Les petits yeux fatigués, mal réveillés, éblouis par la lumière de son téléphone. Elle reste statique une seconde et hésite à se rendormir. Mais il y a les cours et des pseudos étoiles à chasser. Elle n’en a rien à cirer de ces étoiles. Elle est passée de rien au luxe pour terminer ici, alors tout ça… c’est de la poudre aux yeux pour pas grand chose à gagner. Si elle finit par se lever, c’est pour espérer croiser un de ses frères ou Miel dans la journée. C’est pour pas lâcher Noël en classe, même si il a l’air de n’avoir besoin de personne. Alors elle traîne des pieds ce matin, sans vraiment savoir ce qu’elle espère de la journée. Y a des jours comme ça. De plus en plus de matins comme celui-là. Pourtant une fois qu’elle y est, ça passe, ça revient. Les cours, les profs, les autres, la frustration qui rôde, le quotidien, tout et rien. Jusqu’à ce que...

Putain, il est là.

Au croisement de deux couloirs... la silhouette plus vraiment droite et prête à casser, les cheveux plus blancs que gris, la peau sillonnée de rides, le sourire niais et satisfait avec son manche à balais entre les mains… Y a son coeur qui se renverse avec un pic d’adrénaline qui la secoue. Comme si elle se réveillait enfin. L’frisson d’effroi qui dévale son échine. La nausée qui surgit le bout de son nez.

Urgh. Le vieux croûton.

Chaud.
Froid.
Blanc.

Plus aveuglant que ses cheveux mourants.
Elle va tourner de l’oeil, c’est sûr…
En attendant, l’dégoût est brûlant.

Heureusement, la sonnerie retentit et une marée humaine avale l’homme assez âgé pour pourrir sur place à tout instant. Il disparaît du paysage et ça la soulage. La vie revient dans son système. Un peu plus, et elle y passait avant lui.

Pff. Et puis quoi encore !

Le retour en cours est presque réconfortant même si sa gorge est sèche comme si elle avait été frottée au papier de verre, son crâne est martelé par le brouhaha alentour. Un reste de nausée et le ventre noué concluent le tour de son état, plus que physique… émotionnel. Elle le savait, elle aurait dû rester couchée aujourd’hui.
Et ça se confirme un peu plus à chaque heure de la journée qui passe. Parce qu’il est partout, croule sur sa route à chaque fois. À croire qu’il le fait exprès ou que quelqu’un veut sa mort (probablement Colline). La deuxième fois, le mur lui a servi de béquille pour s’enfuir… aussi vite qu’un escargot, donc la honte. Elle tremblait presque plus que l’vieux. La troisième fois en chemin vers le réfectoire, elle a poussé le premier lycéen qui passait sur lui. Ils se sont écroulés l’un sur l’autre comme des quilles au bowling, et ça a fait le job. La quatrième fois, elle a esquivé en déboulant dans une classe qui n’était pas la sienne. Son flegme habituel en a pris un coup, le charisme qui effraie un tantinet aux abonnés absents. Et c’est elle qui va finir par avoir des cheveux blancs si ça continue. Le cauchemar assuré cette nuit. D’autant qu’elle est presque sûre de l’avoir imaginé plus souvent que ce qu’il n’était réellement. Et à la fin de la journée, Teddy s’était transformée en une bestiole (encore) plus fébrile qu’à l’accoutumée (oui c’est possible). Les sens alertes, les nerfs à vif, et surtout prête à en découdre avec son kraken.

Promesse de la dernière heure : à la prochaine confrontation, c’est elle ou lui.
Mais il ne s’en sortira pas comme ça.
Pas l’choix… Elle l’aura.
Enfin, elle croit.