déjà, alors tant pis. Maintenant, je m'en contrefous.

Parce que j'arrive, Cassidy. J'arrive.