L’anxiété, ça se commande pas.

Tout le monde a ses territoires synonymes de désespoirs et de déboires. Ses endroits qui réveillent des peurs. Remuent des souvenirs. Pour Lawrence, c’est l’hôpital. Mais aujourd’hui, il attend devant une salle. Adossé au mur, la porte en ligne de mire, il piétine sur place. Une légère douleur irradie son genou. Par précaution, il a mis sa genouillère de protection après soigneusement bandé son articulation. Ça, c’était au petit matin. Maintenant, on est en milieu d’après-midi. Et à la tombée du jour, les gosses commenceront leurs conneries. Soupir. Un peu las, il se tourne sur le côté. Un antalgique, ça fera l’affaire, non ?

La douleur, ça se supporte. Ça s’endure.

Au moment où il se décide à filer à l’anglaise, la porte s’entrouvre. Une adolescente sort ; Lawrence incline la tête sur le côté. La chevelure blonde de Prudence apparaît dans son champ de vision. If looks could kill… Si c’était le cas, l’infirmier serait déjà responsable d’un carnage au sein de l’académie. Meurtrier en série. Lawrence a bien envie de compter le nombre de cœurs carbonisés à la fin de l’année.

— Hey, Prue.

Le diminutif pour Prudence. Quitte à souffrir dans les prochaines minutes autant que ça en vaille la peine.

— Alors comment va l’ange déchu préféré de l’académie ?

Et tout en parlant, Lawrence pénètre lentement dans l’infirmerie. Depuis son séjour à l’hôpital, il éprouve une certaine aversion envers le corps médical. Ça le ramène en arrière. C’est le rappel que la vie bascule au moins où on s’y attend le moins.

Lui, il voulait juste être heureux. Il voulait juste continuer à se laisser porter par le rythme. Sentir son corps emporté par la mélodie. Que les battements de son cœur se confondent avec les beats.

Plongeant ses doigts dans la poche de son pantalon, il en sort une bande de papier. Une écriture nette et appliquée la recouvre. En silence, il attrape une des mains du jeune homme et y dépose le message au creux. Que ça finisse à la poubelle, le surveillant s’en fiche un peu.

Are you sure I didn’t step into a hidden museum? Because you look like a work of art.

Qu’est-ce qu’il ne dirait pas pour retarder le moment où il devrait parler de son problème. Peut-être que s’il disait qu’il avait juste besoin d’un médoc, ça passerait. L’espoir, la base de tout. Et étrangement, ici, Lawrence s’accroche à ses illusions.

Une manière de chasser l’ombre de l’examination.

— Comment ne pas aller mieux en rentrant ici ?

Ballerine égarée. Lawrence s’arrête, trace un demi-cercle avec sa jambe droite et esquisse une révérence, les mains dans les poches. Malheureusement pour lui, ce n’est pas la fin de la représentation. Juste le début. Rideau levé, petit mot glissé. Et il trotte jusqu’au lit. Assis dessus, il laisse quelques minutes s’écouler. S’il remonte dans ses souvenirs, plus loin encore que son accident, ses visites à l’hôpital n’étaient pas si rares que ça. Poignet, cheville, épaule. Chaque blessure s’associait à un mouvement, une figure exécutée. Se faire mal était une variable comme une autre. Elle mettait juste sa patience à l’épreuve.

Être blessé va de pair avec rester tranquille.

Autrefois, chien fougueux, il se voit bien maintenant rester dans un panier au coin du feu. Ou est-ce quelque chose dont il veut se persuader ? Non, l’envie étreint encore son cœur, lorsqu'il regarde des performances. Et puis, des fois, en secret, il se surprend à reprendre du poil de la bête. A façonner sa vie sans vraiment savoir par quel bout s’y prendre.

— C'est pas que je veux pas, mais je grappille des heures de sommeil comme je peux et forcément, ça rogne sur autre chose...

Fine tranche de mensonge sur une grosse couche de vérité.

Sur autre chose. Sa santé. Le sujet n'est pas à prendre à la légère, pourtant, c'est bien ce sentiment qui se balade dans sa voix. C'est sa manière de ne pas, non, de ne plus réfléchir à l'envers. Tout en étirant ses jambes, il enfonce ses mains dans le matelas. Le regard lointain et l'air paisible.

Il bascule la tête en arrière, la tourne en direction de Prudence.

— C'est qu'il faut leur courir après quand ils ont décidé de faire le mur à 2 heures du matin. Mais bon, d'une certaine façon, ça a son charme, l'académie en pleine nuit. (une respiration) On était plutôt oiseau nocturne ou diurne, Prue ?

Ce charme ne change rien au caractère chiant de ces parties de cache-cache. Entre la pénombre et la taille de l'académie, ça lui est déjà arrivé de rendre les armes. Pas de gaieté de cœur. Au bel âge, on se croit souvent invincible. La grande faucheuse ne se pointe que pour les vieux. Mais sans aller jusque-là, un accident peut survenir à tout moment. N'importe où. Surtout ne pas penser au pire.

Finalement, il se baisse, délace sa chaussure, puis remonte son pantalon juste au-dessus de son genou. Retirer la protection. Ensuite, il faudra s’occuper des bandages.

Autant dire qu’il est là pour un moment.