"Je veux ce jouet." scanda l'Achille de quatre ans de vie, avec la même tête insupportable, les cheveux sombres et éparpillés, le visage autrement plus joufflu. S'il avait eu l'idée de se coiffer et s'habiller à sa convenance, il aurait fait passer la présidence de n'importe quel pays pour un clochard en haillons.
Mais sa seule idée, pour l'heure, était ce jouet X-Wings de Star Wars que ses parents refusaient obstinément de lui offrir. Spoiler: Achille était un enfant insupportable. S'il ne demandait pas souvent des choses, c'est parce qu'il les ordonnait. Encore trop jeune pour comprendre le fonctionnement de son alice, il se contentait d'ordonner, avec l'impétuosité insupportable d'un enfant, ce qu'il désirait tant. Et à vrai dire, Achille ne désirait pas tant ce jouet. Il aimait juste tester les limites aux nerfs de ses parents - et la limite approchait à grands pas.

"On est venus t'acheter une valise. Point final."

Point final, ça voulait dire quoi, ça ?
Il bouscula son père de ses deux mains, augmentant drastiquement ses chances de se rompre les os du poignets dans cette manœuvre imbécile. Pour un peu de maladresse, il serait tombé par terre et aurait fondu en larmes, blâmant la victime chanceuse d'avoir échappé à un tel, uh... attentat, dirons-nous.

Ils étaient repartis aussitôt - et Achille n'avait pas obtenu gain de cause. La persuasion était bien différente d'une autorité absolue, et consistait, plutôt que d'imposer les siens, en la manipulation des désirs d'autrui. Achille présumait, et cette présomption devenait réalité. "Tu ne veux pas m'offrir ce jouet ?" aurait-il dû demander, et alors, toutes les cellules du corps de son géniteur se serait activées pour répondre au désir soudain, violent et indiscutable d'un tel cadeau. Acheter ce X-Wing Z-95 Headhunter devenait la priorité absolue de sa vie.

Mais, faute de formulation, Achille n'avait su activer son alice qu'une fois, après tout, c'est bien connu, les enfants ne connaissent que l'impératif. La valise, ce n'était pas si mal. Achille la prenait comme un bon souvenir, celui de ne plus revoir cette maison aussi nulle que sa famille, avait-il pensé à l'époque, et aussi simplement que ça, il avait commencé sa vie à l'académie.
Achille n'avait pas boudé longtemps, comme n'importe quel enfant. Mais avant que ses parents aient pu lui manquer, il avait pris quelques années et décidé que sa famille était une bande de ploucs moldus qu'il détestait autant qu'une pinte de bière vide.

Il avait appris à maîtriser son alice, s'était concentré sur la façon la plus adéquate d'obtenir des résultats acceptables avec un maximum de flemme, et de ce temps libre, il n'aurait pas bougé d'un iota. Comme si se ruiner la santé dans des soirées idiotes, ternir les moindres bribes d'humanité restants au sein de son cœur, comme si assumer pleinement sa bêtise était la réponse à tout le questionnement de la vie, l'univers, etc etc.
Ça, ou il éprouvait un malin plaisir à se faire détester par le monde ambiant, faute d'être capable de mieux.

"Mr. Stark" avait un jour appelé son professeur.

Il abordait si bien cette expression, qu'Achille l'aurait presque cru soucieux.

"Peter—PROFESSEUR. Oui. Em, oui ?"
"Vous n'êtes pas venu à votre retenue d'hier parce que, je cite, votre "grand-mère souffre d'anxiété suite à la perte de son caddie écossais" et vous "en êtes profondément bouleversé".

Il avait bien fait ses devoirs. Achille avait dû faire appel à toute la volonté du monde (9 en détermination, que voulez-vous) pour ne pas sourire.

"94 ans. C'est difficile pour elle."
"Mon bureau. Demain. Ou je viens vous chercher."
"Voilà pourquoi les grands-mères vous détestent."

Et avec cette remarque, une heure de plus, qu'il avait dit.
Une heure de perdue, une heure de passée en tête-à-tête avec cet arriviste sévère et un sentiment ignoble de temps perdu. Mais comme rarement, lorsque Achille se faisait coller, il ne regrettait rien, sinon de n'avoir pas su résister à la tentation de trouver une véritable excuse à ses bêtises.

C'était plus fort que lui. Il aurait sans doute eu les allures d'un grand vilain s'il n'avait pas un dégoût absolu pour un sérieux prolongé. À terme, il aurait fini par hacher son rire machiavélique ou son discours de défaite finale de quelques références pop-culture. Achille n'était pas taillée pour être le grand méchant. Achille n'était pas taillé pour grand chose, d'ailleurs, et sa situation de casse-couille généraliste tenait davantage du hobby. Des années qu'il vit ici, à coup de travail minimum, d'égoïsme total, de vie de fêtard et d'une insolence chronique, Achille n'est pas si méchant, au fond, juste terriblement insupportable, à force d'y mettre ses seuls efforts.

Son alice, à vrai dire, lui facilite énormément la vie. Achille s'en sert à outrance, ignorant les remarques idiotes d'un danger futur - ce pouvoir n'est-il pas là pour être utilisé ? Il scrute les couloirs, repère les idiots les plus à même de jouer les figurants d'une pièce de théâtre et déclare que ce ne serait pas si grave de les utiliser avec son alice, puisqu'ils ne seront jamais que des PNJ remplaçables. Il s'impose quelques limites - l'entourage, les adultes, et assume ses responsabilités scolaires - mais ne se gêne pas pour le reste.
Forcément, il a fallu que ce soit lui qui hérite de cet alice.

Accrochez-vous, ce n'est que le début.