pas né sous la bonne étoile
ou alors les astres ont fermé les yeux à ce moment-là qu'est-ce que j'en sais - la seule certitude du jour est que ça sonne désespérément creux au fond des poches - fortune dilapidée à la maison hantée -
un peu comme dans l'estomac.
parfois je me demande comment font les privés d'étoiles je veux dire -
déjà qu'avec une seule j'en ai parfois un millier dans les yeux les après-midi où l'on est turbulent -
ça doit être épuisant de lutter pour ne pas être réduit en poussières et se mêler à celles du grenier.

et c'est l'avantage d'être un peu plus près du sol (que certain)
à défaut de viser le ciel aujourd'hui - j'ai pas envie de penser à demain - le regard balaie les graviers et se fait tamis de chercheur d'or
sous le soleil dans le bon angle ça pique les iris d'un éclair et
là une de plus !

ça crie mon prénom c'est pas important j'ignore je suis concentré je vois
les lueurs du rabbit égaré qui manquent de mourir sous la semelle d'un passant c'est le moment je me précipite pour récupérer la monnaie
je sais pas pourquoi je fais ça alors que j'ai reconnu la voix - c'est la tienne chandra - alors que ça fait vraiment clochard mais tu dis pas clochard toi tu dis débile, et qu'est-ce que ça change dans tous les cas ta désinvolture m'agace
c'est jamais plein de bonnes intentions. forcément quand je me relève c'est farouche
ça t'regarde ? c'que t'es chiant vite aujourd'hui
faut des yeux de pilote de chasse pour voir si c'est toi ou ta bêtise qui est arrivé en premier ça va se jouer à la photo finish.
lourd soupir et les trésors finissent dans la paume d'une main je plonge aussitôt les deux dans les poches du blouson parce que j'ai demandé mais
la réponse c'est non
ça te regarde pas chandra parce que quand tu daignes regarder c'est pour avoir du petit mépris de petite personne et même si tu fais un centimètre de plus je toise de haut pour te faire comprendre.

que j'm'en fous
j'm'en fous que
tu manges une gaufre de la taille du visage alors qu'on a le même âge et aussi peu de comètes brodées sur le col de l'uniforme.
tu fous la rage.
et tu parles mal des daronnes.
alors ok - ok j'ai compris c'est comme tous les autres jours aujourd'hui on change pas les bonnes habitudes
je relève les yeux et je constate qu'on t'a toujours pas appris les bonnes manières.
moi pareil.
ah ouais ? trop cool
ça doit changer de chez la tienne parce que sérieux ta mère c'est juste trop dégueulasse c'qu'elle prépare.
tu fais chier chandra - malgré la moue dédaigneuse parce que tu parles la bouche pleine
j'ai archi la dalle maintenant.

ça tacle aujourd'hui parce qu'on n'a pas signé d'armistice pour les guerres d'hier et avant-hier encore et
je sais plus qui a commencé.
qui de nous deux se tient fièrement à l'origine des étincelles intestines qui manquent de mettre le feu lorsqu'on se croise chandra
si c'est toi ou moi
je me dis c'est sûrement toi l'insupportable par essence
ou peut-être moi alors qu'au fond t'es maladroit et je comprends n'importe comment les sales mots que t'utilises dès que t'ouvres la bouche. peut-être je suis pas bilingue chacha-jaja jaja-chacha et qu'on est des étrangers qui s'agacent de jamais se piger
que t'es vraiment curieux de ce que je fais ou de ce que je pense mais tu peux pas t'empêcher de caler un "débile" pour montrer qu'on mérite à peine ta curiosité.
et je pourrais demander
pourquoi t'es comme ça
mais tu contrecarres toujours mes questions avec les tiennes et j'ai jamais aimé la manière dont tu parles des mères alors qu'on connait pas celles de l'autres
alors qu'on a pas vu la sienne depuis trop d'années pour pouvoir se dire laquelle cuisine le mieux.
alors j'ai pas envie d'être gentil, parce que tu l'es pas non plus chandra.
tu mérites pas
tu la mérites pas ta gaufre ça me donne même pas envie.
alors j'arrête de regarder
le sucre glace qui tombe sur la chemise comme la première poudreuse j'essaye plutôt de penser à ma respiration c'est ce qu'il faut faire quand on veut rester calme mais dans les parages de chandra l'air paraît toujours plus plus lourd je me sens
pas comme d'habitude - il m'arrive
il m'arrive rien !
il m'arrive
que je supporte pas que tu dises que c'est moi le méchant dans l'histoire alors que c'est toi qui vient glisser des braises dans le cœur je sais même pas pourquoi
parce que ça t'amuses sûrement vu comme t'as des sourires moqueurs.
inspire
expire
pour rester flegme. j'ai l'air calme
archi zen tu vois
ça va il m'arrive rien
c'est comme ça qu'on se parle avec les potes au collège c'est pour la déconne je croyais que t'étais plus un gamin chandra.
je joue les mecs tranquille et sors les mains des poches comme pour dire regarde c'est que des paroles en l'air je suis pas armé.
allez pas d'embrouille
vu qu'on est cool tu me files un croc ?
tu piques avec les mots mais moi je veux pas me battre par contre être mesquin t'inquiètes je sais faire
et il n'y a qu'un pas qui sépare je le fais aussitôt et saisis ton poignet c'est par surprise ça brusque un peu j'ai du sucre glace qui saupoudre le revers de ma manche et je me penche
pour planter les dents dans la gaufre gratis c'est pas du vol vu que t'as rien payé
je fais en sorte d'en mordre une bouchée monstre
avant de tout lâcher et reculer illico
fier du larcin la bouche pleine je couvre les lèvres couvertes de sucre coupable du dos de la main le temps de mâcher à toute vitesse pour pouvoir
articuler
m e r c i chandra c'est vraiment toi le plus sympa
alors vas-y dis-moi
si c'est toujours bon quand c'est mordu
parce que moi ce qui rend la gaufre encore meilleure c'est de guetter la tête que tu fais alors qu'il en manque la moitié de la moitié.

ma mère m'aurait étripé de me tenir aussi mal et puis de me prendre des restes à la figure, elle aurait dit, c'est mal de gaspiller, mais surtout ça l'aurait fait paniquer le concept de planter les crocs là où on a déjà mordu,
de se risquer si près des microbes. et j'ai jamais aimé sa manie psychotique de stériliser tout ce qui approche pour vivre dans du bien blanc éclatant, éclaboussant de sain - c'est peut-être pour ça
peut-être pour ça que je m'obstine à jouer les chiffonniers avec toi chandra
j'aime bien ce mot

chiffonniers

parce que c'est exactement ce qu'on est je trouve je sais pas bien la définition mais je l'entends, je vois quelque chose de froissé
brouillon et insensé, écrabouillé rageusement entre des poings en colère
et c'est trop souvent ce qu'on est toi dans mes parages et moi dans les tiens : en colère.
en colère d'avoir que les vannes sur les mères de l'autre à défaut d'avoir la sienne pas loin, c'est un concours pour se distraire de se dire qu'on verra peut-être personne à la sortie de l'école
qu'à la sonnerie on va se chercher tout seul et

ça fout les boules.

et crois-moi
crois-moi que ça me fatigue aussi l'idée de grandir sûrement n'importe comment, j'aimerais bien être insouciant et manger des glaces et des gaufres avec toi sans trop penser à ce qu'on fera après
planter des fleurs et donner le bain aux plantes avec olivia jusqu'au crépuscule
rembourser le prêt de ma maison dans le village de cosmos quand on joue même si on a école demain

mais c'est toujours comme ça.

après le dernier coup de dents c'est des vides immenses de petit môme aux airs de vermines qui reviennent comme des gagnants, et je sais pas
je sais pas ce qu'on fera après le goûter et le dîner et le coucher et le petit-déjeuner demain
et les jours d'après
je crois qu'on tourne trop souvent en rond dans la cage comme des lionceaux
qu'est-ce que ce sera quand on se fera lions t'imagines
c'est déjà si à l'étroit ici
et toi et moi on déborde - déborde d'énergie
et d'autres choses. des trucs noirs glissés sous la peau par les parents potentiellement, les absences ça creuse
et on sait pas se parler autrement qu'en montrant les crocs
qu'avec ces mots-là
qui font remarquer comme on est de la misère minuscule.

du sucre au visage où ça a heurté, la peau chauffe et fait fondre je me fais rouge sang bouillant tout à coup j'en ai
marre chandra - déjà qu'on tourne en rond que tu t'amuses à faire des balayettes ça me rend dingue
tu voulais savoir ce que je faisais j'en ai aucune idée je suis aussi paumé que toi mais maintenant j'ai trouvé quoi faire pour m'occuper
on va se crier un peu dessus dès
que j'aurais dévoré les pas qui nous sépare.
regard noir - ciel nuageux - lueur furieuse - éclair - et puis j'élève la voix - tonnerre -
ta danse de la pluie a trouvé de l'orage.
c'est toi que j'vais ramasser par terre chandra tu m'gaves !
tu m'gaves à mal me parler tout l'temps et ça m'gave de t'écouter
ça m'fait plus du tout marrer !!
et parler fort ça suffit pas, jamais, jamais assez fort c'est inutile vu comme on parvient pas à se piger
à se cerner, même de près c'est toujours autant du charabia chandra vas-y dis-moi
explique moi
pourquoi tu viens m'parler si c'est pour dire j'suis dégueulasse ? c'est toi l'clochard dans l'histoire c'est toi qui vient me voir alors que j'suis dégueulasse
parce que t'es sans-amis fixes à force de parler sale !
j'ai tellement faim de réponses que je les presse un peu, une impulsion sur tes épaules je bouscule
comme pour les réveiller et les faire sortir quitte à les mettre en rogne à déranger leur sommeil
c'est quoi ton problème.

comme pour le faire ravaler les mots trop grands
mâchoire serrée ils heurtent les dents

(un coup)

décharge
part de la bouche pour envahir le crâne comme du poison ça résonne et j'entends plus les mots y a juste la tête partie trop fort en arrière qui veut revenir en avant à l'abri dans les mains et c'est bien que tu me tiennes par le col de la chemise parce que frapper presque dans le nez ça file des vertiges électriques
et lorsque je sens le sol qui tremble sous mes pieds je m'accroche à tes poings serrés je les griffe presque
un œil fermé l'autre peine à rester ouvert je vois ton visage froissé de colère en double en triple
t'as pas besoin d'ami chandra et comme on comprend pas tes intentions forcément on est méfiant mais toi tu t'en fous t'as pas besoin de nous
pas besoin de moi tu dis dans le chaos des répliques furieuses
et peut-être que je m'agrippe trop encore parce que tu repousses
pousses brutalement des secousses de nouveau le corps a pas le temps de comprendre pour mettre les mains en arrière et amortir la chute c'est
d'abord les coudes dans les graviers suivis des omoplates et de l'arrière du crâne
presque tout en même temps.

g l a p p i s s e m e n t
de douleur
c'était à la tête et maintenant c'est partout et je sais pas si les tremblements de terre c'est sous les cailloux ou dans mes os
je t'ai fait quoi chandra ? j'essaye fort de me rappeler mais je vois pas je vois trop flou et j'ai juste envie de me recroqueviller pour que ça arrête de tourner tout ce que je sais c'est que des fois c'est maladroit je dis
va-t'en chandra
pas parce que je t'aime pas mais j'arrive pas à donner du sens à tes phrases à tes phases lunatiques ça ressemble à des rages intestines d'enfant en crise mais moi aussi j'ai la haine des fois et pourtant je fais pas ça !
je fais pas comme toi chandra je m'exprime pas pareil
je donne pas des coups je connais que les mots que les mots
...
et là y a rien qui sort de la gorge
rien que des souffles bousculés paniqués esquintés
que tu enserres à nouveau en saisissant le coton qui l'entoure ça oppresse.
lh-âche !
ce que tu dis ça étouffe.
les gens sont gentils avec moi
parce qu'ils ont pitié
et toi tu me fais une fleur
en étant le seul qui joue pas les menteurs
c'est encore pire que les poings et les croche-pieds
j'ai mal partout t'as pas mal chandra ?
je voudrais que t'aies mal comme moi
pour qu'on se comprenne au moins une fois
ou peut-être
peut-être que les droites et les balayettes c'est pour qu'on ait mal comme toi.
ça fonctionne chandra je me sens sale comme tes regards
tu fais trembler le sol j'aimerais faire trembler les os c'est du réflexe presque animal les dents comme collée à la glu serrées fort, scellé au sang du nez qui envahit la bouche je fais à l'instinct et tente de planter les ongles dans les poignets qui me tiennent j'essaye j'essaye j'essaye
de faire plus mal encore en me retenant de sangloter mais
ça fait pitié
ça marche pas
j'y arrive pas
je fais pas trembler les choses comme toi
t'as gagné
c'est toi le plus fort chandra
j'ai que les mots étranglés
pour faire aussi mal que toi
des inspirations folles
les yeux noirs dans les yeux noirs.
tant mieux si t'as pas b'soin d'amis
personne a b'soin d'toi !!
personne personne personne
même si tu pars un jour
personne va pleurer pour toi  
personne !!
trébuchant de sanglots sur les dernière consonnes.
moi je te pleure chandra
elles sont atroces tes fleurs je te les rends
c'est pourtant pas des bouquets que les enfants comme nous méritent vraiment
mais quand ça fait trop mal y a que ça qui pousse
rien que de la mauvaise herbe
rien que du chiendent.