Ça volait dans tous les sens, des ballons dans le filet, des ballons au sol, d'autres qui cognaient le mur sans avoir été contrôlés. Ellis à la manœuvre qui visait droit, visait bien mais se plantait souvent car pas vraiment adroit. Les services, c'était une bête noire qu'il tentait de corriger en restant plus tard le soir après l'entraînement -et ça dépendait des jours, mais il remarquait ce changement dans la posture de son corps arqué au moment de frapper le ballon. Les ajustements qui fonctionnaient notés dans un coin de sa mémoire, il ne cessait de songer à cette chose qui n'allait pas. Ses lunettes de soleil, qu'il remonta de deux doigts sur l'arrête de son nez en attrapant un rebond de l'autre. Il faudrait vraiment en acheter une paire plus adaptée un jour, quand il aurait la motivation -mais ce n'était pas pour ça qu'il t'avait demandé de rester, Ace.

Tu revenais d'il ne savait trop où pour retrouver le terrain recouvert des ballons perdus qu'il avait eu le temps de lancer sans avoir celui de les ranger. D'un mouvement de bras il avait essuyé la sueur dégoulinante de son front en suivant tes pas du regard.

« C'est cool de rester, dit de cette voix un peu essoufflée. On s'y met quand tu veux. »

Parce que même s'il avait chaud il pouvait continuer, la volonté de s'améliorer bien plus forte que le reste. Un sourire à ses lèvres néanmoins tandis qu'il commençait à récupérer quelques balles proches de lui pour les remettre dans la corbeille, puis il s'était de nouveau tourné tranquillement vers toi.

« J'espère que t'avais pas de rencard de prévu, auquel cas j'suis désolé mec mais ça va être tendu, s'ensuivit un rire léger et un peu fier quand même de cette blague pas si drôle. »

La tâche à accomplir allait se révéler ardue pour lui qui ne voulait plus dépendre de son alice en tout temps.

« Eh, abuse pas je les rattrape au moins. »

Ouai. La plupart du temps. En réalité sans son alice il n'était pas si nul que l'apparence le laissait entrevoir. Il jouait même plutôt bien quand la lumière ne l'aveuglait pas et qu'il était concentré. La concentration ça pouvait encore aller mais la lumière c'était plus compliqué. Gérer un blanc pétant pour se retrouver la seconde d'après sur le gris foncé de cette balle arrivée trop vite c'était carrément flippant. Par chance, il avait un alice plutôt pratique qui l'encourageait à esquiver sans se blesser même à la dernière seconde. Sauf que, eh bien, au volley esquiver ça signifiait perdre un point. Et perdre un point plus un point et encore un autre au final ça revenait à perdre tout court et ça, c'était la grosse loose -encore plus quand il en était le responsable. Le truc cool avec Ellis c'était qu'il avait arrêté depuis longtemps de se demander quelle était la meilleure option entre perdre et esquiver ou perdre et continuer à se manger des balles dans la gueule. Lui préférait avancer. La prochaine fois il demanderait à jouer un match dans le noir parce que ces lampes au plafond l'ennuyaient franchement. Un aveugle n'aurait pas ce problème lui, avait-il pensé un bref instant avant de se rendre compte qu'un aveugle ne pourrait même pas jouer, en fait.

De quoi tu parles ?
L'écho parfait à ses élucubrations éparpillées.
Mais surtout à cette remarque un peu nulle qui lui avait arrachée un rire.

« Va savoir, pour ne pas dire qu'il ne savait pas lui-même. »

Il avait haussé les épaules tout en se positionnant au centre de son côté du filet. Réceptionner des services sans utiliser son alice, jusque là ça allait. Il hocha la tête avant de grimacer soudain à la vision du détecteur cocotte. Ah, merde. Ce truc lui rappelait vraiment de désagréables souvenirs, il avait d'ailleurs sentit les muscles de son fessier se contracter dès son arrivée.

« Ça c'est pour les séances de tortures, Ace, ça fait un mal de chien tu sais ? »

Ne jamais sous-estimer les cocottes, ça pince fort. Très fort. Seulement les règles étant les règles, il s'en accommoderait. Cependant cela ne l'empêcha pas de soupirer brièvement pendant qu'il se mettait en position, le regard soudain bien moins assuré rivé droit sur l'objet. Bon. Aucun de vous deux n'avait envie d'assister à la honte du siècle alors il ferait au mieux.

Il l'avait pensé sérieusement et pourtant à peine cinq secondes plus tard il se décalait brusquement sur la droite, esquivant de justesse le puissant service que tu venais de faire. Tu étais un monstre, Ace -et lui était un poil choqué.

« Wow t'es énervé ?! Il me semblait qu'on avait inclut la compassion dans les règles, ou pas. »

Quoique s'il parvenait à renvoyer tes services, ceux des filles ne l'arrêteraient plus. L'étonnement de savoir à quoi il aurait désormais affaire passé, il se remit en position. Une œillade à la cocotte qui semblait le narguer, elle ne lui fera aucun mal aujourd'hui. Ok on reprend. Moins de blabla, plus de concentration. Il était sérieux Ellis, se déplaçant pour se poser à la bonne place. Tout était parfait, de son timing à sa position et pourtant quand ce second ballon fut lancé, d'instinct son alice s'était activé. Trois pas devant, un demi à peine sur la gauche. Plier les genoux, garder les hanches droites mais avancer les épaules pour tendre les bras. Les poings liés et serrés, la balle avait frappé avec force le plat et il fut renvoyé parfaitement de l'autre côté. À peine le temps d'un sourire de satisfaction avant un sursaut magistral quand tout à coup la douleur fut flagrante dans son postérieur.

« Bordel de merde c'est qu-ah ! »

Et en plus ça s'enlevait pas facilement.
Le personnel était vraiment barbare bon sang !

J'espère qu'en sortant d'ici, tu seras engagé comme cascadeur dans un film ou qu'on t'autorisera à rejoindre une équipe sportive. Tu seras célèbre et respecté. Mais en attendant, ici c'est interdit.

Il bougonna un peu tandis qu'il se massait rapidement le postérieur pour faire s'envoler la douleur.

« Hmpf. En fait, je s'rai mort avant de toute façon. »

C'était lâché simplement sans vraiment prêter attention à la froideur que ces paroles pouvaient apporter. Ellis n'en était pas réellement triste, seulement énoncer ce fait lui permettait de ne pas trop rêver à l'avenir, de fuir ces responsabilités qu'on lui mettrait sur le dos en fin d'année -que faire plus tard ? Rien. Rien parce qu'il ne vivrait pas assez longtemps pour se bâtir une vie à l'extérieur alors. Tant pis. Il n'aurait vu du monde que cette école et ses alentours, entendu du monde que les récits que l'on voulait bien lui fredonner doucement ou en rigolant -en pensée à Felix- et il alla pour se remettre en position avant que tu ne l'arrêtes brusquement.

S'il te faisait confiance ?
Son visage s'était tourné.

« Évide-oh ! À peine eu-t-il le temps de lever un bras en défense que tu t'étais stoppé, à quelques centimètres à peine de son visage. Ace bordel ! »

Il venait d'avoir la peur de sa vie prit ainsi par surprise, mais au moins il n'avait pas eu le temps d'activer son alice -en réalité son inconscient l'avait stoppé de lui-même, conscient qu'à tes côtés il ne risquait rien. Enfin, ça c'était en théorie. Ellis prit quelques secondes pour souffler, reculant d'un pas pour se mettre à cette distance de toi qui n'empiétait pas sur son cercle privé.

« On est passé de volley à boxe, ok. Ok euh. »

Une pause soudaine dans l'hésitation, Ellis avait porté une main à sa bouche tandis que
l'autre s'était tendue vers toi comme pour te signifier de lui laisser encore un instant de répit. Il réfléchissait, silencieux, mais pourtant plus agité qu'il ne l'aurait souhaité lui qui d'ordinaire était toujours si calme, à un peu trop de choses pour que tout puisse être mentionné. Des doutes pleins la tête, une situation qu'il vivait d'ordinaire tout seul dans sa chambre, là où personne ne pouvait le voir. Il lui fallait retracer cette ligne à suivre et convaincre son esprit que rien de tout ça n'était inutile -lui redonner cet espoir d'enfant qui naïvement le faisait avancer.

Il fallait qu'il avance.
Il fallait qu'il se force à avancer.

C'était compliqué.

Je s'rai mort avant de toute façon.
C'est parce que d'habitude ces pensées il ne les trahissait jamais à haute voix. Des tabous qui restaient scellés dans un tiroir de sa tête qu'il s'évertuait à embellir et recouvrir de jolies choses, de beaux moments. Les rares fois où ils s'étaient échappés, il avait su regagner sa chambre à temps pour les empêcher d'inquiéter ses amis plus qu'il ne le fallait. Trop tard. Trop tard trop tard trop tard.

Cette fois ses deux mains se plaquèrent à son visage, remontant jusque ses cheveux qu'il balaya lentement en arrière, en soupirant. Un silence encore, dernier instant durant lequel il s'infligea une claque mentale énorme qui lui fit secouer la tête de gauche à droite -chasser ses trop mauvaises pensées- puis il se remit en position. Il ne savait pas trop laquelle adopter alors en réalité il se tenait seulement plus droit, ses bras le long de son corps et son regard dans le tien -à travers ses lunettes de soleil.

« On peut reprendre. »

C'est fébrile mais teinté de bonne volonté, ça devrait pouvoir le faire.

Eh.



Il ne s'en était pas aperçu avant, bloqué dans sa propre douleur, mais tu ne semblais plus aussi serein qu'avant, Ace. Y avait cette chose dans ton regard, un reproche lancé dans des mots acérés qui malgré leur apparente décontraction n'admettraient aucun refus. Ellis dans sa tête n'avait rien vu venir, et à présent de retour sur terre il se sentait bien con. Mal et con. Parce qu'il savait, il n'était pas le seul dans son cas, pas le seul condamné loin de là. Alors c'est un regard qu'il t'adresse, un soupir à ce rire faux qui t'échappe comme des excuses qu'il te fait sans n'en formuler aucune.

Tu es de ceux qu'il n'aime pas fâcher, avec qui en tout cas il n'aimerait pas se battre. Alors d'une esquisse un peu brouillonne il déclare forfait avant même d'avoir argumenté -et qu'avait-il à dire de toute façon ?- Désolé. Désolé Ace, t'as raison.

J'vais me battre.
Continuer à avancer, au moins un peu. Commencer déjà par se reprendre et te suivre jusqu'aux vestiaires, l'entraînement désormais terminé -bien trop court qu'il voudrait hurler, mais après ce fiasco il fallait se changer les idées.

Pour ça il n'y avait pas besoin de mots, seulement de courage et de volonté.

« Ouais, soufflé sur le pas de la porte. »

Et puis finalement il n'était pas entré.
Il avait mieux à faire que de se changer les idées.

« En fait nan, m'attends pas, déjà retourné et prêt à s'envoler au pas de course sur le terrain abandonné, je rangerai t'en fais pas ! »

Après s'être entraîné à en crever, évidemment.