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Elle avait passé des heures devant son miroir, son regard impossible à satisfaire. Même gorgée de tout son narcissisme, Juno perdait pieds devant l'image qu'elle se renvoyait. Se regarder dans les yeux avait toujours quelque chose d'un aveu, et elle n'était pas du genre à se confesser. Alors après trois heures à corriger le moindre défaut, elle en était venue à se trouver irritée, obsédée par la moindre imperfection, jamais pleinement comblée, sans savoir que ce qui manquait à son visage pour être radieux était quelque chose qui ne s'ajoutait avec aucune chirurgie et aucun maquillage. Ça s'appelait le bonheur et il semblait que malgré tous ses théâtres de joie elle en était encore incapable.

Elle était sortie de sa chambre habillée de la même robe bleue et blanche que toutes les lycéennes - maudites normes vestimentaires - mais s'était parée de bijoux en suffisance pour ne pas sentir le poids du reste. Dans son dos elle avait accroché les ailes de chauve-souris que l'académie avait mis à disposition, et songea que c'était la première fois qu'elle se montrait au grand jour comme étant un démon.

C'était en pleine lumière qu'on était le mieux caché, pas vrai ?

Ses talons claquaient contre les escaliers, et Juno se surprit à se sentir stressée. Ce n'était pas la compagnie de Chandresh, ou la pression d'un bal à venir ; rien de tout ça ne l'avait effleurée. Quelque chose la chiffonnait, mais quoi ?
Son Alice s'était activé, et elle n'était pas si à l'aise avec l'idée de poursuivre cette soirée comme elle avait été convenue. Elle resta en alerte, et adressa le plus beau des sourires à son cavalier qui, comme il l'avait promis, l'attendait avec des fleurs.

« Chandresh Dwight, tiré à quatre épingles m'apportant des pivoines. D'accord, je l'admets, je suis impressionnée. »

Elle avait laissé son regard dévorer de ses poignets à ses épaules, de son visage à ses hanches, avant de se figer dans ses yeux, pour ne plus les quitter.

« Elles sont splendides, mais je ne compte pas porter des fleurs toute la soirée, tu m'accompagnes en haut ? Juste le temps de les déposer, je leur ai déjà réservé un vase. »

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POUR SA REINE, CE SOIR, IL DEVIENDRAIT CE QU'ELLE VOULAIT

Inspiration tremblante.

Il glissa une dernière fois ses doigts entre les mèches de ses cheveux avant de se détourner du miroir – incapable de supporter plus longtemps le reflet qui lui était renvoyé. Lui, qui se croyait intouchable, vainqueur parce que sa cavalière serait la plus belle de toutes (la chère et la désirée), s'était tout à coup trouvé épris d'angoisse, dans la dernière heure qui précédait l'instant fatidique.
S'il s'était écouté, il aurait tout annulé ; il se serait terré dans sa chambre et n'en serait pas sorti, fenêtre et volets clos pour ne rien entendre des festivités, téléphone en sourdine jusqu'au lendemain.
Pourtant, ses promesses l'avaient rattrapé. Il avait relu les messages échangés, comme pour se donner du courage – c'était sa chance, son grand moment ; la seule soirée qu'il ne devait pas gâcher.
Par égard pour Juno-Bianca, et l'audace qu'avait une reine comme elle d'oser s'afficher avec un bouffon tel que lui.

C'était donc sans faute, sage, ponctuel et bien habillé, bouquet de pivoines à la main, qu'il s'était posté à la sortie des dortoirs. Chemise repassée, manches boutonnées, cravate nouée – quand bien même Chandresh se sentait imposteur, il ne s'était pas défilé.
Satisfaite ou remboursée ; pour sa reine, ce soir, il deviendrait ce qu'elle voulait.

Lorsqu'elle franchit enfin les portes, il fut saisi d'un semblant de vertige – l'absence d'une seconde, frappé par sa beauté. Elle portait la même robe que toutes les autres de son âge, et pourtant, elle les éclipsait – c'étaient ses boucles de feu, ses prunelles qui ne le lâchaient plus, son sourire instantané ; c'était peut-être aussi la façon dont les tissus épousaient les courbes de son corps et les parures qu'elle avait ajoutées.
Sublime, Juno-Bianca détonnait.

« Je n'ai qu'une parole... Retiens ce détail pour les prochaines fois. »

Il acquiesça et lui emboîta le pas dans sa marche arrière, parcourant le dédale des couloirs et des escaliers jusqu'à l'étage des double étoilés – qu'il fréquentait rarement, il fallait l'admettre, lui qui côtoyait les parias et les déchus. Il l'observa ajuster le bouquet dans le vase et, se faisant, ne put étouffer le ricanement léger qui fila d'entre ses lèvres.

« Je croyais que le vase était une vanne, mais en fait t'as vraiment choisi de me faire confiance. J'admets que c'est plutôt sympa d'être pris au sérieux de temps en temps. »

Lorsqu'elle revint finalement vers lui, sa tâche accomplie, il vint lui saisir le poignet, la prise délicate, puis ses doigts s'écoulèrent jusqu'au bout des siens pour la retenir dans un geste qui ne l'emprisonnait pas.

« Vous êtes divine, Lady Rhodes, souffla-t-il du bout des lèvres, penchée sur elle – la proximité de leurs corps ne s'affranchissait pas des limites de la pudeur, mais suffisait pourtant à l'électriser. La seconde d'après, il s'écarta et lui offrit son bras. Prête à faire tourner toutes les têtes ? »

La mienne, princesse,
tu l'as déjà mise sans dessus-dessous.

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A sa remarque elle s'était retournée vers lui, interrogative, le regard fixé à lui et à ses manières. Évidemment, qu'elle lui faisait confiance : personne n'avait envie de se faire éviscérer. Elle lui adressa un sourire léger, dont les tendresses se dissimulaient dans ses yeux, et pencha légèrement la tête lorsqu'il s'approcha avant de se mettre en route en attrapant d'une main habile son bras tendu vers elle. La proximité qu'il avait rapidement instaurée lui seyait bien, si bien qu'elle ne s'en était pas formalisée.

Juno était une personne fière, dont l'élégance était marquée par sa droiture, et qu'importe l'habit qu'elle portait, chaque détail avait été soigné pour épouser l'autre. Pourtant, quelque chose la chiffonnait. Ce n'était pas tant quant à son cavalier, ni quant à la soirée d'ailleurs ; elle avait avancé d'un pas assuré sans qu'une once d'hésitation ne la freine. Quelque chose n'allait pas, pourtant, elle le sentait, mais quoi ?

« J'ose espérer que tu ne me marcheras pas sur les pieds. »

Juno était bonne danseuse ; en tant que cheerleader et membre du club de danse depuis plusieurs années déjà, elle n'avait pas besoin de faire ses preuves.

« C'est drôle, je me rends compte que je ne sais pas grand chose de toi, Chandresh. »

La plupart du temps, ils ne discutaient pas vraiment ; tandis qu'elle expérimentait les limites de sa propre emprise sur lui, il n'avait pas eu tant d'occasions de parler de lui - ou d'elle, d'ailleurs, mais ça, ça ne l'intéressait pas.

« Enfin, je sais que tu parles aux animaux et que tu préférerais partir d'ici, j'imagine que c'est déjà bien. »

Comme ça ; elle ne le force pas à parler de lui s'il n'en veut pas, alors sans qu'elle ait besoin de demander, il finirait par le faire, juste parce que ça a été abordé, et laissé là quelque part comme une force latente qui le pousserait.

Le chemin n'était plus très long avant d'arriver à la forêt bleue et bientôt ils virent déjà les cavaliers et cavalières suivre le même pas qu'eux. Son sourire, à Juno, n'avait toujours pas fané.

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DIS-MOI QUELQUE CHOSE QUE JE NE SAIS PAS

Ils ne se connaissaient pas.

Ca l'avait frappé tandis qu'elle constatait, l'air de rien – il réalisait soudainement à quel point c'était risible tant leur proximité feinte n'était que superficielle.
Oh, comment aurait-il pu nier, de toute façon ?
C'étaient son regard, son charisme, son élégance qui lui avaient fait tourner la tête en premier lieu ; le reste, le reste, il n'avait pas osé s'y intéresser. Peut-être intimidé, comme s'il n'était pas certain de mériter ; le sois belle et tais-toi au masculin auquel il s'était soumis sans qu'on l'y contraigne.
Il n'était beau ni de plastique ni au dedans – insipide à l’œil et sale quand on creusait. Rien d'intéressant – fiel et cynisme, il n'y avait rien à apprécier dans tout ce qu'il était.

« Et moi je sais que ton instinct ne te trompe jamais et qu'autant de charme pour une seule personne devrait être criminel. »

Il faisait mine, jouait le détachement et la nonchalance, comme sur un pied d'égalité mais pas tout à fait – ç'aurait été indécent d'y prétendre.

Lorsqu'ils atteignirent enfin la clairière, Chandresh ne put retenir le sifflement d'admiration qui franchit la barrière de ses lèvres – c'était plus fort que lui, et s'il ne pouvait ôter une chose à l'académie, c'était bien leur façon de rendre cette soirée sublime à chaque année qui passait. L'espace de quelques heures, il parvenait à oublier où il se trouvait ; il pouvait presque avoir l'impression d'être ici par choix, au milieu des décors enchanteurs et des lampions colorés.

« C'est superbe, souffla-t-il, ébloui tant par les jeux de lumières, que par les ombres des couples qui dansaient déjà autour du feu de camp – même le buffet était splendide. »

Baissant les yeux sur sa cavalière, il leva délicatement son bras pour la faire tourner sur elle-même et la ramener contre lui – main posée en frôler papillon sur sa taille et l'autre qui gardait ses doigts délicats au creux de sa paume.

« Et tu sieds à ce paradis éphémère bien plus qu'aucune autre ici. »

Elle les éclipsait, toutes et sans exception.
Elle brillait – elle brûlait.

Elle était le tendre soleil – aussi vital que fatal ;
et lui était Icare – le fou, l'inconscient, qui venait sous son regard s'embraser
(consume-moi).

« Je suis fils unique, du moins je l'étais quand je suis arrivé ici. Mes parents ne s'aimaient sûrement pas, et ils ne m'aimaient pas non plus assez pour se battre pour moi ni pour prendre la moindre de mes nouvelles. Je n'ai personne, dehors, qui m'attend. »

Il attendit une reprise de huit temps pour esquisser un pas de danse – il n'en connaissait que les bases ; celles qu'on apprenait pour être certain de n'être pas condamné à rester assis loin de la piste. Mais c'était elle la danseuse, la poupée gracile, la ballerine – il n'avait que donné l'impulsion, et c'était son mouvement à elle qu'il suivait à présent, plus adroit dans le mimétisme que lui-même ne l'aurait cru.

« À ton tour. Dis-moi quelque chose que je ne sais pas. »

Laisse-moi apprendre un peu de toi,
même si ce n'est rien,
même si demain tout ça n'est plus,
laisse-moi apprendre un peu de toi
juste ce soir,
juste ce soir,
laisse-moi y croire juste une fois.

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juno-bianca & chandresh

Juno n'était pas une personne aussi froide qu'elle se le figurait pour elle-même. En vérité, elle ressentait une profonde empathie, et comprenait les douleurs et travers des autres mieux que quiconque. Ce qui lui manquait n'était pas la capacité, mais la tendresse qui était censée y être liée ; la bienveillance, le désintérêt. Lorsque son sourire se teinta de douceur, elle était dénuée de toute chaleur intérieure ; peu importe toutes les fièvres que ses yeux transmettaient, son cœur n'avait été ni affecté ni touché par aucun de ses propos, trop exilé au plus profond d'elle-même.

« C'est dur, n'est-ce pas ? De se sentir si dispensable pour ses propres parents. »

Elle utilisait sa propre expérience comme de la poudre aux yeux ; créer un lien factice et plein de compassion silencieuse et décente. Elle avait secoué la tête et baissé les yeux une seconde à peine, juste de quoi le laisser souffler ; elle savait que son regard pouvait être intense à soutenir, ou dérangeant sur la durée, alors elle se mesurait.

« Hm ? »

Un rire décora ses lèvres, léger et un peu moqueur - d'auto-dérision plutôt que de cynisme. Elle fit mine de réfléchir. Elle n'avait aucune intention de livrer quoique ce soit. Et il n'y avait que la vérité toute crue qui lui paraissait être une bonne façon de plaisanter.

« Je suis un monstre sans cœur qui a choisi de dévorer celui des autres pour combler le manque du sien. »

Elle avait fait écho à son premier rire, doux et absurde, avant de secouer la tête.

« Pour être honnête, je ne sais pas quoi te dire. Je pense que c'est moi qui ignore beaucoup de choses sur moi-même. Ou qui préfère les ignorer. »

Elle avait figé son regard à nouveau dans le sien, et des blessures pleines de grâces avaient achevé leur course sur les traits de son visage ; au sourire de tristesse ou aux lumières de ses pupilles affables.

Son pas était assuré, mais elle avait mimé quelques hésitations, pour rendre son trouble plus criant de vérité.

« Finalement je crois que je n'aime pas trop ce jeu-là. »

Juste assez de vulnérabilité avant de tout à fait se refermer.

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LES YEUX FERMÉS ET SANS GARDE-FOU

Dispensable.

Il ne répondit rien, son sourire flottant ne vacilla pas une seule seconde – au dedans pourtant ça semblait résonner (dispensable au monde entier). C'était déchirant, mais il se reconnut dans chacun des mots qu'elle prononça – la donnée négligeable aux yeux de ses parents, de ses proches, de l'école et même d'elle, de sa reine de cœur, de sa quinte flush enchanteresse.
Il ne faisait que sauver l'illusion et se nourrissait au creux des mains de la belle d'un peu d'attention, il tâchait de préserver son cœur des accroches qui tôt ou tard sous son poids finiraient par céder, même il se savait déjà mordu
(déjà foutu).

Comment se croire en sûreté, quand le sourire de Juno-Bianca lui importait presque autant que celui d'Olympe ?
(Victime du monstre à la figure d'ange qui lui dévorait le cœur.)

Doucement, comme si c'était une poupée de verre qu'il tenait entre les mains, celle qui retenait captifs les doigts de la belle vinrent dégager quelques mèches rousses de son épaules et qui était emmêlées à la chaîne de son collier – deux étoiles accessoires auxquels il ne prêtait pas plus attention qu'à l'unique accrochée à sa boutonnière.

« Alors cessons ce jeu s'il ne te plaît pas. »

Il croyait en le trouble feint, les yeux fermés et sans garde-fou ; comme pris au piège il ne doutait pas un seul instant (aurait-il eu le malheur d'hésiter rien qu'une seconde il s'en serait voulu – comme il s'en voudra, si un jour sur les épines de la rose il s'écorche).

« J'ai tout de même une dernière question... Pourquoi moi ? Juno-Bianca Rhodes a le monde à ses pieds, et c'est au bras de la lie de l'Académie qu'elle s'invite au bal ? Ne crains-tu donc pas pour ta réputation ? »

Il réalisa trop tard qu'ils s'étaient immobilisés au milieu de la piste – lorsqu'ils furent bousculés par un couple qui s'excusa brièvement, tout aussi surpris qu'eux. Quelques rire gênés et excuses balayées d'un revers de la main plus tard, Chandresh s'écarta sur le bord de sa piste, entraînant sa cavalière dans son ombre – dans la confusion il en avait presque oublié sa question, et son attention s'était reportée sur le buffet dont ils s'étaient rapprochés.

« Pour une fois que même la lie peut festoyer comme des rois, ironisa-t-il en croquant dans un petit four, plus amusé que franchement vexé – il savait ce que peu d'étoiles signifiait et s'en moquait (presque) éperdument. »

Il se demanda, brièvement ;
s'il perdait la dernière et que son écusson se brisait,
Juno-Bianca serait-elle encore à ses côtés ?

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Sa réputation.
Que craignait-elle, Juno, à danser avec lui ? Que craignait-elle, sinon d'attirer l'attention ? Les bruits de couloir, ça lui était égal ; tant qu'ils parlaient d'elle, c'était une carte de plus à jouer. Tant qu'on prononçait son nom, quelle importance ce qui y était associé ? Au moins son nom résonnait ; ça lui donnait du pouvoir.

Son (leur) pas s'était figé et ses mains toujours accrochées à ses épaules refermèrent leur emprise. Sur son faciès de dessinèrent des expressions peut-être tendres, peut-être perplexes. Elle secoua la tête dans une mine d'incompréhension ; les sourcils froncés et un sourire au creux des joues.

« Je suis confuse, Chandresh. »

Elle recula d'un pas, marchant légèrement en retrait par rapport à lui alors qu'ils se rapprochaient du buffet. Puis elle glissa sa main dans la sienne pour le retenir ; le faire se retourner vers elle. Elle avait laissé ses yeux à ses yeux.

« Qui penses-tu que tu sois, pour moi ? »

Elle haussa les épaules, mouvement qu'elle accompagna d'un rire ; comme balayant toutes ses possibilités de répondre. Ca lui était égal qu'il réponde d'ailleurs, parce qu'il lui avait déjà dit - sans vraiment le faire en même temps.

« Je vais t'éclairer sur un point, d'accord ? »

Elle lui adressa un sourire, avant de lâcher sa main, comme l'autorisant à la quitter.

« Je ne danserais pas avec mes sujets si j'en avais. »

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À CHACUN DE SES SOURIRES C’ÉTAIT AU DEDANS QU'IL TREMBLAIT

Ce que je suis ? aurait-il rétorqué s'il avait pu – si elle lui en avait laissé le temps, l'occasion (à croire que l'entendre elle n'en voulait pas). Je ne sais pas, (peut-être qu'il préférait ne pas savoir) un ami sûrement (mais quel ami se donnerait tant de peine, même le temps d'une seule soirée, pour se faire cavalier idéal, si ce n'était que ça ?).

Son cœur, pourtant, semblait ne pas se satisfaire – ses palabres auraient sonné faux (elles étaient sans doute plus à leur place lorsqu'il les taisait). Un passe-temps, un tue-l'ennui aurait soufflé son self-esteem boiteux à son oreille tandis qu'il aurait donné le change – ri comme s'il s'en foutait, ri comme si rien ne le touchait.

Ri comme si Juno-Bianca ne l'ébranlait pas tant, à chaque fois qu'elle croisait son regard ou le frôlait.

« Je ne danserais pas avec mes sujets si j'en avais. »

Et il détourna le regard en l'entendant – incapable d'en supporter plus. Sous ses yeux il se sentait ridicule et maladroit, à chacun de ses sourires c'était au dedans qu'il tremblait –

putain, mais que t'es belle,

tu le sais, ça ?

« Je crois que je n'aime pas non plus ce jeu-là, pour être honnête. »

Il laissa filer un rire mal assuré d'entre ses lèvres, avant de relever la tête pour revenir se perdre au fond de ses prunelles – il était comme déboussolé, à chaque fois, mais il s'acharnait pourtant ; parce que c'était elle, ou simplement par orgueil (la frontière était mince entre son attirance et sa ego mal agencé).

« Mais crois bien que si j'étais un de tes sujets, je serais sans nul doute le plus comblé de tous. »

Poussant la plaisanterie jusque dans l'exagération – pour balayer ce qu'il restait de leurs échanges troublants (il n'aimait pas la tournure que leur conversation avait prise par sa faute) –, il glissa une main dans son dos, vint de l'autre saisir les doigts graciles de la belle, et s'inclina pour déposer un baiser volatile sur le dos de sa main à elle. L'instant d'après, il se redressa, l’œil espiègle – mais il tarda à laisser filer ses doigts.
Ce fut sans (tout à fait) y prendre garde qu'il prolongea le contact léger lorsque sa main libre se saisit de deux flûtes fines alignées en rangs d'oignons au bord de toutes les autres, et qu'il les leva entre eux pour que sa cavalière puisse se servir.

« À cette soirée, (il marqua une pause ; hésitation d'une seconde). Et à nous. »

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juno-bianca & chandresh

Juno n'avait pas l'habitude de se sentir coupable, redevable, ou un quelconque de ces termes absurdes qui voulaient dire qu'elle avait tords. D'ailleurs aucune honte n'avait osé frôler son aura en constatant les traits maladroits de Chandresh, les expressions fragiles qui se débattaient à ses lèvres et dans ses yeux, derrière une contenance toute feinte et bien orchestrée. Pourtant, tout à coup, Juno ne souriait plus.

Les sentiments étaient loin derrière des frontières de béton et d'acier ; les émotions feintées et l'âme désabusée ; alors pourquoi ça lui serrait, au fond ? C'était comme si Juno venait de faire un premier pas - maladroit - dans une vie qu'elle ne connaissait pas ; une vie où elle était autorisée à ressentir plutôt qu'à détruire.

Asphyxie.

Puis le sourire à nouveau, elle leva son verre.
Ah, la bonne blague.
Des sentiments !
On ne la lui ferait pas.

« A nous. »

Qui pouvait croire encore que Juno avait un cœur ? Pas elle en tous cas. Et aussitôt elle avait tourné le dos à une Juno qu'elle ne voulait pas voir, une Juno qui recula d'un pas, trébucha dans un gouffre et y termina son existence ignorée. Qu'elle y crève. Elle n'aimerait plus. Jamais.

Elle les détruirait, tous ! Et Chandresh tomberait avec.
Tant pis pour les dommages.

Elle avait bu d'une traite sa coupe et tout à coup quelque chose se noya dans ses yeux. Elle déposa la flûte là où elle l'avait trouvée, un rire au visage, elle avait fait déposer son verre à Chandresh aussi, attrapé ses deux mains.

« Viens danser avec moi, maintenant. »

Et en reculant de plusieurs pas, tout alla rapidement, prise d'une euphorie presque réelle ; et chaque fois qu'elle lui tournait le dos, elle lui lançait un regard de par-dessus son épaule qui vérifiait s'il la regardait toujours, se réjouissait chaque fois que ce fut le cas.

Ils avaient dansé.
Elle avait mené.

Et entre deux danses elle s'était arrêtée, avait attrapé ses mains à nouveau. Elle ne ralentirait pas la cadence, hors de question de le laisser respirer ; plus les événements s'enchaînaient moins il pourrait les contrôler.

Tout allait trop vite. Son dos contre un arbre, elle le regardait sans jamais le quitter des yeux, et son sourire n'avait jamais fané.

« Je ne veux pas être reine, ce soir. »

Car les reines ont des devoirs.
Je veux être libre, dit-elle sans le dire.

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À CHACUN DE SES SOURIRES C’ÉTAIT AU DEDANS QU'IL TREMBLAIT

Elle lui faisait tourner la tête.

C'était un ordre ; elle l'entraînait dans sa danse endiablée et il la suivait dans son euphorie sans marquer d'hésitation – douce hystérie, il se laisser enivrer par son parfum qui volait tout autour d'elle et s'accrochait à ses vêtements.
Elle le rendait fou ; il ne voyait plus qu'elle. Elle, dans ses parures d'ange ; elle sa tourmente sa tendre folie.

C'étaient peut-être quelques minutes, une poignée d'instants volés ;
c'étaient peut-être quelques heures, un semblant d'éternité –
il aurait pu y passer toute la nuit, ç'aurait été sans importance. Si c'était avec elle alors il pouvait bien danser jusqu'à l'aube et jusqu'à ce que ses jambes ne le porte plus, jusqu'à ce que son souffle se rompe et que son cœur implose – tant qu'elle le regardait, tant qu'entre ses doigts à chaque fois elle revenait.
Le reste, le monde entier, tout pouvait bien s'écrouler – quelle importance, tant que dans les yeux de Juno-Bianca il se sentait exister.

Un pas après l'autre, ils avaient échappé à la foule, d'un rien s'était écartés – au dessus d'eux le lampion bleu faisait vibrer les paillettes du maquillage de sa cavalière ; et qu'elle était belle, la reine, la reine qui tout à coup ne voulait plus l'être.
À terre, son titre, et sa couronne s'était égarée dans l'élan d'un tourbillon tandis qu'ils virevoltaient comme des fous des demeurés – oh, comme elle était belle, la jeunesse extasiée.

« Alors ne... »

Il n'acheva jamais sa phrase – ses mots s'en était allés mourir sur ses lèvres sans s'esquisser ; dans les yeux de Juno il s'était à nouveau noyé.
Il trembla, vacilla, et la distance qui séparait encore leurs corps il la réduit à néant d'un seul mouvement – tout son corps penché vers elle, leurs souffles tièdes dans la fraîcheur de la nuit tremblaient s'emmêlaient doutaient se perdaient s'effleuraient.

Ses doigts sur le drapé de la robe se resserrèrent
point d'accroche et d'ancrage
(se donner du courage)

et il
c i l l a

– les lèvres se frôlèrent puis se heurtèrent
(une impulsion une passion hâtive une faim dévorante qui ne savaient plus attendre
j'ai besoin rien qu'une fois sur ma bouche du goût de tes baisers fous de nos baisers saouls).

L'inspiration étouffée le cœur dans l'urgence

– aime-moi s'il-te-plaît aime-moi rien qu'une fois ce soir jusqu'à demain ou rien qu'une heure aime-moi s'il-te-plaît même si ce n'est que pour de faux.

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Juno avait joué avec le feu, et elle avait incendié la soirée. Chandresh, embrasé, l'avait embrassée, et elle ne s'embarrassa d'aucune mimique surprise. Elle aurait été malhonnête de prétendre qu'elle ne s'y attendait pas. Pire que ça, elle l'avait provoqué. Et quelle satisfaction en avait-elle tiré ?
Elle avait glissé de ses fins doigts contre ses paumes.
Qu'avait-elle gagné, à l'issue de cette partie ?
Et ses lèvres avaient répondu à son appel tendre.
Qu'avait-elle accompli ?
Elle avait épousé son souffle pour le faire mourir au creux d'elle.
Quel était le but poursuivi ?
Lentement le contact s'était rompu, et ses yeux naquirent de sous ses longs cils noirs pour se déposer dans les siens.
Son erreur lui apparut tout à coup très claire et lui laissa dans la gorge un goût amer.
On ne jouait pas éternellement avec les sentiments des gens. Au bout d'un moment, ils commençaient à avoir des exigences, et Chandresh en l'occurrence avait fini par avoir des désirs; ces désirs étaient devenus impatients; et Juno avait été malhabile; elle n'avait pas pu le frustrer plus longtemps.

« Je... »

C'était la première fois depuis longtemps que son hésitation n'était pas feinte. Elle avait baissé les yeux, désarmée. Il y avait des demandes qu'elle ne pouvait satisfaire; d'amour par exemple, ce sentiment abject; mais si elle n'y répondait pas, il l'abandonnerait, elle allait perdre une de ses plus précieuses cartes.
Comment faire ? Comment faire ?
Comment faire ?

Un rire doux, et quelques couleurs roses sur les joues.

« Je ne crois pas avoir encore assez bu pour accepter ce genre de gestes, Chandresh, ... »

Le souffle s'épuisa au bord des lèvres pleines de leur fièvre et comme complice, un murmure s'y glissa.

« Tu vas nous chercher à boire ? »

Et sa main avait suivi la sienne avant de s'en détacher. Une fois qu'il avait disparu, elle s'était dépêchée, rejoignant la marée de monde.
Comment faire ?
Son visage était devenu plus sévère : elle n'avait pas d'énergie à perdre à la conservation de son théâtre. Elle devait réfléchir, respirer, elle devait
Comment faire ?
Trouver une solution - et puis pourquoi se mettait-elle dans un tel état ? Ca ne l'avait jamais tant gênée de jeter et reprendre.
Comment faire ?
Décevoir et détruire.
Comment faire ?
Et pourquoi pas comme d'habitude ?

Merde.
Une main sur son poignet : mais ces doigts n'appartenaient pas à Chandresh. Elle se retourna telle une furie, et se braqua face au visage de Stelian.
Merde.
Elle avait froncé les sourcils, levé le menton, et songea que parmi tous ceux qui auraient pu l'arrêter à ce moment-là, il figurait étonnamment parmi les moins pires.

« Stelian »

Et ce qui lui apparut comme une mi-temps allait certainement devenir un nouveau match.
Ils étaient au centre des danses.

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— autour de lui le spectacle infini danse et chante dans une mélodie hasardeuse presque ennuyeuse - ses yeux se perdent sur les robes longues ciel et nuage et les costumes taillés pourtant la tableau exceptionnel lui semble monotone ; de sa main droite il tient une coupe de champagne sans saveur et auprès de lui errent quelques autres qui ne lui arrachent aucun semblant d'intérêt. et puis tu apparais comme une vision divine au milieu des mortels, tes longues jambes portent ton corps taillé à la craie de la façon la plus minutieuse qu'il existe, tes cheveux laissent des cendres sur ton passage embaumé de la même saveur malsaine - Juno si belle mais c'est tellement banal de te dire ça Stelian le sait et puis le jeu de la comédie est tellement plus savoureux puisqu'il sait. Il sait l'amertume dans tes gestes tendres et tes regards dénués du paradis que tu saurais faire naître au creux de ses paumes - à lui. Lui Stelian chien fou et tu pourrais en être la maîtresse si seulement tu n'avais pas plus d'éclat tant que tu ne vis pas entre ses bras ; la valse prend une ampleur nouvelle quand tes bras s'accrochent à ceux de ton cavalier, et le voilà le final - le drame, l'épilogue de ton jeu amoureux, le dénouement la scène tragique ; Stelian en laisse un rictus amusé et la ferme intention de te ramener à la réalité, Juno.
Alors le serpent se meut au milieu des amours et des amitiés, passe sa main prédatrice sur ton bras ta peau si douce et pour peu lui aussi y aurait succomber - et tu l'interpelles de ta voix claire, dans une spontanéité qui le faisait sourire - rire « Juno. » Juno - Juno-Rhodes mais trop de formalisme tuerait votre intimité alors il lève son verre en guise de félicitations feintes. « félicitations Rhodes, ta beauté fait encore tourner des têtes. Je vais commencer à croire que tu es la déesse de l'amour, à force. » et presque - pas loin, quasiment ça, à quelque chose près, il aurait été jaloux de ce baiser si fiévreux que Chandresh avait su voler à toi et ton don de prescience. « mais vu ton regard troublé, j'ai envie de croire que je suis le prince charmant sur son cheval blanc qui vient te sauver » aucune vilénie dans ses syllabes si simplement soufflées, il se contente d'avaler une nouvelle gorgée et d'admirer le plus beau spectacle de sa soirée : toi divine en presque vulnérabilité. « j'aurai peut-être dû te demander d'être ma cavalière, finalement » sa main se saisit de la tienne et viendrai presque la caresser du bout des doigts - si seulement vous n'étiez pas en majesté « tu m'as l'air toute retournée par ce baiser, la Reine intouchable flanche ? » et presque, il aurait pu te demander si c'était si bien que ça.

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Contre toute attente, Stelian se révélait effectivement être le chevalier qui la sauvait - bien qu'il n'ait pas de cheval blanc. A sa voix, ses paroles, à toutes les acidités de ses yeux, elle s'était retrouvée, recentrée, et avait pu se redresser dans l'instant effrayant qu'elle avait traversé ; un instant où quelques chaleurs l'avaient effleurée - quelle idée ! Les mâchoires serrées et les lèvres pincées, vipère Juno ne siffla pas mais ses yeux mordaient mieux que des crochets.

« Si ça t'amuse, Stelian, tu peux toujours m'appeler Aphrodite et je répondrai à ce nom pour toi, d'accord ? »

Un ricanement claqua contre son palais. Visiblement contrariée, Juno avait de l'orgueil et concevoir que Stelian l'avait prise sur un instant de vulnérabilité ne lui plaisait qu'à moitié. Elle n'aimait pas être redevable, et il avait gagné une carte dans sa main qu'elle n'avait pas voulu lui céder.

« Pourquoi ? Tu m'aurais embrassée, toi aussi ? »

Elle avait haussé les sourcils, et laissa une seconde passer comme si elle attendait une réponse - bien que la question soit rhétorique.

« Je me sens confuse, c'est vrai. Tu es content ? »

Admettre ce qu'il savait déjà était une façon à elle de conserver sa fierté. Nier l'aurait rendue plus ridicule. Elle soupira, visiblement décontenancée, et ne sachant plus où donner de la tête.

« Mais ce n'est pas de quoi ça a l'air. »

Elle leva un peu le menton, maudite, et ses yeux n'avaient pas quitté leurs vis-à-vis de tout l'échange ; il n'y avait que Stelian pour comprendre ce qu'elle avait voulu dire.

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— la seconde de silence s’écoule et la perspective qu’il ait été à cet instant - précis et fatidique aussi - lui effleure l’esprit : non Juno toi aussi tu savais que ça aurait piétiné vos deux royaumes et infligé une fêlure à vos statures immobiles dans vos ambitions - alors il te sourit, perfide, et alors que la musique reprend il saisit tes mains, les deux cette fois, et inutile ce qu’il aurait du faire depuis le début, malgré tout le reste. « Tu m’accordes une danse, en récompense ? » Divine Juno il te saisit entre ses mains et la droite guide la tienne vers son épaule - en guise d’appui, c’était évident et tellement plus facile pour tout le reste. « tu as mal joué, Rhodes » sa voix s’était glissé au creux de ton oreille, dans un souffle presque sensuel, et sa main vint effleurer ton dos : c’est comme ça qu’on jouait la comédie au milieu d’une mascarade gargantuesque « il va tomber amoureux, si c’est pas déjà fait, et là qu’est-ce que tu vas faire ? Le repousser ? » ou alors - où alors ? - et le ton avait diminué puisque vous confessiez les pires secrets dans le seul rythme qui puisse exister entre vous « sinon quoi? Tu l’aimes peut-être ? » et ça le faisait sourire mais quand t’es dans ses bras Juno, il ne prenait pas ça à la légère ; peut-être que ça, tu ne le savais pas. « dans ce cas-là, toutes mes excuses, je te vole quelques instants amoureux pour t’accaparer égoïstement » et les autres, tous ces autres autour de vous, il les maudissait, ils n’étaient rien à vos pieds et toi seule toi et uniquement de toi tu avais de la valeur à ses yeux : sa plus belle pièce sa carte maîtresse « méfie-toi, même moi je peux succomber devant Aphrodite : elle est si belle » et ça, c’était presque banal pour toi, Rhodes.

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Juno était peut-être confuse, mais son corps avait suivi celui de son nouveau cavalier dans une spontanéité entraînée par des années de danse qui faisaient de ses mouvements une évidence.

Tu as mal joué et sa main se resserra sur son épaule dans une emprise grinçante de toute sa frustration.

Il avait au moins la décence de poser les bonnes questions, il lui permettait de mettre de l'ordre dans ses plans. Juno était coincée, elle le savait. Pourquoi ne pouvait-elle pas repousser Chandresh ? Elle fronça les sourcils.

Tu l'aimes peut-être ?
Elle avait relevé un sourcil, cette fois, dubitative. Il ne pouvait pas être sérieux, mais un doute l'avait prise.

A sa dernière remarque elle avait repris contenance, et tout à coup elle sembla mener le pas de danse plus que de le suivre, resserrant sa prise et sur son épaule et sur sa main, l'emmenant dans les pas qu'elle voulait exécuter pour instaurer son règne.

« Alors tombe. »

Succombe.

« Tombe, comme d'autres avant toi, ça m'est égal. Sais-tu pourquoi je porte des talons, Stelian ? »

Tu t'es déjà fait planter par des aiguilles, Stelian ?

« Pour que ceux qui succombent ne se relèvent pas une fois que je leur aie marché dessus. »

Alors pourquoi ? Pourquoi était-elle si vulnérable ? Pourquoi n'avait-elle pas marché sur Chandresh, pourquoi avait-elle eu peur ?
Son souffle tournait court à nouveau. Elle avait trop chaud ; ce n'était pas l'excitation, elle était persuadée que la fièvre - réelle, physique - commençait à lui monter.

« Je ne marcherai pas sur lui. »

Elle était ferme, mais elle n'avait pas la moindre idée de la raison qui la poussait à le défendre - le défendait-elle, d'ailleurs ?

« Ne prends pas ça pour de la clémence. Je ne suis pas magnanime, je n'ai juste pas envie. »

Pour la première fois de leur échange elle avait détourné le regard par-dessus l'épaule de Stelian, consternée par son propre état intérieur.
Elle n'était pas amoureuse. Elle n'aimait pas.
Alors pourquoi ?

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— pourquoi, pourquoi, pourquoi ? La question semble flotter dans l’air bien plus fort que la musique et Stelian ose fracasser ces barrières que t’instaurais consciemment Juno, et presque, il l’aurait pris pour une insulte : lui était roi dans ton royaume, dans ses rêves les plus fous, si seulement il aurait osé te le confesser sans craindre la sentence « Pourquoi ? » ta main se crispe sur son épaule alors il renferme un peu plus son emprise dans ton dos pour te ramener à lui - seulement lui, égoïste et exclusif Stelien qui ne voulait pas voir vraiment dans tes yeux un éclat pour un autre ; et si ça avait été de l’amour, c’était le plus beau des sentiments - si seulement. « pourquoi lui, contrairement aux autres ? Il est ... exceptionnel ? Spécial ? » il se penche vers toi et ta nuque parfumée, de berce quelques instants de ces secondes qui auraient pu être si belles, amoureuses, et malgré tout ça, ses gestes délicats, son regard charmé et ses mots d’amour il n’y avait rien de tout ça - presque pas« fais attention, je suis profondément jaloux si tu me dis que moi, tu m’aurais piétiné » ne lui dis pas, Rhodes, qu’il n’est que mortel parmi ton sanctuaire, simple cavalier sur l’échiquier lui se veut roi et toi reine, absolue, toute-puissante, et lui-même aurait apposé la couronne sur ta chevelure « tu aurais pu prendre n’importe qui comme cavalier mais tu l’as choisi, lui. Je suis curieux de savoir pourquoi ? » sa tête contre la tienne, il souffle et murmure vos pires aveux, et il aimait croire, dans sa supériorité majestueuse, qu’il était encore et toujours le seul à lire entre tes lignes « ne me fais pas croire que c’est par charité, je te connais » et il ose, franchit vos frontières communes savamment insaturées depuis des mois, des années, il ne sait même plus tant tu étais évidente dans son univers « je te connais mieux que personne, contrairement à chaque homme présent ici » moi, seulement moi, et pour toi aussi.

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Il y avait toujours eu des règles tacites entre Juno et Stelian. L'une des plus fondamentales, c'était que les secrets restaient secrets ; que les non-dits restaient non-dits ; qu'ils se murmuraient à travers les yeux et se comprenaient dans le silence. Il avait enfreint la plus sacrée des règles de leur danse, et Juno était plus amère encore qu'avant le premier pas dans la foule.

Elle avait fait retourner ses yeux à lui, mais il était trop proche elle ne voyait plus distinctement son visage. Et sa voix en murmures à sa peau suffisait pour qu'elle définisse ses traits.

Juno se sentit tout à coup comme en apnée, le souffle coupé plutôt que court, et ce n'était que la force de sa prise dans son dos et dans sa main qui lui faisait garder les pieds sur terre.

« A quoi est-ce que tu joues, Stelian ? »

Un ricanement sec siffla à ses lèvres. Il avait mené, et elle n'avait pas l'intention de le laisser la tourmenter. Il avait mené, mais elle n'avait pas fini de battre ses cartes. Et la question avait des résonances ; en écho à la même question qu'elle avait posé à Chandresh plus tôt.

« Qui penses-tu que tu sois, pour moi ? »

Elle avait fini de rapprocher leurs corps, en hissant ses lèvres près de sa joue, et leurs peaux en contact frôlaient l'indécence.

« M'aurais-tu laissé te piétiner ? »

Elle avait resserré encore plus fort son emprise, si bien que ses ongles s'étaient plantés en lui comme des griffes.

« Car je l'aurais fait avec plaisir. »

Elle se berçait contre lui, son souffle chaud, la voix murmure.

« Sache que c'est lui mon cavalier, et que les raisons n'ont pas à t'être révélées. Mais si tu veux te battre pour Aphrodite, je t'en prie, je serai ravie de vous voir vous entre-tuer pour mes beaux yeux. »

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— et si la guerre avait un nom elle aurait porté le sien Juno tu sais bien ; lui l'innommable qui ne laisse jamais rien lui échapper sans tout s'approprier, bien sûr que tu le sais, lui maniaque du contrôle il te sent se dérober entre ses mains alors que la proximité physique n'a jamais été aussi proche - et pourquoi tout ce petit jeu, même lui ne sait pas et ne touche même pas du bout des doigts un début de réponse. « tu me crois aussi stupide ? premièrement, je ne suis pas assez bête pour taper le premier » et sa main se glisse, vipère, de tes hanches à ta taille, une seule il ne lui en fallait pas plus, pour venir cueillir discrètement la naissance de ta joue et du bout du doigt effleurer ta peau laiteuse - le contact lui laisse un frisson imperceptible et son regard scrute la réaction de ton corps ; tes cils battent, mais il sait qu'avec toi, ça n'est jamais un début de réponse au milieu de tes sujets. si seulement. « deuxièmement, je n'ai aucun besoin de me battre pour prendre ce que j'ai envie de prendre. » tu ne fais pas exception, tu le sais, et c'est peut-être ça qui te rend si spéciale alors si son visage s'approche du tien et que vos souffles se mêlent il n'en fera rien - il n'est pas suffisamment fou pour se dispenser de ta permission, malgré tout « alors oui, peut-être que c'est lui ton cavalier, sur le papier. Mais c'est à moi que tu appartiens pour cette danse, pendant que ton prince charmant s'est enfui » et sa voix se fait murmure, parce que c'est secret, Junon, intime, pernicieux, et il ne laisserait pour rien au monde l'univers autour de vous s'immiscer dans votre supériorité impériale. « essaie d'être honnête, juste une fois, et dis-moi que tu ne ressens rien, pour voir » à quelques millimètres d'une limite qu'il ne franchira pas - pas tout de suite - ton parfum l'enivre et il aurait voulu t'accaparer quelques secondes de plus, mais il la sent, cette fin si proche. alors il desserre toute cette emprise renforcée depuis plusieurs secondes et te lâche d'un coup d'un seul, pour t'offrir un dernier sourire perfide - et si seulement tu revenais entre ses bras. « je crois que ton Roméo est de retour, Rhodes. »

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QU'IL N’ÉTAIT RIEN ET QUE L'AUTRE POUVAIT BIEN PRENDRE TOUT

Vertige.

Il se glissait entre les corps qui s'épousaient, entre les amours qui s'embrassaient tendres et passionnées et les amitiés qui riaient fort insouciantes acide brûlure – il sillonnait les allées qui s'ouvraient entre les couples qui valsaient sans leur prêter attention. Il les esquivait par automatisme plus rien ne le touchait le monde entier

le monde entier comme en sourdine
et lui lui lui le môme n'en saisissait plus un sens plus un bruit.

Au bord de la table du buffet il lui fallut se retenir un instant – l'équilibre mis à mal, il avala une bouffée d'air les derniers instants comme en apnée.
Sa langue sur ses lèvres – le goût de sa bouche et son parfum partout sans répit assassin.
Mais qu'avait-il fait, quelle erreur, et à présent ?
Il ne comprenait pas – oh, ciel, qu'elle était belle Juno-Bianca, qu'elle était sublime, enchanteresse cruelle, mais pourquoi, pourquoi ?
Il ne tremblait pas d'amour – pas encore –, il se l'était interdit (aimer, aimer comme il fallait, comment aurait-il pu savoir comment, l'amour il ne l'avait jamais vu ; même ses parents ne s'aimaient que par habitude et facilité), mais alors
alors pourquoi cette chamade
pourquoi ce trouble, ces idées
alors, merde,
alors pourquoi ce baiser ?

Il s'était saisi de son portable, comme un réflexe – ses doigts avaient alignés des mots pressés qu'il effaçait l'instant d'après sans les avoir envoyés (Olympe putain j'ai merdé stp quand tu peux est-ce qu'on pe retour retour retour supprimer confirmer verrouiller).

Et puis une inspiration, deux flûtes aux mains, il s'immobilisa – sa belle au bras d'un autre, et les deux valsaient ensemble
la proximité indécente et il –
brûlait.
Il détourna le regard, siffla son champagne puis le verre qu'il réservait à la belle qui lui avait été le temps d'une danse dérobée – qu'importait alors il s'éloigne s'efface de loin en loin pour les observer l'espoir qu'il s'en aille et qu'il puisse la retenir lui parler lui dire ;

mais lui dire quoi ?

Il attendit, dans l'ombre des corps qui s'enlaçaient tout autour de lui ; il attendit que s'écoule le temps d'une chanson toute entière, que les dernières notes se meurent pour s'approcher, rompre le charme factice de leur danse accordée – sans doute qu'il aurait su deviner, s'il y avait prêté attention, les rictus amers et les regards incendiaires ; sans doute qu'il aurait vu l'incandescence de leurs attraits, s'il les avait vraiment regardés, s'il avait été capable, s'il ne s'était pas senti si honteux ni désarmé.

« Juno, il l'interpella – la voix basse, la voix douce, les tonalités plus tendres qu'il ne l'aurait voulu (ce n'était pas vraiment lui, tous ces badinages idiots qui ne lui ressemblaient pas). Juno, excuse-moi, je n'ai pas osé vous interrompre et je crois – je crois que j'ai égaré les verres quelque part, excuse-moi. »

Il se confondait en excuses maladroites, sous le regard d'un autre, d'un autre si grand, au regard sombre et au charme fou, d'une autre trempe, si différent.

« Bonsoir, d'ailleurs, souffla-t-il, le regard fuyant, la posture qui tentait la défiance sans y parvenir tout à fait. »

Il ne lui dirait bien évidemment pas, à sa belle – qu'il avait tenté de noyer le trouble qu'il sentait le happer par vagues du rivage et jusqu'au large, qu'il s'était senti secoué par une jalousie qu'il ne pouvait pas se permettre d'avouer (elle ne lui appartenait pas ; ni ce soir ni jamais), qu'il aurait voulu les interrompre avant mais qu'il ne s'en était pas senti le droit –

qu'il n'était rien
et que l'autre pouvait bien prendre tout.

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Dis-moi que tu ne ressens rien.

Son regard était noir, peint d'un tas d'accusations froides, et ses lèvres scellées ne déclinèrent aucun mot. Elle fut incapable de lui dire ; "Je ne ressens rien" ; elle fut incapable de se convaincre, alors qu'en elle des braises jusque là éteintes s'étaient réveillées, lentement.

Romeo.

Juno se retourna, et resta muette pendant quelques longues secondes, durant lesquelles tout le mythe de son prince s'émietta. Alors c'était ainsi ? Il battait en retraite ? Il courbait le dos ? C'était ça, qu'elle méritait ? Représentait pour celui qui lui avait témoigné ce qui devait être l'apogée de la reconnaissance ? Juno se fit amère, et leva le menton de dédain, serra les mâchoires.

« Alors c'est tout ? »

Et elle avait cru ressentir quoi que ce soit ? Comment avait-elle pu être aussi fragile ? Elle était devenue mauvaise.

« On vient me voler à tes bras, et toi tu laisses ta place ? »

Elle n'avait pas choisi de danser avec Stelian, il lui avait littéralement forcé le pas ; les verres ça lui était égal ; non le problème c'est que Chandresh s'excusait alors qu'il aurait du - quoi ? Elle aurait aimé qu'il se batte au moins un peu pour son cœur ; qu'elle ait le sentiment qu'il y tenait - au moins un peu, au moins un peu. Mais c'était comme tout le reste, à la moindre difficulté, on la laissait tomber. Elle ne méritait pas qu'on se fatigue ; elle ne méritait pas qu'on s'implique ; elle ne méritait rien et c'était pour ça que Juno se donnait tout elle-même, elle ne pouvait pas compter sur les autres.

Ça lui avait serré la poitrine, et elle se retourna sur Stelian, lui crachant pratiquement au visage;

« Je ne ressens rien. C'est ça que tu voulais entendre, je crois ? »

Et elle tourna les talons, amère, le pas rapide pour marquer qu'elle ne voulait pas qu'on la rattrape, et les laissant sur une seule phrase;

« Amusez-vous bien. »

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— les salutations trouvent seulement un verre insolent levé en ta direction Chandresh, Stelian les savait jalouses et bienséantes et intérieurement il se dit ça ne te va pas du tout - alors le malin ricane silencieusement et fixe d'une oeillade la sculpturale dans sa réplique théâtrale - toi Juno et pour ton sourire il était prêt à mener la danse quelques notes de plus « ne prends pas cet air tragique, je suis à deux doigts de te croire » et il aimerait que tu lui jures un instant de plus ne rien ressentir, te hisser un peu plus dans ton royaume glacé loin de la plèbe et des courtisans mais tu fuis et il te regarde lointaine sans oublier de détailler la moindre courbe au passage, lubrique avant de se tourner vers le dernier représentant de la pièce « et ben, tu ne lui cours pas après ? » son regard suit le mouvement de la belle mais il n'y a plus que vous deux alors il attend, patient, la moindre réaction - et il sent qu'elle approche doucement, alors il se contente de reposer son verre vide à proximité et vient à tes côtés pour te souffler une dernière provocation « tu me déçois Romeo, je pensais que t'aurais un peu plus de conviction que ça » il sort son téléphone pour y pianoter quelque chose, le range, et finalement un dernier échange « bonne soirée, Chandresh » et sans plus de cérémonie, puisque le spectacle était terminé et le rideau tombé, il quitta d'un pas lent et prédateur le bal de la dernière danse.

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SANS RÉALISER QUE CE SOIR, PRINCE, IL L'AVAIT ÉTÉ

Fêlure.

Dans ses yeux, dans sa voix, il n'y avait plus ni miel ni tendresse ; un éclat farouche, une fureur glaciale. Chandresh chancela, sous la violence sourde des non-dits qui le bousculaient – qu'y avait-il dans tes yeux (dans ton coeur), Juno, que Chandresh n'avait pas compris ?

« Juno, att-, il fit un pas dans sa direction mais elle était déjà loin ; son élan se heurta comme à un mur, l'instinct qui lui intimait l'immobilité – rien de bon, ce soir, ne restait à sauver. Juno ! »

Le cri du désespoir mais elle n'entendit pas, elle n'entendait plus ; la supplique n'attira que les regards surpris ou agacés des couples dérangés dans leur idylle et leur doucereuse soirée – la sienne, mais il ne le réalisait pas encore, vomissait déjà l'amer des aveux qu'il n'avait pas prononcés.

Les poings se serrèrent, tremblant d'une rage qu'il aurait bien envoyée expier quelque part en travers du sourire de l'autre – le regard fixe mais pas sur lui, quelque part dans le vide il tentait d'ignorer (chaque syllabe comme la fine lame qui entaillait un peu plus au dedans).

Le souffle dispersé, les pas s'éloignèrent et ne demeura à son cœur plus qu'une solitude terrifiante, une amertume immonde sur son palais qui lui fit tourner la tête lorsqu'il tenta de reprendre pied. Un pas après l'autre, il recula ; il tourna les talons et s'imagina trouver réconfort, mais réalisa qu'il n'avait nulle part où aller – l'Académie entière battait son plein dans la clairière (il entendait les rires éclater, des promesses se déclarer et la dernière danse s'annoncer – nausée vive ; il réalisa qu'il n'avait plus personne à faire valser), personne à déranger (quelle autre soirée que la sienne et que celle de Juno aurait-il pu gâcher ?),

alors,
alors, il renonça ;
il s'effaça simplement, renonçant aux belles parures qu'il n'avait enfilées que pour elle, pour se faire Prince le temps d'une soirée (mais quelle idée !) et qui portaient encore son parfum entêtant – il le respirerait au creux de son poignet jusqu'à ne plus savoir le reconnaître,

sans réaliser,
sans réaliser qu'il n'avait pas compris,
sans réaliser que ce soir, Prince, il l'avait été,
sans réaliser que Juno, elle, l'avait couronné,

sans réaliser que c'était lui qui, sans le vouloir,
lui avait claqué la porte au cœur.