Papa n'était pas un Alice. Maman non plus. Pourquoi Hyacint est celui sur qui c'est tombé, il se le demande encore. Il aimerait pouvoir leur demander.

Sa vie d'avant lui paraît loin. Sa maison lui manque. Il se demande comment vont ses amis là-bas. Il aimerait voir sa soeur grandir, comme il l'a toujours vue grandir. Mais ses parents, il a l'impression que s'il reste encore un peu plus longtemps loin d'eux, il finira par oublier leur visage. Qu'ils oublient le sien lui paraît tout aussi possible.

Toujours occupés et jamais à la maison. Pas très intéressés par les passions de leurs enfants, ils ne se préoccupaient que de leurs résultats scolaires. C'est comme ça que Hyacint a appris à travailler dur pour espérer que ses parents soient fiers de lui, tout en gardant ses centres d'intérêts secrets. C'est aussi parce qu'il a rapidement dû devenir indépendant qu'il a toujours fait de son mieux pour s'occuper de sa soeur. Elle n'avait que deux ans de moins que lui, mais un grand besoin de l'avoir à ses côtés. Elle avait appris à plus compter sur lui que sur ses parents.

Son alice, Hyacint ne l'a pas remarqué ou ne s'en est pas servi très tôt. Il ne passait que peu de temps à l'extérieur de sa maison en dehors des cours, et n'était pas entouré de verdure ni ne faisait attention aux plantes qu'il pouvait croiser. Comme n'importe quel gamin. Mais sa vision du monde a changé quand il a commencé à avoir cette impression d'être observé même quand il était seul. Quand il se croyait seul, il ne prenait pas en compte les fleurs sur les rebords de fenêtre, pousses sur le côté du trottoir ou les grands arbres qui longeaient l'allée. Du jour au lendemain, il ne ressentit plus la même énergie émanant de ces êtres. C'était comme s'il venait seulement de réaliser leur présence, leur existence dans le monde. Le fait qu'ils vivaient leur vie comme lui vivait la sienne, seulement de la même manière.

Et puis, à son contact, la verdure s'est mise à pousser. Bien sûr, il a longtemps cru rêver, être victime d'un mauvais tour. Ce n'était pas réel, c'était tout bonnement impossible. Mais plus ça allait, plus il semblait maîtriser cet étrange nouveau pouvoir et ça commençait à lui faire peur. Alors il voulut montrer aux plantes qu'elles n'auraient pas raison de lui, qu'il prouverait qu'il était un garçon tout à fait ordinaire sans aucun pouvoir digne d'un dessin animé de super-héros. À neuf ans, il est difficile de trouver une façon sensée de faire les choses. Son plan était simple et consistait juste à montrer ses nouvelles capacités à sa soeur, pour être sûr une bonne fois pour toutes que les gens normaux, eux, ne voyaient rien d'anormal chez lui. Mais non. La petite n'était pas aveugle, elle les voyait, ces fleurs qui s'ouvraient au contact des doigts de Hyacint. Et le garçon vit le regard de sa soeur, qui lui fit clairement comprendre que celui qui avait un problème, ce n'était personne d'autre que lui.

Le secret fut difficile à garder, surtout quand des inconnus toquèrent à la porte à plusieurs reprises. Dès qu'il les vit, Hyacint savait que c'était à cause de lui qu'ils étaient là.

Et quand il se retrouva à l'Académie, il n'eut pas d'autre choix que d'accepter les choses telles qu'elles étaient. Il n'était pas là parce que ses parents l'avaient voulu, ni parce que lui ne l'avait voulu. Il était là parce qu'il n'avait pas sa place ailleurs. Pas avec ses amis, dans un groupe d'enfants normaux. Pas dans une école normale. Pas avec sa famille qui le voyait comme normal, avant.