Pressée. Elle s’évertue à hâter le pas, les bras chargés de livres et de documents en tous genres. Aujourd’hui, ce jour était important. Sa routine n’avait pas changé, levée aux aurores, coiffée, maquillée, prête à déjeuner. Sauf que, c’était faux.

Sa routine s’était modifiée. Elle n’avait pas dormi de la nuit, se tournant et retournant dans ses cheveux emmêlés. La sueur de ses mouvements s’accumule sur son front, ce n’était pas l’angoisse ni la joie qui créait une telle torture mentale. C’était l’enfant des deux. Elle avait apprit qu’elle était devenue responsable du club de danse. C’était comme un petit rêve à elle qui venait de se réaliser, un rêve délicat qui n’avait pas voulu prendre de la place dans son être. Elle voulait être à la hauteur, elle voulait y arriver. Prendre une place aussi haute, elle devrait y avoir l’habitude. Mais, curieusement, à chaque nouvelle responsabilité, elle voulait se montrer encore plus à la hauteur. Être capable de tutoyer les cieux, être un exemple, un modèle. Pas par égoïsme ou fierté, juste par la bienfaisance du berger. Alors, elle respirait avec peine, réfléchissant à des façons de faire rayonner son club. Ce club qui lui avait apprit à aimer la danse, à la faire sienne. Dans cette académie. Son coeur se calmait progressivement, tandis qu’une vague d’amour délicate se frayait un chemin dans ses veines. Elle avait dormi.

Trop bien même.

Levée après l’aurore. Elle s’est préparée avec une hâte qui n’était pas la sienne, elle qui aimait prendre le temps de brosser langoureusement sa chevelure adorée. Et elle était partie. La journée s’est déroulée ordinairement bien, mais elle était frustrée par elle-même. Frustrée de ne pas avoir été “aussi” bien que d’habitude. Elle avait eu une bonne note, mais rien pour apaiser sa colère envers elle même. Cependant, en avançant à grand pas dans ce couloir, elle se prit à se calmer doucement. Elle ferait de son mieux pour se rattraper, mais le principal, c’est que cela ne devienne point une habitude. Elle avait des espérances sur ses épaules. Et elle comptait bien les atteindre en faisant preuve de volonté. Cette pensée lui mit un léger sourire aux lèvres.

“La vraie force n’était pas de savoir tenir droit, c’est de continuer de tenir droit même si on tombe”.

Son pas fut plus calme et elle put enfin laisser égarer son esprit à ces dissertations qu’elle devait faire. Et aussi à cette plainte qu’une PHY lui avait faite. Ou à Kath qui avait eu un point de moins que d’habitude. Ou encore à Avelino qui…

Son esprit se bloquait fort heureusement à cette pensée, tandis que devant ses souliers parfaitement cirés, une tâche disgracieuse qui s’étirait voluptueusement. Elle grimaçait, agacée. Dieu seul savait ce qu’était cette chose. La couleur était marronâtre, amie avec une certaine teinte verdâtre. Elle plissait le nez et pourtant l’odeur s’entêtait à se créer un chemin dans son nez. Cela était tout bonnement insupportable comme odeur. Où était le concierge quand on avait besoin de lui ? Et en levant ses yeux, elle vit une multitude de tâches. Ses lèvres fines se pincèrent. Elle ne voulut pas détourner le regard et prenant ses affaires, elle se dirigea vers le lieu où se trouvait la cage du concierge. Le concierge était un cas. Aussi vieux que le monde qu’il nettoyait, pensait-elle parfois en passant devant lui. Mais, elle ne se piquait guère de méchanceté avec lui. Il méritait son respect, autant que tous ceux qui oeuvraient pour cette académie. Mais aujourd’hui, elle devait “sonner” les cloches.

Arrivée devant la porte, elle toqua plusieurs coups secs. Pas de réponse, elle prit la permission d’ouvrir la porte et s’annonça d’une voix affirmée :

-Monsieur Clapton ? Je suis Eriu Arstrae, j’ai repéré une tâche dans le couloir secondaire du troisième étage, du lycée. Pourriez vous venir la nettoyer ?

Aucune réponse, le vieillard semblait de ne pas l’avoir entendu. Alors, elle répétait en forçant un peu plus la voix, comptant sur son alice et le sentiment de gêne qu’elle éprouvait pour le faire se retourner.

-MONSIEUR CLAPTON?

Heureusement qu’elle ne parlait pas beaucoup. Sa voix ne tiendrait pas à la longue.

Oh seigneur, tout puissant. Monsieur Clapton était connu pour sa maladresse et son crâne épais. Il est bien vrai. Personne ne pourra douter de ce fait. Mais Dieu, qu’elle avait été effrayée de le voir se soulever, aussi subitement comme un ressort mal reglé. Eriu voulait bafouiller pour l’aider, anxieuse. Elle avait bien lu quelque part que les personnes âgées étaient particulièrement fragiles et un rien pouvait les faire passer dans l’Au-délà. Elle tendait déjà les bras vers lui quand il recommnçait à s’activer.

Monsieur Clapton semblait inarrêtable, il parlait si vite, dans un accent si particulier qu’Eriu avait bien du mal à le comprendre. Bafouillant clés, trouver, il tâtait le sol et ses poches. Elle avait poussé un long soupir tandis qu’en se retournant simplement, elle trouva la clé bien suspendue à son crochet habituel. Eriu était légerement désabusée mais, elle lui tendit en haussant la voix pour se faire clairement entendre de ce vieux monsieur :

-Monsieur Clapton ! La clé était suspendue à côté de la porte ! A COTE DE LA PORTE. Monsieur Clapton.

Voyant qu’il avait comprit, Eriu souffla un bon coup. Elle n’allait pas le laisser seul, sourd comme un pot. C’était certes son métier mais elle avait une forte empathie pour lui. Comment pouvait-il rester aussi longtemps à l’académie ? Il fallait un certain dévouement ou une certaine lassitude pour accepter ça. Et, elle se sentait coupable de lui laisser autant de travail. Alors quand le vieux monsieur prit la clé entre ses doigts blancs, elle lui dit d’un ton qui souffrait pas la contradiction

-Je vais vous aider ! Laissez moi vous suivre jusqu’à la fuite.

Attrapant le carton d’affaire, elle eut une pensée fugace. Elle n’aimait pas faire le ménage, mais c’était pour l’académie, c’était pour la sécurité des eleves et c’était aussi pour aider Monsieur Clapton.  Elle était jeune, pleine d’énergie et c’était son devoir d’aider ceux qui se dévouait pour l’académie. Alors, elle escorta le vieux monsieur jusqu’à la tâche en parlant -criant- de choses et d’autres. Il était dur à la feuille et les tympans de Eriu lui faisait sérieusement mal à la fin du trajet.

Là était la tâche, enfin, la famille de tâches. Eriu pouvait discerner des empreintes de pas dans ce magma sale. Elle était encore plus furieuse, agacée, et écoeurée par ce comportement. Ne pas apprécier l’académie était une chose, la salir consciemment était une autre. Posant le carton, elle se remonta les manches et commença à en extraire des produits d’entretien sous le regard de Monsieur Clapton.

Elle avait pas peur de se salir les mains. Grands dieux, non. Si c’était pour des bones causes.Alors, elle interpella l’agent d’entretien d’une voix calme et forte

-Que dois je faire ? Monsieur Clapton, je vais vous aider, vous comprenez ?

C’était une situation ridiculement rocambolesque, Eriu à genoux, perdue devant les nombreux flacons et le vieux monsieur aussi perdu que radoteur.