Un effet papillon.
Voilà ce que la princesse recherchait. Rien que ça hein ? Rien qu’une petite réaction en chaîne, qui pouvait provoquer ou non, la perte d’une amitié chère à son cœur. Laquelle ? Celle de Garance. Car les deux jeunes demoiselles se connaissaient bien, parlaient la même langue et semblaient être sur la même longueur d’onde. « Sembler » - voilà le mot qui fâchait.

Une sensation étrange turlupinait l’héritière Kuzma. Elle était une fois de plus, emprunte au doute, sur la relation qu’elle entretenait avec la blondinette et de surcroît… des doutes sur elle. Annarietta était douée pour lire les gens… et détecter un mensonge était aisé pour elle. Un jeu d’enfant. À moins d’avoir l’alice pour, Annarietta savait quand on lui mentait.

Sans pour autant en faire tout un plat quand cela arrivait, cela attisait toutefois sa curiosité. Pourquoi lui mentir si elle était capable d’accepter la vérité ? Était-ce par habitude, par pitié ou peut-être pour lui nuire ? Peut-être que certains lui mentaient délibérément pour la blesser ? La princesse envisageait tous les scénarios possibles, sans pour autant trouver la réponse à la question en suspens.

Elle avait pour principe, malgré son côté commère, de se retenir d’utiliser son alice à chacune de ses conversations ou bien en présence du peu d’amis qu’elle avait. Et Garance ne faisait pas exception. Annarietta l’appréciait et de ce fait, n’avait jamais prêté attention aux propos fallacieux qu’elle pouvait éventuellement avoir ; jusqu’à maintenant.

Garance lui mentait. Ouvertement. Annarietta avait même la sensation qu’elle faisait cela sans aucune vergogne, comme-ci c’était normal. Elle s’était décidée de mettre les choses au clair et l’avait contacté pour lui donner rendez-vous en fin d’après-midi… dans un endroit calme. Elle se dit alors que la rivière argentée était l’endroit parfait pour cela.

Elle attendit donc… non sans impatience ; elle en trépignait presque. Anxieuse, avide de vérité ; prête à pousser la blondinette dans ses retranchements, Annarietta était motivée, mais aussi vexée… mauvaise combinaison. N’ayant cependant pas l’habitude de brusquer Garance, lorsque celle-ci fit son apparition, Annarietta décida d’y aller tout en douceur ; montant graduellement en puissance lorsqu’elle le souhaitait. En français dans le texte pour commencer, avec son mélodieux accent italien :

— En retard, milady gaga. Longue journée ou t’avais tout simplement pas envie de me voir ?

D’y aller tout en douceur… mais jamais, ô grand jamais sans sarcasme. Marque de fabrique de la demoiselle Kuzma. Et elle usa de son alice, focalisant son ouïe sur le rythme cardiaque de son amie… elle n’avait plus dans l’intention de la ménager. C’était de l’histoire ancienne.

Elle était si belle, Garance. Si douce, Garance. Si sincère, Garance. Si… parfaite. Tellement parfaite qu’Annarietta est allée jusqu’à remettre en question ses propres sens. Ceux-ci ne la trahissaient jamais. Elle s’était toujours fiée à eux ainsi que son instinct… mais pour la blondinette, elle fut prête à tout remettre en question. Mais peu à peu elle ouvrait les yeux et s’apercevait que son amie parfaite était une menteuse.

D’un côté, cela plongeait la princesse dans une humeur noire et de l’autre… cela l’intriguait. Ce fut d’ailleurs la seule raison qui ne la fit pas exploser de colère à l’instant où Garance lui répondit. Annarietta fut cependant rassurée sur un point : son interlocutrice n’était pas que faux semblant. En tout cas à cet instant… elle ne mentait pas.

La demoiselle à la chevelure cendrée laissa échapper un soupir soulagé, presque imperceptible, avant de répondre à l’une des questions qui lui avaient été posées, toujours en français :

— Suffisamment longtemps pour perdre patience. Mais j’ai pour principe de toujours voir le verre à moitié plein ; le fait d’attendre m’a aidé à organiser un peu mes idées.

Une bonne nouvelle pour elle, pas pour la blondinette. Annarietta laissa en suspens la première interrogation de sa chère lady dont elle a pendant longtemps… été complètement gaga. Plus maintenant. La princesse, un air stoïque collé sur son visage, fit quelques pas pour se rapprocher de la dangereuse. Une fois à sa hauteur, elle la dévisagea, la fixa dans le blanc des yeux comme si d’un coup elle était en mesure de scruter son âme.

Elle soupira une nouvelle fois, de façon plus démonstrative… puis tourna autour de Garance comme un vautour autour d’un cadavre, tout en démarrant son inquisition :

— C’est drôle. J’ai toujours pensé que tu étais parfaite. Belle, douce, intelligente, exemplaire. Tellement parfaite que j’en suis allé jusqu’à douter de la fiabilité de mon alice… elle marqua une pause, passa une main dans la chevelure de la blondinette, puis émit un ricanement goguenard avant de reprendre : je me demande encore comment j’ai pu être stupide à ce point.

Elle se retrouva maintenant face à sa chère lady, puis se pencha légèrement en avant pour être à hauteur de son visage, la scrutant d’un air mauvais :

— Tu connais mon alice, pas vrai, milady gaga ? Je t’ai déjà fait une démonstration ? Je ne m’en rappelle plus. Oh puis ça n’a pas d’importance… tu vas vite savoir pourquoi je tiens des propos d’une telle teneur. Parce que bien évidemment… tu n’as aucune idée de ce qui se trame, pas vrai ?

Son accent transalpin avait beau être délicieusement mélodieux… il avait toutes les peines du monde à dissimuler l’hostilité dont faisait preuve Annarietta. La tempête était proche. Toute proche. Et Garance n’avait d’autres choix que d’y faire face.

Garance avait raison sur un point : elle n’était pas parfaite. Annarietta en avait maintenant conscience. La demoiselle aux cheveux cendrés focalisa son ouïe sur le rythme cardiaque au fur et à mesure qu’elle s’exprimait… se rendant alors compte qu’il accélérait petit à petit. Sa chère lady gaga réalisait progressivement l’erreur qu’elle avait faite en mentant à la princesse.

Celle-ci, curieuse de savoir ce que la blondinette avait à dire, ne l’interrompu pas, bien qu’elle en eut envie et cela à plusieurs reprises. Elle se contenta d’un sourire goguenard lorsqu’elle entendit quelque chose qui ne lui plaisait pas.

Garance essayait tant bien que mal de retourner la situation en blâmant Annarietta pour avoir utilisé son alice à son insu… celle-ci leva les yeux au ciel à la suite de cette remarque. Elle voulut répondre, mais se laissa le temps de réfléchir. Mais il n’y avait rien à faire… plus sa chère lady parlait et plus la princesse s’agaçait. Elle arriva finalement à un point où elle ne put rester silencieuse une seconde de plus. Et pour la première fois… prononça des paroles venimeuses à l’encontre de son amie :

— Tu te fous de ma gueule là ? Tu tisses une toile de mensonges et t’es sérieusement en train de me reprocher d’avoir usé de mon alice pour le découvrir ?! Mais c’est que tu es hilarante milady… vraiment, qu’est-ce qu’on se marre !

La colère montait, graduellement. Annarietta était proche… toute proche d’exploser. Concrètement… elle ne reprochait pas à Garance de mentir, à quelqu’un d’autre, elle le pouvait si elle le voulait. Mais à la princesse ? Cela l’horripilait. Elle avait du mal à concevoir qu’une amie aussi proche put être aussi perfide.

Car dans sa façon de mentir, Garance avait été extrêmement habile, ce qui avait aidé à tromper la vigilance de la princesse. Annarietta s’en voulait d’avoir été aussi stupide… et commença alors à tout remettre en question. Son amitié pour Garance, sa confiance en elle. Tout s’ébranla d’un coup ; laissant l’adolescente dans une situation qui lui parut alors inextricable.

Elle ne voyait pas d’autres options… que de la confronter, sans la ménager. Et elle haussa le ton d’un coup, ne cherchant même plus à masquer son agressivité et son indignation :

— Tu sais quoi… j’avais envie d’y aller mollo avec toi, vraiment. Ne serait-ce que pour la tendresse que j’ai pour toi. Mais finalement non. Je n’en ai plus envie. T’as des explications à me fournir milady, je serais toi, je me bougerais le cul.

Elle était proche, toute proche du point de non-retour. Elle se rapprocha une nouvelle fois de sa chère lady, puis la bouscula à l’aide d’un coup de paume dans l’épaule. Elle recommença encore, et encore et encore, tout en l’invectivant :

— Alors pourquoi tu mens milady, hein ?! Je ne mérite pas que tu sois honnête avec moi peut-être ?! Va savoir, tu te retiens peut-être d’envoyer un essaim d’abeilles me bouffer hein ?! Comment  je peux te faire confiance maintenant hein ?! Je ne suis pas assez bien pour mériter ta franchise ?! Explique-toi, maintenant !

Elle attrapa soudainement un pan de son haut et leva un poing serré prêt à s’abattre sur son amie. Il était rare de voir la princesse perdre pied ainsi. Elle qui avait d’ordinaire un sang froid à toute épreuve… la rage l’avait envahi et il sembla alors que seule Garance avait le remède à une colère aussi profonde.

Annarietta serra son emprise sur le pan du vêtement de la blondinette puis figea son poing dans l’air. Elle prononça alors un dernier avertissement :

— T’as intérêt à tout me dire. Ou je te le jure… je vais te refaire le portrait à la phalange.

Elle était sérieuse. Le visage rougit par une frénésie qu’elle peinait à contrôler, la princesse en oubliait presque le danger que pouvait potentiellement être sa chère amie. Mais comment pouvait-il y penser à cet instant ? Elle n’avait définitivement plus les idées claires. Aveuglée par sa fureur, elle en oublia le danger et donna à Garance quelques secondes pour être totalement honnête avec elle.

Le point de non-retour était atteint… la tempête s’annonçait dantesque.